[CVC!#15] - Ça Vaut le Coup ! - Gyges : Jouer pour l'enfermement des pièces adverses

[Gygès]

Photo d’ensemble du plateau avec les pièces de taille 1, 2 et 3 en bois

Ca Vaut le Coup !

Enfermer les pièces adverses

Bienvenue dans ce 15e épisode de Ça Vaut le Coup ! , la série dont les épisodes sortent désormais aléatoirement, et qui vise à présenter des aspects tactiques et/ou stratégiques précis sur des jeux spécifiques.

Et pour ce retour après une longue absence, quoi de mieux que de parler d’un jeu qui lui aussi commence à dater (et oui, 20 ans déjà…), à savoir Gygès (admirez au passage la finesse et la subtilité de l’introduction :grin: ).
Et nous essayerons dans les futurs paragraphes de définir une stratégie longs termes simple à mettre en place pour prendre l’avantage en entravant les déplacements les déplacements des pièces adverses.

Introduction

Les jeux abstraits comme Gygès, après quelques (dizaines de :wink: ) parties d’adaptation, présentent souvent la même difficulté : trouver un coup pertinent alors qu’il n’existe aucun gain direct ou aucune menace adversaire évidente. Car si, après s’être familiarisé avec les déplacements des pièces et leurs rebonds, il devient relativement aisé d’exploiter une faille flagrante laissée par une grosse erreur adverse, il est beaucoup plus complexe de réussir à provoquer intentionnellement une situation dans laquelle notre opposant n’aura plus moyen de défendre, même en jouant parfaitement.

Aujourd’hui, à travers l’étude d’un exemple précis (et de quelques autres parcourus rapidement en bonus), nous verrons donc une méthode assez basique mais relativement efficace pour essayer d’entraver les mouvements d’une pièce adverse en l’enfermant avec d’autres pièces, afin de prendre un avantage stratégique sur la partie.

L’importance du replacement

Dans Gygès, la mécanique de replacement (le fait de replacer n’importe où sur le plateau la pièce présente sur la case d’arrivé de notre coup au lieu de rebondir) est une option centrale pour permettre de maîtriser les déplacements sur le plateau. Elle permet notamment :

  • de déplacer une pièce sur une partie A du plateau tout en replaçant la pièce remplacée à un endroit B pour faire “d’une pierre deux coups” et améliorer sa position tout en créant simultanément une menace ailleurs,
  • de cibler précisément la case sur laquelle placer une pièce sans avoir besoin de s’y déplacer via rebond (il suffit alors de déplacer une pièce de taille X sur une pièce de cette même taille X et de procéder à un replacement pour avoir l’équivalent d’un déplacement complètement libre sur le plateau de la pièce d’origine),
  • de replacer des pièces en défense pour contrer des menaces adverses,

Le pré-requis évident pour pouvoir bénéficier de toutes ces libertés de jeu offertes par un replacement, est bien sûr qu’il faut que la pièce déplacée soit en mesure de faire un premier mouvement qui la conduise à atteindre une autre pièce du plateau.

Et c’est ici que notre stratégie de l’enfermement fait son entrée. L’objectif va être de cibler une ou plusieurs pièces adverses, et de déplacer ou replacer autour d’elles d’autres pièces, de manière à les couper de tout rebond possible. A terme, l’idée est que l’adversaire se retrouve avec une “pièce morte”, qui handicapera son jeu.

Illustration

Voici une partie jouée récemment qui va parfaitement illustrer le potentiel de nuisance de cette stratégie de l’enfermement sur l’adversaire.

Après quelques coups, la situation est la suivante :

Image_partie_1


C’est au joueur Sud de jouer. Pour l’instant le réseau du joueur Nord a, au premier abord, l’air relativement sain, avec toutes ses pièces qui convergent vers le point C5.

Remarque : en réalité le fait que Sud puisse accéder à la partie du réseau de Nord via le rebond C3C5, et que l’inverse ne soit pas vrai (Nord n’a pas accès à la partie du réseau de Sud), est déjà un signe fort d’avantage, mais cela n’est pas le sujet du jour ! :wink:

Dans cette configuration, la pièce de taille 3 située en A6 va être une cible toute désignée pour être victime d’un enfermement.

L’image suivante illustre les mouvements possibles et potentiels futurs de cette pièce pour accéder à une autre pièce du plateau.

Image_partie_2

Le constat est rapidement établi : les cases A5 et B5 sont cruciales pour le déplacement de cette pièce. Sud va donc jouer pour replacer une pièce sur la case B5 :

Image_partie_3

La pièce en A6 se retrouve maintenant quasiment enfermée : ses seules possibilités de déplacement sur une autre pièce seraient :

  • que la pièce située en B5 se déplace, mais elle est elle-même a demi enfermée,
  • qu’une pièce soit replacée en A3.

Mais Nord ne privilégiera aucune de ces solutions, et choisira à la place de la défense une solution plus agressive pour menacer de s’introduire sur le réseau de Sud et va à son tour enfermer une pièce adverse, la pièce en A1, en plaçant une pièce de taille 1 en B2 :

Image_partie_4

Conscient du désavantage à long terme que peut représenter une pièce enfermée, Sud déplacera la pièce en C1 pour libérer un chemin à la pièce A1 par la suite.
Après quelques coups, la situation a empiré pour Nord qui a défendu tant bien que mal mais qui subit de plein fouet l’initiative de l’attaque de Sud :

Image_partie_5

L’image précédente illustre bien la problématique :

  • Le joueur Nord a répondu à la tentative d’enfermement par des contre-attaques mais qui ne mettaient pas de pression fortes, et a donc subi cet inconvénient toute la partie sans chercher à s’en soustraire. Plusieurs coups plus tard, lorsque le nombre de pièce jouable diminue, ce désavantage devient de plus en plus fort.
  • Le joueur Sud a joué pour libérer sa pièce A1 enfermée. Il doit cependant rester prudent, car cette même pièce A1 reste éventuellement “fragile”. En effet, un replacement en B1 ou en C1 pourrait couper son seul chemin vers un rebond.

Image_partie_6

Le joueur Sud fait donc le choix de déplacer en premier sa pièce le plus sujette à un enfermement potentiel, pour conserver sa pièce la plus mobile en E1 avec plusieurs chemins de déplacement indépendants.

Image_partie_7

Ici, la pression est trop forte, et le joueur Nord n’a plus aucun coup de défense.

Remarque : la partie présentée ici n’est évidemment pas théoriquement optimale et sans erreur, au contraire. L’objectif de cette illustration était juste de faire sentir à plusieurs moment du jeu la contrainte à long terme que peut être une pièce enfermée pour un joueur, et de survoler rapidement comment il était possible de jouer autour en attaque et en défense.

Cibler les pièces adverses à enfermer

Pour réussir à mettre en place une stratégie d’enfermement efficace, il est déjà nécessaire d’identifier au préalable des “cibles” adéquates.

Par nature, seules les pièces de taille 2 et 3 peuvent être enfermées (les pièces de taille 1 se déplaçant d’une seule case, il est impossible d’intercaler une autre pièce entre leur case de départ et d’arrivée).
Afin de couper leur trajectoire, il est efficace :

  • pour les pièces de taille 2 de placer une pièce juste “devant” elle,
  • pour les pièces de taille 3 de placer des pièces deux cases “devant” elle et/ou en diagonale (étant donné quand faisant “une boucle” par la gauche ou la droite, les pièces de taille 3 peuvent atteindre la case devant elle).

De plus, les pièces situées dans les coins du plateau ont mathématiquement moins de possibilités de mouvement. Elles constituent donc de bons candidat à la mise en place d’un enfermement.

Remarque : il me semble plus facile d’essayer d’enfermer à longs termes les pièces de taille 3 en priorité.


Quelques exemples de situation…

replacement_enferme_2
Ici la pièce B1 est enfermée, et la pièce D1 n’a qu’un seul rebond, le joueur Nord a donc très peu de liberté.


replacement_enferme_5 replacement_enferme_6
Sud joue pour l’enfermement de la pièce E1. Même si le coup ne menace pas le but adverse directement, l’idée est toujours de limiter au maximum les libertés de l’adversaire.


enfermement_deuxieme_ligne
L’enfermement ne concerne pas forcément uniquement les pièces de la ligne adverse. Ici, c’est la pièce C5, un des points centraux du réseau de Nord, qui est victime d’enfermement.


Ce petit tour d’horizon est loin d’être exhaustif, mais permet d’illustrer encore une fois les nombreuses opportunités de cette stratégie de l’enfermement.

Variante avec un replacement sur une case enfermée

Le principe reste le même - tirer parti de l’enfermement d’une ou plusieurs pièces adverses - mais au lieu de simplement essayer d’enfermer une pièce déjà présente sur la ligne adverse, la situation d’enfermement est créé en replaçant directement la pièce sur une case ou elle n’aura pas de liberté.

replacement_enferme_4 replacement_enferme_3
La pièce C4 est directement replacée en C1, ce qui permet à la fois d’enfermer la pièce B1 et de créer directement une pièce enfermée en C1 !


replacement_enferme_7 replacement_enferme_8
idem ici, avec le replacement en D1 d’une pièce de taille 3. La pièce C1 n’est pas enfermée à proprement parler, car elle a un rebond en C2, mais l’étau commence à se resserrer…

Se défendre face à l’enfermement

Evidemment, il n’est pas suffisant de réussir à créer des situations d’enfermement chez l’adversaire, il est aussi nécessaire de réussir à éviter les enfermements contre vos propres pièces, sous peine de subir à votre tour les mêmes déboires.

Réussir à enfermer complètement une pièce demande du temps (souvent plusieurs coups), et il est donc possible de réagir avant que la situation ne devienne critique.
Quelques possibilités déjà évoquées précédemment dans l’article :

  • déplacer une pièce enfermée,
  • déplacer une pièce avant qu’elle ne soit complètement enfermée,
  • replacer une pièce pour donner un nouveau rebond à votre pièce enfermée,
  • replacer votre pièce enfermé si une pièce d’une autre taille peut rebondir dessus (par exemple, si votre pièce de taille 3 est ou menace d’être enfermée, la remplacer par une pièce de taille 2 si c’est possible peut complètement casser l’enfermement).

Les solutions seront à chaque fois très contextuelles, pas de méthode universelle hélas (ou plutôt heureusement pour la profondeur du jeu ! :wink: ), l’important étant d’anticiper et reconnaître les situations à risque en amont pour avoir le temps de les désamorcer.

Si votre situation vous semble délicate, et que les menaces d’enfermement sont réelles, il est souvent préférable de jouer “défensif” : ne pas forcément chercher à créer de menace chez l’adversaire, mais vouloir en priorité replacer nos pièces correctement.
Jouer ainsi laisse l’initiative à l’autre joueur, mais mieux vaut accepter de défendre une position “saine” et attendre l’occasion d’inverser la tendance que jouer une attaque faiblarde et non décisive avec des bases instables. Et subir le retour de flamme quelques coups plus tard lorsque l’adversaire aura aura désamorcé vos tentatives d’agression.

A Gygès, le premier qui attaque trop fortement sans jouer “long terme” est aussi celui qui prend des risques si son attaque n’aboutit pas et s’essouffle. Plus il déplace ou replace de pièces en attaque, moins il conserve de pièces jouables sur sa ligne et donc de possibilités d’action. Et si parmi ses dernières pièces, le joueur compte une pièce complètement enfermée, cela présentera un sérieux handicap.

Conclusion

Enfermer les pièces adversaires est donc une stratégie à long terme pouvant s’avérer redoutable. Elle peut être construite sur plusieurs coups, mais le replacement direct en situation d’enfermement est aussi une occasion à saisir.

Reconnaître ces situations est donc primordiale, tant pour les exploiter et en retirer un avantage que pour faire avorter les tentatives adverses.

Bien sûr, cette stratégie n’est pas incontournable, et beaucoup d’autres éléments rentrent en compte dans une partie de Gygès (qualité générale du réseau, variété des pièces disponibles, couverture des cases, etc.). Mais elle peut être un axe possible pour développer un plan d’attaque lorsque aucun coup “évident” et direct ne ressort.

Ça Vaut le Coup d’essayer !

Pour retrouver d’autres éléments sur Gygès, je vous renvoie au sujet dédié qu’un trictracien que j’apprécie beaucoup ( :grin: ) avait ouvert il y a déjà quelques temps :

Mais si Gygès n’est pas votre tasse de thé (ça m’attriste quand même un peu, mais je vous pardonne sans problème :grin: ), vous pouvez aussi retrouver les autres épisode de la série Ca Vaut le Coup ! en cliquant juste ici : tous les épisodes des Ça Vaut le Coup !

5 « J'aime »

Un jour je me suis fait inviter sur BGA pour jouer à Gygès, je me suis pris deux/trois fessées et j’y ai jamais rejoué :grin:.

De souvenir, c’est un des jeux favoris de @bruno-des-montagnes !

2 « J'aime »

Super article qui donne bien envie :heart:

Gyges, c’est un monument du jeu abstrait :wink: