Je voulais vous parler de Mikhaïl Boulgakov dont je viens d’achever une lecture assez complète (merci les éditions de la Pléiade), mais je me sens soudainement incapable de communiquer tout ce que son oeuvre a pu me faire ressentir.
Il y a évidemment un biais. J’ai toujours eu une attirance pour l’histoire de l’URSS et un certain intérêt pour le fantastique. Voir mêler les deux d’une façon aussi brillante ne pouvait que me réjouir. Cela va pourtant bien au-delà.
J’ai lu deux fois Le Maître et Marguerite. Je pourrais le relire et y trouver encore des choses à en tirer. C’est un chef-d’oeuvre, sans hésitation, qui parvient à réunir tellement de thèmes. C’est une réflexion sur la foi, une satire de l’URSS, un récit fantastique, une magnifique histoire d’amour. C’est beau, c’est d’une incroyable densité et c’est surtout superbe à lire.
J’ai lu deux fois La Garde blanche. Roman historique, saga familiale, plongée dans l’histoire sanglante et dramatique de Kiev en 1919-1920, qui se voulait une suite et un hommage au Guerre et Paix de Tolstoï. Il y a une force dans les descriptions, un souci du détail, des personnages tellement vivants et une atmosphère crépusculaire qui vous happent tout au long de la lecture.
A côté de ces deux grands livres, je me suis régalé en lisant Les Oeufs du destin, une histoire fantastique, qui fait penser à du H.G. Wells par son ancrage dans une réalité sociale. C’est souvent drôle, parfois effrayant, toujours écrit dans un style d’une limpidité tellement évidente.
Je peux parler aussi de Coeur de chien, roman qui mélange aussi fantastique et description du quotidien moscovite des années 1920, où un chien devenu homme à la suite d’une opération (décrite avec des détails qui rappellent de Boulgakov était médecin et donne des sueurs tant elle est crue) entre en conflit avec son “créateur”, un médecin qui lutte pour préserver son appartement dans un contexte de collectivisation des logements. Comme ailleurs, critique du régime, humour et fantastique cohabitent dans un équilibre parfait.
Il y a aussi Carnets d’un jeune médecin, roman semi-autobiographique racontant la prise de poste d’un médecin fraîchement diplômé dans un petit dispensaire de la campagne russe. Récit initiatique, réflexion sur le rôle et la place du médecin de campagne, considérations sur l’état sanitaire de la Russie de l’époque. Pas du tout de fantastique mais beaucoup de situations tragiques.
Morphine exploite la même veine. La nouvelle raconte la déchéance d’un médecin de campagne (encore), incapable de surmonter son addiction à la morphine, dont à souffert Boulgakov. Forcément, on sent le vécu. C’est touchant et plutôt déprimant, mais quelle talent de conteur.
Je passe rapidement sur les pièces de théâtre et sa belle Vie de Molière, sur les récits écrits pour gagner sa croûte dans diverses revues, souvent très drôles, toujours avec un sens de l’économie des mots et un génie pour trouver la formule qui en exprime beaucoup avec peu. Quand on voit le niveau de ce qu’il écrivait en se faisant violence et contraint par la nécessité, on ne s’étonne pas que les romans qu’il a conçus avec toute son âme et tout son coeur soient de tels monuments de la littérature.
Le problème avec des écrivains comme Boulgakov est qu’après, on trouve tout le reste fade.