Disons qu’en SF, nous n’avons pas été très gâtés il y a une cinquantaine d’années. On peut s’estimer heureux d’avoir eu des traductions, mais beaucoup de romans étaient traduits par des traducteur de polars qui en faisaient 50 par an… Ils n’avaient pas forcément le vocabulaire ou la connaissance des idées nécessaires, et ne prêtaient pas une grosse attention au style. Et pire, quand un passage les gonflait, ils n’hésitaient pas à le supprimer. Il y a des cas où il manque un quart du roman…
En somme, de manière générale, pour la SF, je vous recommande de toujours préférer les traductions récentes ou les traductions révisées.
Concernant Lovecraft, il y a de belles traductions récentes parues chez Bragelonne qu’en grande partie je préfère aux traductions « historiques ». Et il y a l’immense travail de David Camus qui, je l’espère, sortira bientôt.
Pour la littérature plus générale, et des romans comme Nous ou 1984, j’ai beaucoup moins d’expérience. J’ai vraiment beaucoup aimé la nouvelle traduction de 1984. Je l’ai trouvé très forte. La traductrice a fait le choix de transposer le texte au présent et je trouve que c’est une excellente idée. On lui a reproché certains choix comme Néoparler à la place de Novlangue, et pourtant… dans l’annexe du roman qui traite de la création du Néoparler, on y mentionne bien la nécessite de saccager la langue par des constructions impropres voire infantiles. Un mot devra être préférer à un autre chaque fois qu’il sera plus facilement compris par un peuple dont l’horizon du langage et de la pensée est plus réduite à chaque nouvelle édition du dictionnaire. Et donc, Néoparler me paraît tout à fait idéal.
Nous, c’est un texte que j’ai trouvé trop « étranger » pour moi. Il est issu d’une culture, d’une époque, et d’une langue très différentes des nôtres. J’ai essayé les deux traductions (et je crois qu’il en existe aussi une 3e), et j’ai préféré la plus récente. Je suis bien incapable de dire quelle traduction est la meilleure (pour le russe c’est très difficile; le même débat existe pour Dostoievski) mais au moins elle est plus accessible (aux deux sens du terme).
Donc, oui, l’époque et le traducteur influent grandement sur le style de la traduction. Et oui, je pense que certains romans gagnent à être traduits parce que le traducteur est un meilleur styliste que l’auteur.
Autant je trouve ça bien, autant ça me perturbe. Jusqu’à très récemment, de mon point de vue, le traducteur devait se contenter de traduire, pas en mot à mot évidemment, mais de façon à rendre la traduction la plus fidèle au roman, quitte à montrer que le roman dans sa langue originale n’était pas si intéressant. Hors là, la traduction est presque l’oeuvre d’une oeuvre, au même titre que l’adaptation d’un livre en film. Et autant, cela peut être intéressant, autant cela créé forcément des biais vis-à-vis de ce que l’auteur à voulu dire ou faire ressentir.
Ceci dit, des biais il y en a un paquet entre ce que l’auteur à voulu dire, ce qu’il a écrit, ce que j’ai lu, et ce que j’en ai compris…
J’ai moi-même traduit une partie significative d’un roman et ça m’a permis d’appréhender les problèmes qui se posent au traducteur. Évidemment qu’on ne traduit pas mot-à-mot, mais même rendre le style est parfois une tâche impossible, même avec une langue qui paraît aussi proche que l’anglais. L’anglais autorise des constructions impossibles à rendre en français. Le traducteur doit toujours faire des choix, et ensuite il est confronté à la nécessité de rendre ces choix cohérents entre eux.
Sur le forum de l’éditeur Le Bélial, Pierre-Paul Durastanti disait à propos d’un livre qu’un jour il avait été très ému de recevoir les félicitations d’un lecteur à propos de sa traduction. Il expliquait que pour trouver le ton juste, il avait dû refaire la traduction du premier chapitre plus de vingt fois. Ça donne une idée de la complexité de la tâche et de l’amour que Pierre-Paul Durastanti porte au travail bien fait.
Sans doute qu’en tant que lecteur, on aimerait une traduction qui colle le plus possible au texte. En réalité, depuis l’antiquité, il existe deux courants de pensée en matière de traduction : soit on colle au style de l’auteur, soit on colle à sa pensée. Et vous serez peut-être surpris, mais quand on colle au style, la traduction apparaît simplement mauvaise au lecteur, parce qu’en bon français, on n’écrit pas comme ça. Mais en plus, on n’est même pas sûr de réellement coller aux idées.
À l’oral, on ne parle plus de « traducteur », mais d’« interprète » et je trouve que c’est un excellent terme. Interprète renvoie à la musique et au théâtre. Si un ami anglophone vous raconte, en anglais, une histoire et que vous la racontez à des amis Français, en français, vous produisez une interprétation du texte : vous racontez la même histoire, dans une autre langue, et adaptée au contexte culturel des auditeurs. C’est un travail qui est encore plus nécessaire si le texte d’origine provient d’un contexte culturel très différent, par exemple une histoire africain en Yoruba.
En somme, toute traduction est une interprétation et cette interprétation est bonne si elle véhicule bien les idées, si elle respecte le contexte, si elle respecte la langue du lecteur, et si elle est cohérente de bout en bout. Par exemple, vous lisez un texte traduit de l’anglais du XVIIIe siècle. Si vous avez le sentiment de lire un texte du XXIe siècle, vous allez penser que quelque chose ne va pas avec la traduction, mais si elle est conforme à votre idée de la langue française du XVIIIe siècle, vous allez y croire même si le style n’a pas de rapport étroit avec le style anglais de l’époque.
Donc, voilà. La traduction est bonne si on y retrouve les intentions de l’auteur : les idées, l’ambiance, les ambiguïtés aussi, et si le style est conforme à la langue du lecteur.
C’est pour cela que je trouve que la nouvelle traduction de 1984 est excellente. En transposant le récit au présent, elle ne colle pas au sens strict au style du texte d’origine, mais elle véhicule un sentiment de danger permanent, parce que l’histoire n’est pas racontée; ce n’est plus quelque chose qui a eu lieu, c’est quelque chose qui est en train d’avoir lieu; elle est vécue en direct par le lecteur, elle lui fait ressentir l’état d’esprit du personnage. Il n’y a pas d’avenir; il n’y a pas de futur à partir duquel on pourrait raconter cette histoire.
stueur dit :Bon, du coup, je vais creuser un peu avant de me jeter (ou non) à corps perdu dans ses 2 autres livres... Merci pour ton retour en tout cas!
D'ailleurs, je vais profiter de ta présence ainsi que de celle de lug et kenjin qui oint l'air de beaucoup lire en vo pour vous questionner sur les traducteurs. J'ai acheté en début de semaine Nous autres (ou Nous) de Zamiatine. Dans la librairie où je suis allé, il y a avait 2 éditions et le libraire m'a dit avoir lu les 2 et avoir grandement préféré la version plus récente (bien qu'ayant aussi beaucoup apprécié la plus ancienne) car elle était plus "facile" à lire.
Du coup, 2 questions :
- Pensez-vous qu'il faille lire les éditions traduites le plus récemment de manière générale où est-ce que cela dépend beaucoup du traducteur? Autrement dit, est-ce que l'âge de la traduction influe beaucoup sur le style de la traduction (vocabulaire utilisé, tournure de phrases...) ou non?
- Y a-t-il des traducteurs qui ont "pignon sur rue" ? Et est-ce qu'un traducteur peut rendre un livre bof-bof en bien et/ou inversement?
Je ne sais pas. Vu que je comprend bien l'anglais, j'essaie de me rabattre sur les livres originaux sans vraiment me poser la question de la traduction.
Je me pose la question au sujet de The Witcher par contre. Dans tous les cas je vais lire une traduction (je ne me sens pas d'apprendre le polonais). A priori, la traduction française est plus ancienne que celle en anglais, et je me demande laquelle est de meilleure qualité (i.e. la plus fidèle et la plus facile à lire). Si certains ont la réponse :)
Je suppose que je prendrais en français par défaut car c'est un peu moins fatiguant de lire en français qu'en anglais, même si je n'ai pas de problème de compréhension.
C est un sujet délicat la traduction en effet.En fantasy il y a des traductions qui sont vraiment très mauvaises celle qui me viennent en tete sont la 1ere de la Roue du Temps(je crois avoir lu que c est la veuve de Jordan qui a tout fais pour enlever les droits a la 1ere maison d édtion française).Il y a aussi la 1ere de l Epee de verité qui a très mauvaise réputation ou meme comme je crois l avoir déja dit Le Cycle des Martyrs.J ai aussi le souvenir d une traduction d Elric où Cymoril change 2-3 fois de couleurs de cheveux dans un volume.Après il y en des très bonnes comme Discworld.Car comme dit Pyjam pendant des années la SF et la fanatsy n étaient pas prise au sérieux et les traductions étaient faites “par dessus la jambe”.Je pense qu il faut quand c est possible choisir les traductions les plus récentes
J ai un très mauvais souvenir de the Witcher , j avais trouvé cela long et pénible , pour savoir quelle est la meilleure traduction , aucune idée je vais un peu fouiné
J ai enfin les 3 volumes du Problème a 3 corps , vu comme vous aimez je vais les lire bientot je pense , mais ça va etre dur de resister au Prince of Nothing(le Prince du neant mais je crois que ce n est plus édité en français) qui arrive bientot , une guerre sainte en fanatsy , deux timeline à 2000 ans d écart, tout ça sur fond d apocalypse.Apparement c est dense , touffu et bien dark, bref j ai hate de le lire aussi
Oui, la traduction, c’est souvent d’une complexité insoupçonnable. Et en particulier dans des genres comme la SF ou la fantasy (assez maltraités, en effet, en termes de traduction, jusqu’à récemment), parce qu’il faut souvent y faire preuve d’un surcroît de créativité : onomastie (les noms propres anglo-saxons sont très souvent chargés de sens), concepts inventés plus ou moins ésotériques, langues imaginaires, etc.
On parle de Roshar … on parle de traduction … alors parlons de Mélanie Fazi qui est aussi une auteure pleine de talents … ou “de la traduction de fantasy par des auteur(e)s approprié(e)s”.
https://www.melaniefazi.net/blog/livres/words-of-radiance-un-voyage-au-long-cours/
Alors c’est assez drôle, parce que le traducteur de Discworld (les annales du disque monde) a gagné pas mal de prix de traduction il me semble alors que l’humour british de Pratchett ainsi que ses jeux de mots permanent me semble être le summum de la complexité pour un traducteur. Après personnellement, j’aime beaucoup l’univers mais j’avoue que je trouve les livres un peu poussif à lire, et je me demande si ça ne vient pas de la difficulté à traduire.
@Agone , sympa l article en effet.Du coup tu as lus ces livres ça donne quoi ?
@stueur : si je ne trompe pas Pratchett et le traducteur français communiquait beaucoup ensemble , ce qui donne la qualité de la traduction
Les premiers sont pas terribles , ça s ameliore bcp par la suite
@lug : ok, je ne savais pas! Et du coup, ce sont bien les premiers tomes que j’ai lu. Expérience à réitérer avec un opus plus récent donc.
Si jamais tu as lu Mort , tu peux continuer le cycle avec Reaper Man(Le Faucheur) , sinon ceux qui sont souvent conseillé pour débuter ou recommentcer sont Guards!Guard!(Au guet) ou Small Gods(les petits dieux)
Je prend note!
Les annales du disque monde, ce sera pour plus tard, aujourd’hui c’est Le discours de Fabrice Caro.
Alors déjà, si vous ne connaissez pas Fab Caro, je vous invite très fortement à lire ses BD (dont Carnet du Pérou, Zaï Zaï Zaï Zaï, et Amour, Passion, et CX diesel) qui sont des chefs d’oeuvre du 9ème art! De même, il a déjà écrit un autre roman, Figurec, dont j’ai déjà parlé précédemment et qui est vraiment sympa.
Le pitch : lors d’un repas de famille, le beau-frère d’Adrien lui demande de faire un discours pour le mariage de la soeur d’Adrien. Cela va mettre le narrateur, Adrien, dans une situation difficile de part son tempérament et de par le fait que ce n’est ps le bon moment. Non, en ce moment, c’est sa “pause” avec Sonia qui l’obsède…
Mon avis : on est dans l’humour absurde et pathétique de Fab Caro, pas de doute! Néanmoins, je l’ai trouvé un peu moins inspiré que pour Figurec qui était vraiment original. Alors les punch lines sont bien présentes et font mouches, je me suis surpris à rire (pas sourire, rire franchement) lors de certains passages, mais le fond est plus limité (le discours et Sonia, point). Après, c’est court, il n’y a pas de prises de tête, on passe un bon moment, c’est bien écrit.
Si vous aimez Fab Caro, vous êtes en terrain connu. Si vous ne connaissez pas, je vous invite à débuter par l’une des propositions faites plus haut. C’est bien, mais il a fait mieux.
La BD Zai zai zai zai devrait être remboursée par la Sécu tellement c’est du rire pur.
On peut lire les premières planches de ce road-trip délirant par ici.
Euneffet !
znokiss dit :La BD Zai zai zai zai devrait être remboursée par la Sécu tellement c'est du rire pur.
On peut lire les premières planches de ce road-trip délirant par ici.
Tout à fait d'accord!
Fab Caro devrait être remboursé par la sécu
loule dit :Fab Caro devrait être remboursé par la sécu
Sous condition de présentation de votre carte de fidélité.
Ah mince, elle est dans mon autre short… je l’avais pris ce week-end, puis un peu sali en balade, j’ai donc changé ce matin, et… enfin, vous voyez ce que c’est…