Panda spin est sorti cette année, avec une rupture assez rapide et un retour sur les étals récemment. L’occasion de faire une petite rétro des productions marquantes de cet auteur atypique
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La gloire de Rome, les fondations
Son premier jeu sort en 2005 chez un petit éditeur, Cambridge Game Factory, dans une boîte plastique qui semble toute droit sortie du rayon frais d’un supermarché
. Les illustrations sont dans la même ambiance : des dessins mêlant clipart et personnages cartoon qui donneraient presqu’envie aujourd’hui de demander à une IA de revoir tout ça.
Mais qu’importe, aussi peu avenant que soit le visuel (et aussi parce qu’à l’époque on s’intéressait plus à la mécanique qu’au look
), il fait le travail et nous empêche nullement de découvrir la pépite qu’il habille.
La Gloire de Rome est un jeu de construction de tableau : on va construire son quartier romain à base de cartes apportant des pouvoirs. Il s’appuie sur le système de rôle à la Puerto Rico (sorti 3 ans avant) : un joueur choisit une action, les autres pourront faire la même. Le twist, qui deviendra une des marques de fabrique de l’auteur, c’est le multi-usage des cartes. Elle peuvent servir de matériau, de bâtiment, d’action, de bonus de renfort, de PV, d’influence selon leur position. Un système que La Granja reprendra. Les cartes vont circuler entre les joueurs au travers d’un espace commun au milieu de la table.
Le jeu commence doucement, puis rapidement on arrive à des effets de plus en plus explosifs et jouissifs. Le système de partage de carte est au cœur de l’interaction et du contrôle stratégique. Le pendant de ce système, c’est qu’entre connaisseurs il peut y avoir des positions attentistes pour éviter d’ouvrir des opportunités aux autres. Un petit bémol, pour un jeu à part ça extrêmement riche et interactif.
Le jeu va faire heureusement peau neuve, doublement: il va parvenir en Europe sous 2 versions : La Gloire de Rome chez Filosofia (quasi identique mécaniquement à l’original), Uchronia chez Iello (changements plus notables ayant tendance à un peu brider le jeu).
Innovation, le chef d’oeuvre 

Par la suite, Carl Chudyk va travailler essentiellement avec l’éditeur Asmadi en commençant par Innovation. Souvent comparé avec La Gloire de Rome au début, les jeux n’ont mécaniquement rien à voir. On est ici dans l’esprit d’un jeu de civ, mais concentré uniquement sur les innovations de l’antiquité aux temps modernes, en s’appuyant sur seulement des cartes répartis en 10 paquets et 5 couleurs. On est dans un système mécaniquement épuré : 2 actions à son tour parmi “piocher, poser, activer, valider une domination”. L’auteur réussit, encore plus qu’avec La Gloire de Rome, le tour de force de proposer quelque chose d’à la fois chaotique et tactique. C’est un jeu curieusement très thématique dans les mécanismes de l’innovation : le joueur doit ainsi naviguer entre exploitation pragmatique de ses avantages et approche créative quand il faut bousculer les choses pour progresser. L’interaction navigue elle aussi entre deux approches, les joueurs étant tantôt coopérants, tantôt agressifs.
Pour la VF, c’est Iello qui s’était mis à l’oeuvre, proposant le jeu de base et la première extension Echos. Depuis divers coffrets sont sortis incluant de nombreuses extensions, le dernier devant débarquer en VF malheureusement (ou heureusement selon les écoles) avec les graphismes de Asmadi ( qu’on qualifiera de moche ou fonctionnel, ou les 2 à la fois
)
Impulse, le mal aimé
Après les 2 beaux succès de La Gloire de Rome et Innovation, le nouvel opus de Carl Chudyk était forcément attendu avec un beau challenge : en s’appuyant essentiellement comme matériel de base sur ses cartes fétiches multi-usages, proposer ni plus ni moins qu’un 4x spatial !! Et techniquement, c’est réussi : on est sur un système un peu comme le récent Pirates de Maracaibo avec un paysage de cartes sur lesquels les joueurs vont se déplacer pour prendre/remplacer/exploiter des cartes. On peut d’ailleurs distinguer les ingrédients d’un 4X : eXploration des cartes, eXpansion en développant son économie de cargos, eXtraction en développant des technos et en générant des ressources et enfin eXtermination en détruisant les vaisseaux adverses. Mécaniquement on retrouve l’idée des actions partagées chères à l’auteur avec un système d’Impulse : une rivière d’action commune que les joueurs alimentent à leur tour.
Le jeu n’a pas rencontré un aussi vif succès que ses ainés. Est-ce le matériel cheap (les cartes étaient accompagnées de petits vaisseaux en plastique) pour un style de jeu où on s’attend à du matériel imposant
? Le look minimaliste de Asmadi qui tempère les localisations ? Pour ma part, j’en ai fait une dizaine de parties. Mon seul reproche serait que contrairement aux 2 prédécesseurs où le tour d’un joueur est très simple, ce qui laisse de la place pour les combos explosifs, ici le tour peut être à rallonge : 4 actions dans la rivière d’Impulse + des projets en réserve qu’on peut activer + les effets de jeux. En individuel le système d’Impulse a aussi un peu le défaut de *La Gloire de Rome, avec un aspect attentiste pour ne pas laisser des occasions trop belles aux autres. Heureusement, la règle propose un très bon mode par équipe où, justement, les équipiers partagent par l’impulse des actions communes à bien synchroniser.
Red 7, le minimaliste
Changement de cap avec Red 7. Si pour les 3 précédents on était dans un gabarit poids initié/expert, ici Carl Chudyk s’attaque au petit jeu de cartes tout public, avec toujours son sens du twist des cartes. Dans Red 7, il reprend un peu l’idée d’un Fluxx avec des conditions changeantes de victoire. Chaque carte représente une valeur et une condition de victoire. À son tour, le joueur doit poser une carte devant lui et/ou une carte au milieu de la table en condition de victoire. Il doit par l’une des poses remporter la condition indiquée, sinon il est éliminé.
Simple, malin, c’est un jeu qui curieusement marche bien, est très original, mais dont on ne parle pas tant que ça. A titre perso, j’apprécie sa mécanique mais j’ai toujours l’impression de subir un peu la pioche. Mais je n’y ai pas joué énormément, donc je suppose un manque d’expérience de ma part plus que la qualité du jeu
Aegean Sea, le cryptique

Retour avec Aegan Sea à un gabarit de jeu de ses premiers amours. L’idée ici est la gestion et le contrôle d’îles grecques avec toujours la matérialisations des éléments par des cartes multi-usages. On va ainsi avoir sur l’espace de jeu plusieurs zones de cartes représentant îles, bateaux, populations, marchandises. Asmadi a fait un petit effort sur les visuels même si malheureusement ça ne concerne que 5 dos. Le jeu est assez complexe à aborder, non pas par ses règles, relativement simples, mais par la manière de faire les choses et surtout les enchainer. On va devoir faire plusieurs actions sur une île pour en tirer des Points de Victoire sachant qu’il faudra avoir le contrôle de l’île pour en tirer partie. Contrôle qui est loin d’être acquis.
C’est clairement le jeu le plus technique de l’auteur (voir les quelques échanges sur [Aegean Sea] Carl Chudyk / Fin 10 novembre / BackerKit), et j’avoue ne pas avoir poussé plus loin même si la promesse est pourtant belle.
Panda spin, Carl marque le pli
Petit dernier de cette série. Carl Chudyk s’est souvent attaqué à des styles de jeux pour les réinterpréter à sa manière : construction de tableau, civilisation, 4 X, Uno-like, contrôle de territoire. Il n’est pas étonnant de le voir récemment suivre la vague des jeux de plis/levées avec Panda Spin.
A nouveau une histoire de twist, ici le principe est que si on ne remporte pas un pli, selon les conditions de celui qui ouvre, on récupère les cartes en les retournant pour avoir une version plus forte. C’est donc un jeu un peu comme Scout ou Odin, ou l’enjeu va être autant de se débarrasser de ses cartes que de bien préparer ses combinaisons. C’est un jeu qui demande clairement un peu de pratique pour bien l’apprécier, commencer à maitriser le tempo, la manière de garder une main, finir une manche.
Et enfin pour une fois, il est beau
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Carl Chudyk a réalisé quelques autres jeux, mais qui ont moins de succès peut-être à tort ( je pense à Blood of the Northmen, qui est un jeu de tuiles où les tuiles sont à la fois des morceaux de paysage, des unités et des actions). Il a dans ses divers productions toujours ce fil conducteur de proposer des jeux avec plein d’effets multiples. Et par un jeu de compensation, non seulement tout cela tient debout, mais en plus il se dégage de ce maelstrom de pouvoirs quelque chose d’assez unique, indécelable à la simple lecture de règles. L’auteur est discret et on sait peu de chose de sa démarche. Carl Chudyk fait partie pour moi de ces artistes du jeu, ceux qui ne se contentent pas d’empilements mécaniques sans âme mais qui visent une cohérence, une identité à leur oeuvre :). J’attends donc avec impatience la suite de ses créations, avec je l’avoue, une attente particulière pour un jeu de l’étoffe de Innovation
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