Du racisme chez Hergé

Bon comme promis, je dérive d’un autre fil de discussion pour ouvrir ce sujet, je pense qu’il y a matière à un beau débat. :)
Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour dire que Tintin au Congo est un livre raciste. Je pense qu’Hergé lui-même l’a reconnu, des années après.
Maintenant, peut-on juger avec notre vision des choses et notre culture de 2014 un album sorti en 1930 ? A cette époque, la quasi-totalité des populations d’Europe occidentale n’était-elle pas raciste au sens où nous l’entendons maintenant ? N’oublions pas que l’école de la IIIe République glorifiait l’Empire colonial, présenté dans une sorte de mélange de fierté nationale et d’exotisme mystérieux. N’oublions pas aussi que des zoos humains ont existé jusqu’au début du XXe siècle.
Donc je me demande si Tintin au Congo n’est pas tout banalement un témoignage de son époque. Au fur et à mesure de sa carrière, Hergé a évolué, s’est documenté, et a fait évoluer son oeuvre… où l’on retrouve toutefois des stéréotypes assez grossiers au fil des albums.
Bref, j’avoue que je n’ai jamais réussi à me faire une idée totalement tranchée sur cette question. Je serai plutôt le tenant d’une ignorance européocentrée chez Hergé plutôt qu’un racisme conscient et assumé. N’oublions pas que le personnage de Tchang du Lotus bleu et de Tintin au Tibet (son plus bel album) est inspiré par l’un des meilleurs amis d’Hergé.
Qu’en pensez-vous ?

Pas grand chose.
L’album véhicule les a priori de racisme (ou de paternalisme plutôt) qui étaient la norme de l’époque.
Je me souviens d’un livre technique de radio des années 40 ou l’auteur présentait un materiel qui demandait une dynamo et donc quelqu’un pour pédaler. Il plaisantait sur la facilité pour ses lecteurs des colonies pour trouver quelqu’un a faire pédaler.
Je me souviens que quand j’étais petit, “y’a bon Banania” ne choquait personne. C’était les années 60.
Je me souvient des blagues de Michel Leeb et des blagues sur les belges de Coluche. Et c’était dans les années 80. (ben oui, si les blagues sur les noirs sont racistes, pourquoi celles sur les belges ne le sont elles pas ?)
Il est des sujets sur lesquels les valeurs ou la norme changent. Des fois, c’est en bien.

doublon

Mathias dit:
Qu'en pensez-vous ?

J'en pense ça :
Mathias dit:
Donc je me demande si Tintin au Congo n'est pas tout banalement un témoignage de son époque.

:wink:

Comme je l’ai dit sur un autre sujet, à partir du moment où l’on considère, comme c’est mon cas, que le racisme est inhérent à la nature humaine et que ne pas l’être est le fruit d’un effort plus ou moins conscient et plus ou moins difficile, l’attitude d’Hergé est particulièrement digne de louanges.
Partant de ce que tu appelles “ignorance européocentrée”, qui n’est autre pour moi que l’expression de son racisme essentiel, il aboutit, par étapes successives très visibles dans son oeuvre, à écrire les bijoux de la Castafiore, où, sauf erreur de ma part (je ne l’ai pas relu depuis longtemps), le message anti-raciste est clair et dépourvu des stéréotypes qu’il traîne encore dans Coke en Stock, pas si antérieur.
Après, que Tintin au Congo soit le reflet de son époque, que les choses évoluent, qu’il soit difficile de juger aujourd’hui des torts oeuvre octogénaire… ben, oui, évidemment.

grolapinos dit:Comme je l'ai dit sur un autre sujet, à partir du moment où l'on considère, comme c'est mon cas, que le racisme est inhérent à la nature humaine et que ne pas l'être est le fruit d'un effort plus ou moins conscient et plus ou moins difficile, l'attitude d'Hergé est particulièrement digne de louanges.
Partant de ce que tu appelles "ignorance européocentrée", qui n'est autre pour moi que l'expression de son racisme naturel et inné,

Je ne sais pas si on peut parle de racisme inné ...(personnellement je ne le pense pas), mais ce qui semble acquis c'est que progressivement le nourrisson perd sa capacité à distinguer des visages différents/ spéciaux au profit des visages familiers (parents). On perd donc notre capacité à distinguer des visages "rares". Notre profil Européen/ Causasien va donc avoir tendance à trouver que les Noirs ou les Asiatiques se ressemblent finalement tous... Pour ma part, je pense que celà facilite la tendance la globalisation, la stigmatisation et la discriminations des populations au visage/ physique différent.

Je connais le phénomène, mais est-il très corrélé à la question ? Je ne le pense pas mais sans doute n’as-tu pas la même idée que moi du racisme intrinsèque à la nature humaine.
Le mot “inné” est très doute mal choisi (je vois vers quoi ça va dériver sinon…). Je devrais dire “essentiel”. D’ailleurs, je vais me corriger :pouicboulet:

Je veux bien que tu me donnes ta définition de racisme intrinsèque paske racisme “essentiel” ça me parle pas du tout :stuck_out_tongue:
Quant à la corrélation, j’en arrive à la même conclusion que toi: il faut faire un effort pour dépasser tout ça ;)

Mitsoukos dit:Je veux bien que tu me donnes ta définition de racisme intrinsèque paske racisme "essentiel" ça me parle pas du tout :p
Quant à la corrélation, j'en arrive à la même conclusion que toi: il faut faire un effort pour dépasser tout ça ;)

Mais je n'ai même pas de définition correcte du racisme ! :pouicboulet:
Je pense que de façon essentielle (liée à notre nature d'homme), nous avons tous des instincts racistes : rejet, peur, généralisation, facilité à rejeter la faute sur l'étranger (l'arabe, celui du village d'à-côté, l'intellectuel, le parisien, l'intellectuel arabe parisien du village d'à-côté... :mrgreen:), j'aurais du mal à cerner tout ce que je pourrais mettre dedans. Que ce sont l'éducation, la culture, la connaissance, la confrontation, j'en passe encore, qui nous amènent à réfréner ces instincts, ou au contraire à leur donner libre cours.
Il me faudrait sacrément de temps et d'énergie pour développer de façon précise, d'autant que je n'ai pas non plus une idée très claire de ce que je pense, comme ça doit se voir pas mal.

Du coup, je comprends mieux le lien que tu fais. En effet, ce n'est pas si éloigné de ce que je dis finalement.

Nous sommes tous racistes à la base, c’est un fait. Et quand je dis tous, je parle bien de tout le monde, y compris ceux qui sont la cible de racisme.
La différence se situe ensuite sur la volonté de chacun de lutter contre ses réflexes primaires.
Pour en revenir à Hergé, je ne comprends toujours pas qu’on puisse juger un auteur sans prendre en compte le contexte. Bien sûr que Tintin au Congo doit aujourd’hui être considéré comme raciste mais il n’est que l’expression de son temps.
C’est le même problème avec tout un tas d’autres oeuvres comme par exemple Conan le Barbare : Robert E. Howard a écrit cela dans les années 30 et c’est super raciste également. Il faut savoir faire abstraction de cela.
C’est également vrai pour tout un tas de livres religieux : le Coran ou la Bible qui ont été écrits à une autre époque et qui ne doivent surtout pas être pris au pied de la lettre (on voit ce que cela donne quand des fous furieux veulent le faire).

Je suis d’avis, comme vous autres, que le contexte est important. Hergé a dessiné Tintin au Congo à une époque où le racisme était banal.
J’ai repensé à ça l’autre jour, quand je lisais “La corne du rhinocéros”, une aventure de Spirou et Fantasio par Franquin. Les deux héros se retrouvent en Afrique et croisent des Noirs qui sont dessinées de manière finalement assez caricaturale, avec des grosses lèvres. Pourtant, il n’y a jamais la moindre once de racisme dans les relations entre les deux Blancs et les Africains dans l’histoire. C’est juste une manière de représenter les Noirs qui se pratique dans la bande dessinée.

Salut,
Je pense moi aussi que Tintin au Congo reflète un racisme sans doute banal à l’époque. Pourtant, il n’y a pas besoin d’attendre les bijoux de la Castafiore ou Tintin au Tibet pour voir Hergé lutter contre les clichés raciaux les plus ridicules. Je garde en mémoire la scène absolument hilarante des Dupond-Dupont en filature dans le Lotus Bleu, persuadés de se fondre dans la masse des Chinois :

Les pauvres policiers récidivent d’ailleurs ce coup du déguisement raté un certain nombre de fois au fil des années, par exemple :

Donc même si Hergé n’y échappe pas systématiquement, il y a au moins au travers des Dupond-t un effort pour s’émanciper des clichés et les dénoncer qui est sûrement louable.

Mathias : cette défense s’applique aussi aux vieux westerns du coup, non? :wink:

fbruntz dit:Il faut savoir faire abstraction de cela.

Faire abstraction, sans doute pas. En tenir compte dans son jugement, bien entendu. Je ne ferais pas lire Tintin au Congo à mes enfants avant quelques années, si toutefois ils en éprouvent l'envie. Et force est de reconnaître que ce n'est de toute façon pas une bonne BD.
Encore une fois, que Tintin au Congo soit un reflet de son époque est une évidence. Je trouve bien plus intéressant de se pencher sur ce qu'on peut voir d'Hergé lui-même à travers son oeuvre.
viking dit:Mathias : cette défense s'applique aussi aux vieux westerns du coup, non? :wink:

Sans doute mais pour les vieux westerns, d'après ce que j'ai lu, il s'agissait de codes dictés par l'industrie du cinéma : le héros devait avoir l'air "wasp", blond aux yeux clairs, tandis que l'Indien était forcément un tueur et violeur de femmes blanches, etc. Il fallait rentrer dans ce moule pour avoir les financements. C'est la raison pour laquelle j'écrivais, sur un autre fil de discussion, que Hollywood, en tant qu'industrie culturelle, faisait une sorte de propagande en idéalisant le mythe américain.
Tandis que chez Hergé, je ne crois pas que ces stéréotypes étaient imposés par l'éditeur. En tout cas, pas dans ce domaine. Hergé était par contre très contraint par la censure relative à la presse pour enfants de l'époque sur d'autres sujets (interdiction de voir Haddock boire au goulot, par exemple).
Mais je te rejoints sur le fait que les western des années 30 ou 50 sont le témoignage d'une époque, tout comme les premiers Tintin.
grolapinos dit:Je pense que de façon essentielle (liée à notre nature d'homme), nous avons tous des instincts racistes : rejet, peur, généralisation, facilité à rejeter la faute sur l'étranger (l'arabe, celui du village d'à-côté, l'intellectuel, le parisien, l'intellectuel arabe parisien du village d'à-côté... :mrgreen:), j'aurais du mal à cerner tout ce que je pourrais mettre dedans. Que ce sont l'éducation, la culture, la connaissance, la confrontation, j'en passe encore, qui nous amènent à réfréner ces instincts, ou au contraire à leur donner libre cours.

Tu as raison mais ce qui est frappant, c'est que le personnage de Tintin est l'antinomie de cela, de cet instinct raciste. Il incarne une forme de pureté, certes très naïve. Il est un héros parfait qui prend toujours la défense du faible, y compris quand il s'agit d'un jeune Indien maltraité par des Blancs, et qui va à la rencontre de tous les peuples. D'ailleurs, cet universalisme explique en grande partie le succès immense des aventure de Tintin.
C'est pour cette raison que j'ai vraiment du mal quand j'entends des gens qui taxent Hergé de racisme. Et pourtant, c'est vrai, dans ses dessins, dans la façon de représenter certains peuples, il y a parfois des stéréotypes assez grossiers.

Doublon

Hergé a eu des rapports avec l’extrême droite (il a gardé des liens avec certains membres de l’extrême droite belge toute sa vie), il a travaillé dans un journal pro nazi, pourtant, à quelques exceptions près, son personnage reste neutre.
Pour ce qui est de ses liens, il est originaire de la droite traditionaliste belge, qui, comme en France tend vers le colonialisme et l’extrême droite. Je pense que ce sont des liens issus de son milieu plus que par choix, Hergé n’étant pas un rebelle, il a gardé ses amitiés et ses convictions premières toute sa vie.
Pour ce qui est de sa collaboration avec les journaux d’extrême droite, Hergé est un ambitieux qui a saisi la balle au bond pour servir sa carrière. Bien qu’il publie dans un journal pro nazi, son discours reste neutre vis à vis de la politique en général, à part une case dans l’édition du journal clairement aintisémite. A part cet écart, tout le monde reconnait qu’Hergé, n’a pas fait d’antisémitisme alors qu’il était dans un journal qui en faisait la propagande! Il a seulement été opportuniste et s’est fait publié dans un des journaux les plus vendus de son époque, sans pour autant prendre le parti pris de la ligne éditoriale! Il affirmera plus tard que son engagement dans ce journal, sans le renier, a été une erreur de jeunesse.
Enfin, il faut tout remettre dans le contexte de l’époque, où le colonialisme était ultraprésent et la nation patrie maternait les “pauvres sauvages”. Nous avons aussi des textes “limites” dans les pieds nickelé, qui sont contemporains des premiers tintins. Je ne pense pas qu’Hergé ait été plus raciste que son époque, et, à part Tintin au congo, il décrit les différents peuples sous un bon jour. Il avait certainement de gros préjugés envers les personnes africaines (plus grosse colonie belge) qui sont dépeints dans Tintin au Congo, mais pour le reste, on sent qu’il a fait de la recherche et à chercher à connaitre les différents peuples qui interviennent dans les différents albums.
Oui, on peut considérer hergé comme raciste, mais pas plus que ses contemporains! Tout comme on peut le considérer comme étant très ouvert d’esprit à la culture étrangère! Soit il est schyzo, soit il faut faire une analyse à froid en tenant compte de tous les paramètres.

L’éditeur le censurait aussi pour quelques planches jugées antisémites…


Ce que j’aime dans Tintin aussi, c’est la place donnée à la femme…

Mat dit:L'éditeur le censurait aussi pour quelques planches jugées antisémites...


C'est de cette planche que je parlais
Mat dit:

Ha oui c'est vrai que le méchant banquier avait un nom juif et le visage caricatural!

Mat dit:Ce que j'aime dans Tintin aussi, c'est la place donnée à la femme...

Fallait voir la place laissée à la femme à cette époque aussi...