Au-delà du divertissement : Interview de Henri Kermarrec et Julien Prothière au sujet du Manifeste métaludique

Je lis ici plusieurs arguments d’opposition. D’un côté, celleux qui s’offusquent qu’on leur impose de réfléchir en jouant, ou qu’on leur interdise de juste s’amuser (je suppose que des auteurs du manifeste sont venus chez eux avec de grands couteaux pour les menacer, je suggère de porter plainte :grin:). D’un autre côté, celleux qui considèrent que ce manifeste enfonce des portes ouvertes et ne sert à rien. D’un autre côté encore, celleux qui s’en prennent principalement à la forme du propos, en accusant les auteurs de condescendance. J’en oublie forcément.

Je peux certainement adhérer à tout ou partie de ces arguments.

Mais pourquoi tant de haine ?

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Honnêtement, je vois dans les propos de ceux qui s’opposent, comme tu dis, beaucoup de sur-interprétation. Le manifeste ne s’oppose pas au divertissement. Il dit simplement que ce n’est pas la définition du jeu. Autrement dit, qu’un jeu (ou son auteur) peut viser à autre chose que simplement faire le jeu le plus divertissant possible. Quelques exemples simples : émouvoir (fil rouge), faire réfléchir à un sujet (par exemple l’urbanisme dans Link city), ou modéliser des dynamiques politique (de conflits asymétriques dans Root).

Les auteurs pensent qu’explorer d’autres dimensions pourra permettre plus de diversité dans la création ludique.

Je pense personnellement que ce propos devrait être peu sujet à controverse, et que beaucoup d’auteurs sont d’ailleurs déjà dans cette démarche et pas seulement récemment (Je ne crois pas que le manifeste se prétende révolutionnaire et inédit) et que ce genre de réflexions est à l’origine de pas mal de jeux originaux de ces dernières année. Je pense notamment à la transcription en jeux plus grands publics des systèmes COIN (ROOT, Kauri), à l’explosion des jeux narratifs et des jeux legacy, à mon avis issus de réflexions similaires sur les limites du média jeu de société pour raconter des histoires. Pareil pour les jeux coops qui ont à un moment questionné un paradigme dominant.

Je peux au mieux comprendre que certaines formulations soient un peu perçues comme élitistes, mais même là je vous trouve durs.

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Ça veut dire quoi le plus divertissant possible. Il n’y a nulle part de manifeste des éditeurs de faire le jeu le plus divertissant possible. Les œuvres que tu évoques sont également destinées au divertissement et le fait de “réfléchir” à un thème n’en fait pas moins un divertissement. Tu peux souhaiter ajouter ce que tu veux au divertissement, tu ne peux pas enlever celui ci au jeu. C’est la base. C’est intrinsèque. Un dispositif réglé qui ne viserait pas cela a minima ne serait pas un jeu. C’est dans la définition. On vit avec des tas de dispositifs réglés qui ne sont pas des divertissements et ce ne sont pas des jeux :
L’état, les règles de fonctionnement du forum, un énoncé de devoir sur table un contrat de travail…

Donc en cela le manifeste enfonce des portes ouvertes sur ce point.
Divertissant ce n’est pas synonyme de léger.

Édit : Je viens de finir de lire ton message.

Il n’y a pas de controverse sur le fait de vouloir mettre des choses diverses dans un jeu mais on ne peut pas lui retirer le divertissement (au sens donné par faidutti)

Je débarque comme un cheveu sur la soupe, je n’ai pas tout lu donc je ne connais pas les avis de chacun. je réagis comme notre époque c’est si bien le faire sans écouter l’autre ^^ et je tombe dans le même piège.

Citation
Divertissant ce n’est pas synonyme de léger.

Pour certain si. Ce n’est pas grave, mais ça ne peut pas être que ça.

OK, en vrai je suis assez d’accord avec ça et je peux admettre une certaine maladresse dans le propos du manifeste “Le jeu de société n’est pas défini par le divertissement”. On devrait plutôt dire : “le jeu de société ne se réduit pas au divertissement”. C’est dans le titre du topic, d’ailleurs : “au-delà du divertissement”. :slightly_smiling_face:

La difficulté, c’est que le terme de “divertissement” est polysémique et on peut mettre divers degré derrière. Toute oeuvre d’art est divertissement, dans le sens où elle va créer un moment en dehors du réel, où le spectateur s’oublie.
Pour autant, toute oeuvre d’art n’a pas forcément vocation à faire passer “un bon moment” à son spectateur, et je ne vois pas pourquoi il en serait autrement du jeu. En littérature comme en cinéma, l’œuvre cherche parfois à provoquer et mettre mal à l’aise son récepteur. Les films qui m’ont le plus marqué sont ceux qui m’ont aussi secoué, pas ceux qui m’ont fait passer “un bon moment”.
Mais oui, c’est du divertissement, d’une certaine manière. Les romans de Zola cherchent certes à peindre de façon naturaliste la société du XIXème siècle, mais ils cherchent AUSSI à être des romans, à raconter une histoire qui va intéresser le lecteur, à avoir son lot de rebondissements etc.

En nous rendant acteur de l’oeuvre et en créant une expérience de groupe, le jeu de société est un média qui a une manière unique de véhiculer des émotions. Aujourd’hui, cette faculté semble singulièrement sous-exploitée dans l’offre commerciale. Je pense que c’est surtout ça que déplorent les auteurs du manifeste en disant “on peut faire autre chose que du divertissement” (sous-entendu : on peut faire PLUS que du divertissement).
On peut d’autant plus le déplorer que le jeu vidéo semble avoir des années-lumière d’avance là-dessus.

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Là on se retrouve. Mais je pense que ça va être exploité de plus en plus de façon naturelle. L’offre ne fait qu’augmenter.

La satire présente dans GTA n’a à peu près aucun équivalent dans le JDS, et pourrait-elle en avoir un ? La grande force du JV par rapport au JDS c’est sa capacité de mise en scène qui peut faire comprendre assez directement qu’on est dans une forme d’humour qui vise le détournement. Dans le JDS en général, le joueur ou la joueuse est acteur ou actrice à 100% alors que dans un GTA, la partie purement satirique s’impose surtout dans les cinématiques, par conséquent, la manière d’appréhender la thématique est beaucoup plus à l’appréciation du groupe de joueurs/ joueuses dans le JDS que dans le JV selon moi.

Les études sur l’utilisation des jeux en tant que vecteur d’apprentissage montrent très rapidement les limites d’un tel apriori (Voir Vincent Berry, Romain Vincent sur ces questions). Dans le cas d’une classe, il faut que le jeu s’inscrive dans un cadre très précis pour qu’il puisse y avoir apprentissage, et finalement le jeu s’efface au profit d’informations qui pourraient être données dans un cours plus classique. Donc dans un cadre informel, en réalité, le jeu prendrait très rapidement le dessus sur la “réflexion” ou “l’apprentissage” pour devenir avant tout un exutoire.

Et d’ailleurs tout dernièrement il y a eu une controverse d’un jeu en classe cherchant à gamifier l’apprentissage de la Shoah. Le constat est sans appel, non seulement le cadre d’apprentissage est mauvais, mais en plus il implique les élèves au point de leur donner la position de bourreaux sans que ces derniers puissent s’imaginer ce que ça implique. En faire un jeu même sérieux avec des dilemmes moraux n’est peut être pas la meilleure des idées. Mais la mode de la gamification prend le dessus sur le questionnement de donner accès à un tel rôle.

Pour finir, mon point n’était pas tant de défendre les changements thématiques pour expliquer par logique qu’on pourrait solidifier des connaissances plus actuelles sur un thème mais plutôt appréhender en quoi notre habitude de jouer -par exemple- avec la colonisation (tout court ?) en Afrique s’inscrit plus largement dans un imaginaire occidental et colonial très peu remis en question vocalement, même si on voit qu’au niveau éditorial ces questions sont tout de même plus d’actualité qu’il y a 20 ans.

En lisant l’interview sur ludovox, et en lisant le texte du manifeste , je n’ai pas l’impression qu’il s’agit d’imposer. Mais plutôt de proposer…
Ensuite je vois une levée de bouclier et des auteurs qui tentent de se défendre (certaines phrases sont maladroites sans doute).
Mais encore une fois je ne perçois pas d’intention de hiérarchiser le bon et le mauvais j2s

On est d’accord :slight_smile:

Perso c’est ce que j’ai compris , sinon je comprends les crispations

J’ai pensé aussi à Alice is missing

Oui on est d’accord. Peut être auraient-ils dû l’écrire comme cela …

Donc ils auraient dû écrire « Bonjour les gens, je m’excuse de vous demander pardon, voilà, je me disais comme ça avec des copains que, peut-être, on pourrait imaginer que le jeu ne soit pas seulement juste que un divertissement, mais bon, juste comme ça, hein. »

Eh, c’est un manifeste. Alors oui, il y a un parti pris pérenmptoire dans la formulation, c’est un peu le principe si on veut diffuser ses idées. Je reste très surpris de la violence des réactions que cela entraîne.

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Quand on utilise un mode péremptoire pour convaincre du bien fondé de son initiative il ne faut pas s’étonner, au vu de la signification de ce mot, que la réception du message provoque des réactions négatives voir des crises d’urticaire chez certains :slight_smile:

Personnellement je trouve qu’ils font de la branlette intellectuelle avec ce manifeste, le fond qu’ils décrivent très maladroitement et de manière contre-productive fait pourtant sens et est déjà mis en oeuvre par plusieurs acteurs depuis de nombreuses années. Je dirai que pour les personnes qui sont attachées aux buts qu’ils cherchent à défendre qu’avec des amis comme ça t’as plus besoin d’ennemis :slight_smile:

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La base présentée, qui plus est, se trouve être un tract (flyers) qui va être distribué à Cannes
C’est donc succins

Du coup j’espère que les auteurs du manifeste ne vont pas se faire péter la gueule en déambulant entre les stands cannois :grin:

Là pour le coup j’aurais tendance à dire qu’ils sont tranquilles, les gens globalement osent moins dire les choses en face que devant leur clavier… :grin:

Mais ils risquent d’avoir les oreilles qui sifflent c’est certains

Tu suggères que les gens sont lâches ? :grin:

Je commence à kiffer grave ce sujet :stuck_out_tongue_winking_eye:

(je déconne hein, je pense qu’on saisit tous ce que qu’Eyridïl veut dire)

Edit : j’étais complètement passé à côté de la sortie d’Alice is Missing, je viens d’aller lire quelques trucs dessus, c’est vraiment très tentant.
:+1: pour le coup de projecteur

Moi, j’aime pas qu’on me dise ce que je dois faire ou penser quand je joue. Je ne vois aucun mal à faire un “produit” de pur divertissement tant que l’auteur ne se fout pas de la gueule du joueur (et c’est valable dans tous les médias culturels). Et j’aimerais beaucoup savoir d’où sort le “95% des jeux sont du divertissement pur”. Pour finir, je suis peut-être un peu bas du front mais je ne vois pas où les auteurs veulent en venir avec ce manifeste…

A priori, ils ne veulent pas en arriver à ça.