[Freedom : The Underground Railroad][Puerto Rico][Secret Hitler][Spirit Island][This War Of Mine : Le Jeu De Plateau]
Avec l’arrivée de This War of Mine, mon Moi intime a émis le désir de rédiger un petit article sans prétention sur les jeux proposant des points de vue différents quitte à nous plonger dans un léger malaise, voire même une sorte de miroir de la réalité à travers les jeux, tendance dure pour certains comme This War of Mine (qu’on appellera TWoM entre nous parce que c’est super long et pénible à écrire).
Pourquoi ? Parce que c’est bien beau d’assiéger Stalingrad sans penser aux civils ou de gérer sa petite exploitation dans Puerto Rico en faisant abstraction de nos petits pions marrons, mine de rien. Combien de wargames, jeux de figurines et autres jeux de plateau nous ont mis dans la position d’une armée de conquête ou d’exploiteurs à outrance sans que nous nous en soucions plus que çà ?
Et bien je dois vous avouer que je ne m’étais jamais posé la question sous cet angle (enfin peut-être un peu mais pas autant #bonneconscience). Bien heureusement d’ailleurs, sinon à quoi jouerions-nous si nous devions analyser systématiquement un jeu sous l’angle de la conscience (voire de la morale mais c’est un terrain glissant) ?
Cependant, certains jeux savent appuyer sur la corde sensible ou, tout du moins, changer le point de vue coutumier afin de nous placer dans un position moins confortable.
Précisons que nous n’aborderons pas l’aspect mécanique de ces jeux, là n’est pas le sujet.
Le changement de point de vue est très stimulant, que ce soit dans le domaine de la BD, du cinéma ou du jeu, qu’il soit vidéo ou de société. Cela procure une sensation de redécouverte sur des sujets tellement abordés et malaxés qu’on pouvait en oublier l’intérêt. De nombreux films ont utilisé ce principe afin de raconter une même histoire vue par différents personnages, engendrant ainsi des interprétations différentes. Rashômon d’Akira Kurosawa en est un très bon exemple.
La guerre est l’un de ces sujets qui fut abordé en long, en large et en travers mais toujours du point de vue militaire, rarement du point de vue des victimes. En effet, le côté peu « vendeur » du rôle de victime a certainement de quoi en refroidir certains. Et c’est là le tour de force de This War of Mine (qu’on appellera TWoM entre nous parce que c’est super long et pénible à écrire) qui permet au joueur de se glisser dans un rôle très différent de celui qu’il a l’habitude d’incarner dans un jeu de guerre, à comprendre jeu traitant de la guerre qui n’est pas forcément un wargame.
Afin d’affiner le sujet, voici une interview plutôt intéressante (en anglais) de Pawel Miechowski de 11 Bit Studios, le studio de développement qui a créé le jeu vidéo This War of Mine dont est tiré le jeu de plateau.
This War of Mine (qu’on appellera TWoM entre nous parce que… bal bla) n’est pas seul dans cette catégorie de jeux, et Dieu sait si je n’aime pas les catégories qui sont par définition réductrices.
De son côté, Secret Hitler nous confronte lui aussi à des choix moraux du genre « laisser faire » ou s’opposer à la montée irrésistible du nazisme. Avec un autre thème, ce jeu eut été bien différent et cet angle thématique apporte un plaisir exponentiel à sa pratique. Il ne s’agit pas là d’un plaisir malsain, non, mais plutôt d’un plaisir intellectuel qui nous oblige à nous poser des questions, à nous confronter à des dilemmes, bref à nous exposer dans le cadre d’un loisir… paradoxe ?
Alors certes, la pratique des deux jeux cités ci-dessus peut se faire de manière détachée et uniquement pour le plaisir du jeu, mais il serait dommage de passer à côté de ce que cela peut provoquer en nous.
Dans le même ordre d’idées, des jeux comme Spirit Island et Freedom présentent eux aussi des changements de point de vue intéressants : le premier propose d’incarner des forces de la nature luttant contre des colonisateurs (souvent incarnés par des joueurs dans de nombreuses productions ludiques), le second nous met dans la peau d’esclaves tentant de s’échapper. Elle n’est pas belle la vie ?
Sans vouloir établir une liste exhaustive de ces jeux qui changent la donne, on pourrait penser que tout cela est beaucoup trop sérieux pour du jeu et que notre plaisir risquerait d’être gâché par une prise de conscience bien exagérée. Au contraire, j’ai tendance à penser que cela stimule le plaisir de manière significative. L’enjeu étant différent et au-delà de la simple victoire, l’immersion n’en est que plus importante tout comme l’impression d’avoir vécu quelque chose de particulier. On se rappellera inévitablement de ces parties dans lesquelles nos choix n’étaient pas seulement guidés par une optimisation de nos coups.
Enfin, comment ne pas aborder la série TV britannique Black Mirror qui après chaque épisode nous confronte à la réflexion du « mais qu’aurais-je fait à leur place ? » (je ne sais pas pour vous mais c’est l’effet que me procure systématiquement cette série). Cette dernière nous pose des questions sur nous, d’une manière différente de This War of Mine et Secret Hitler dans lesquels les joueurs sont décisionnaires au cours de la partie, mais via une approche similaire dans la démarche et dans ce que cela déclenche chez nous.
Comme dans bien d’autres domaines, la démarche est importante car elle conditionne la façon dont les émotions, plaisir compris, se révèlent en nous. Alors ok, on tend peut-être vers la psychologie de comptoir voire de magazines reposant paisiblement dans la salle d’attente du médecin de famille, mais il serait dommage d’occulter ces petits malaises provoqués par une chose aussi insignifiante qu’un jeu. Ces petits « grattage dans les coins » sont également source de plaisir, un plaisir bien différent que celui de poser de la faïence portugaise dans sa salle de bain ou de faire deviner des codes à un gars qui ouvre son imper à tout va. Mais je m’égare…
Merci d’avoir lu tout ça. Ça ne sert peut-être pas à grand chose mais j’ai aimé en parler.
Et en plus, il n’y a rien à gagner !
P.S : cet article est paru sous le pseudo de Purple Brain mais c'est bien Benoît Forget qui vous parle. Si, si, je vous assure. Enfin je crois.