Point de vue
Oui, nous avons besoin de la Turquie en Europe !
Par Pierre Moscovici et Pierre Weill
LE MONDE | 01.06.09 |
La Turquie membre de l’Europe ? Quelle idée saugrenue. Il suffit de regarder une carte !" C’est ainsi que, d’une formule enlevée qui fait appel au simple bon sens, certaines voix, parmi les plus autorisées, à commencer par celle du président de la République, Nicolas Sarkozy, entendent clore une fois pour toutes le débat sur l’entrée à terme de la Turquie dans l’Union européenne.
Et voilà la Turquie, candidate à l’entrée dans l’Union européenne depuis dix ans, dont la vocation européenne n’a cessé d’être répétée depuis 1963, rejetée dans les profondeurs de l’Asie, réléguée au même titre que la Russie au statut d’un simple partenaire dans le cadre d’un vaste espace économique et de sécurité. Comme c’est pratique, le bon sens populaire pour éviter de réfléchir ! Intégrer dans l’Europe un pays dont la frontière orientale jouxte l’Irak ? Il faut être un Américain ignorant comme Barack Obama pour promouvoir un plan aussi aberrant…
Certes, l’on ne saurait créditer le président des Etats-Unis d’avoir fait montre d’une grande adresse, lorsque récemment il a fait connaître de façon péremptoire son choix de la Turquie dans l’Europe. Faut-il pour autant monter sur ses ergots et, sous prétexte d’indépendance, rejeter la Turquie vers le fin fond des steppes asiatiques ? Se forcer à être myope pour que le regard s’arrête sur une ligne imaginaire séparant en un point précis, comme s’il n’y avait pas de ponts sur le Bosphore, une Europe “pure” d’une Asie radicalement étrangère ?
Essayons donc d’ouvrir un peu les yeux et de tordre le cou à quelques postulats qui érigent en philosophie rationnelle un simplisme qui fait la part belle à des peurs irraisonnées. Premier postulat : les Turcs sont des envahisseurs étrangers venus de loin. C’est vrai. Les Turcs sont venus de loin. Comme nos ancêtres celtes ou, plus près de nous, comme les Magyars installés en Hongrie. Une Hongrie membre de l’UE.
Deuxième postulat : dans sa plus grande partie, la Turquie n’est géographiquement pas en Europe. C’est vrai. Comme Malte est géographiquement plus proche de l’Afrique que de l’Europe. Malte, membre de l’Union européenne.
Troisième postulat : la Turquie est culturellement étrangère à l’Europe. Arrêtons-nous sur ce point. Où se trouvent les ruines de Troie, lieu majeur du légendaire européen, de l’Iliade à l’Enéide ? En Turquie. Où se trouvent les églises chrétiennes les mieux conservées parmi les plus anciennes ? En Cappadoce, c’est-à-dire… en Turquie. Et où l’empereur romain Valens a-t-il remporté une victoire décisive sur les tribus germaniques (encore des envahisseurs !) ? A Andrinople, aujourd’hui Edirne, en Turquie, à la frontière de la Bulgarie, autre membre de l’Union européenne, naguère possession ottomane, comme la Roumanie, ou bien la Grèce.
Alors, osons dire les choses et émettre le dernier postulat, celui qui reste lourdement sous-entendu : la Turquie est peuplée d’une majorité de musulmans. Et l’islam, sous toutes ses formes, est radicalement étranger à l’Europe dite chrétienne. Sauf que… Sauf que la France, pour ne prendre que notre exemple national, compte aujourd’hui quelque 8 % d’habitants qui se rattachent, peu ou prou, à la tradition musulmane. Raison de plus pour rejeter la Turquie, diront les tenants de la guerre des civilisations, ne laissons pas entrer le loup dans la bergerie ! Et si c’était justement l’inverse ?
La Turquie, seul Etat laïque au monde à majorité musulmane, n’est-elle pas un contre-exemple qu’il conviendrait de promouvoir au lieu de le rejeter : celui de la capacité de l’islam, non à se dissoudre, mais à vivre dans la laïcité dont nous sommes, en principe, si fiers ? Parangons de tolérance, les Européens ? Ou bien, tout au contraire, géants aux pieds d’argile, enfermés dans une angoisse obsidionale comme si nous étions encore au temps des deux sièges de Vienne de 1529 et de 1683 ?
Telle est finalement la question que nous pose le refus de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Ce n’est pas une question sur la Turquie, un pays qui, certes, n’a pas toujours été exemplaire (de même qu’un certain nombre de membres, parfois fondateurs, de l’Union européenne), mais qui, depuis des décennies, est un allié stable et influent sur lequel s’appuie l’Occident, qui a déjà intégré toutes les organisations européennes dans tous les domaines - de la politique à la culture (membre depuis 1949 du Conseil de l’Europe) ; enfin, qui joue, de plus en plus et de mieux en mieux, un rôle de pont entre Occident et Orient ou d’intermédiaire pacificateur dans la tragédie proche-orientale.
C’est une question sur nous, Européens, Français en particulier, une question sur notre capacité, non pas à accueillir avec un angélisme béat quiconque frappe à la porte de l’Union européenne, mais à avoir une vraie vision d’une Europe dynamique et plurielle. Laisser la Turquie aux marges de l’Europe, l’humilier en la faisant lanterner sous les prétextes les plus divers, ce ne serait pas une erreur. Ce serait une faute.
Parce que nous avons besoin - à condition, bien sûr, qu’elle évolue et réponde aux critères d’adhésion fixés par l’Union européenne - de la Turquie dans l’Europe.
Pierre Moscovici est député PS, ancien ministre délégué chargé des affaires européennes (1997-2002).
Pierre Weill est le fondateur et ancien président du groupe Sofres.
Voter le 7 juin et faire vivre la démocratie européenne
L’Europe des Vingt-sept n’est pas qu’un espace géographique. C’est un espace construit sur la volonté d’enraciner la paix et la démocratie. Depuis la signature du traité de Rome en 1957, elle a accueilli en son sein des pays dont les peuples subissaient il n’y a pas si longtemps encore des régimes dictatoriaux : l’Espagne de Franco, la Grèce des colonels ou le Portugal de Salazar. En 2004, l’Union européenne a mis fin à la coupure brutale du continent de 1945, intégrant des pays dont l’histoire reste marquée par le totalitarisme soviétique. À chaque fois, la démocratie a gagné, élargissant son espace et rendant impossible tout retour en arrière.
L’un des instruments de cette démocratie sont les élections libres. Et le scrutin pour l’élection des députés au Parlement européen au suffrage universel de tous les citoyens européens au même moment, entre le 4 et le 7 juin, est un signe fort de la vitalité de la démocratie en Europe. Une élection d’autant plus importante, dans une période où le monde est confronté à une crise sans précédent. Et où protectionnisme et réflexes nationalistes qui fleurissent dans les périodes difficiles sont un réel danger. Nous sommes convaincus au contraire que c’est en faisant vivre la solidarité au sein de l’Europe, c’est-à-dire en prônant des solutions qui sont notre intérêt commun, que nous traçons des perspectives d’avenir.
Dans une économie mondialisée, l’Europe est le lieu pertinent pour agir pour peu qu’elle en ait la volonté politique. Autrement dit, opérer des choix de coordination des politiques, d’investissement dans l’innovation, de politiques de développement durable créatrices d’emploi…
Les choix des citoyens s’expriment au Parlement. L’intérêt commun des Européens y est recherché au-delà des intérêts particuliers des États. Ces élections légitiment de façon la plus démocratique cette assemblée, seul organe communautaire directement élu par les citoyens.
Et c’est cette légitimité démocratique qui lui a permis sa montée en puissance devenant, traité après traité, un Parlement disposant de compétences législatives, politiques, budgétaires et pour intervenir dans la composition de la Commission. La procédure de codécision, introduite par le Traité de Maastricht, le met sur un pied d’égalité avec le Conseil européen (qui représente les États). Et si, comme nous l’espérons, le Traité de Lisbonne est ratifié, son rôle va encore s’accroître.
En votant et en faisant voter, une occasion est donnée à tous les salariés d’exprimer une vision ambitieuse, pour une Europe dynamique face à la crise, en élisant des députés porteurs d’une Europe de l’innovation, de la coopération et de la solidarité, une Europe capable d’engager des réponses à la hauteur des défis pour la planète.
Marcel Grignard, secrétaire national
CFDT
Argumentaire (PDF)
À l’occasion des élections européennes,La vie des idées ouvre un dossier sur l’Europe politique. Non pour réitérer le débat entre fédéralistes et souverainistes, mais pour prendre acte des avancées réelles de la construction européenne, tout en s’interrogeant sur les problèmes que cette construction pose à l’objectif démocratique.
Refus clairement exprimé des Français et des Néerlandais d’un traité constitutionnel destiné à jeter les fondements d’un espace politique commun ; désaveu du suffrage universel par des dirigeants empressés de reconduire, sous une autre forme (le Traité de Lisbonne) ce qui semblait avoir été rejeté ; désintérêt profond des populations pour les élections européennes ; suspicion à l’égard d’institutions jugées bien technocratiques : la liste est longue des événements qui empêchent de croire que la construction politique de l’Europe, ambition clairement affichée, avance sûrement. On peut s’en réjouir, penser qu’il n’y a décidément de démocratie que nationale et que puisqu’il n’existe pas de peuple européen, les institutions européennes sont condamnées à être lointaines. On peut au contraire le déplorer, considérer que c’est faute d’assumer pleinement ses ambitions fédérales que l’Europe est en panne et qu’il lui appartient, en organisant un espace public européen, de construire une culture politique commune.
Peu assurée d’elle-même, hésitante sur la forme qu’elle doit se donner, l’Europe politique se construit pourtant. Construction bien paradoxale, qui mêle avancées démocratiques réelles et obscurités institutionnelles, intentions clairement affichées et arrangements pragmatiques. C’est cette réalité contrastée que ce dossier veut illustrer. Il s’invente bien une citoyenneté européenne, portée par des droits spécifiques reconnus et garantis(Voir l’essai d’Etienne Pataud) . Cette citoyenneté, loin d’être seulement juridique, est pleinement politique : à partir d’elle se construisent de nouvelles luttes et de nouvelles formes de mobilisation dont il faut aujourd’hui prendre toute la mesure (J. Lacroix). Il reste que si le droit européen avance, l’harmonisation des juridictions communautaires et étatiques est loin d’être parfaitement analysée. L’indétermination règne en ce domaine, où règne le pouvoir d’interprétation des juges (P. Brunet). C’est aussi l’opacité qui entoure les décisions prises au Conseil de l’Union européenne, révélant les difficultés pour les États membres d’exercer en commun leur souveraineté (S. Novak).
Ce dossier comprendra également quatre recensions :
* Y. Bertoncini, T. Chopin, A. Dulphy, S. Kahn, Ch. Manigand, Dictionnaire critique de l’Union européenne (Armand Colin).
* O. Beaud, Théorie de la Fédération (PUF)
* J. C. Barbier, La longue marche vers l’Europe sociale (PUF)
* H. Laurens, J. Tolan, G. Veinstein, L’Europe et l’islam. Quinze siècles d’histoire (Odile Jacob).
La synthèse de l’essai:
Le livre. Aujourd’hui, l’Europe ne se heurte plus à la coalition des souverainismes, mais d’abord à elle-même. Ce sont les partisans de l’Europe qui pourraient bien en être les principaux fossoyeurs. Telle est la thèse paradoxale de ce livre. L’Europe d’aujourd’hui – ses méthodes, ses acteurs, ses politiques – se dresse contre l’Europe de demain. Elle menace de se diluer en une grande Suisse, ou de muter, avec la dynamique de l’élargissement, en une Europe-monde sans frontières. Le mythe de l’Europe fédérale est-il mort ? Il y a un nouvel espoir. Le Parlement européen, le seul organe proprement démocratique de l’Union, a désormais les moyens d’un « coup de force » politique. A lui d’agir. A nous, la nouvelle génération européenne, de le mandater pour sortir l’Europe de l’ornière.
L’auteur. Olivier Ferrand est président de la fondation Terra Nova. Spécialiste de l’Europe, il a été conseiller du Premier ministre Lionel Jospin sur les affaires européennes, puis conseiller du Président de la Commission européenne Romano Prodi. Il a participé à l’élaboration du traité constitutionnel comme sherpa français, puis à la campagne politique du référendum comme responsable national du parti socialiste pour les questions européennes.
La collection. L’Europe contre l’Europe est le premier livre de la collection éditoriale Terra Nova/Hachette Littératures. Cette collection a vocation à héberger les travaux de Terra Nova, issus notamment de ses groupes de travail.
Europessimisme, eurosclérose, euroscepticisme. Crise des institutions, crise du projet, crise des frontières. Crise de la chaise vide, crise agricole, crise de l’euro… L’Europe a fabriqué pour désigner ses difficultés une palette linguistique presque aussi large que les Inuits pour décrire la neige.
Mais la crise actuelle de l’Europe est différente de toutes les précédentes. Elle traduit la bataille qui se noue, depuis le début des années 1990, autour du changement de nature de la construction européenne : la transition de l’Europe économique d’hier à l’Europe politique de demain. Et cette transition est en échec : l’Europe ne parvient pas à franchir le Rubicon fédéral.
1 - LA CRISE EUROPEENNE ACTUELLE : L’ECHEC DE L’EUROPE FEDERALE
L’Europe fédérale, c’était le rêve des pères fondateurs, au sortir de la guerre. Ils ont failli y parvenir, avec la Communauté européenne de défense (CED). Elle faisait le grand saut avec une armée européenne, dotée d’un gouvernement politique. Mais le projet échoue, rejeté par l’Assemblée nationale française en 1954, à l’issue d’un psychodrame politique majeur.
Les pères fondateurs de l’Europe ne renoncent pas. Ils tirent les leçons de l’échec de la CED. L’Europe politique ne passera pas en force, ex nihilo ; la « révolution fédérale » est impossible face aux nationalismes d’après-guerre encore brûlants. Il faut inventer une autre méthode, plus gradualiste, moins frontale, renoncer à faire l’Europe politique aujourd’hui pour pouvoir la faire demain. C’est ainsi que Jean Monnet et Robert Schuman conçoivent la Communauté économique européenne (CEE), « première étape » permettant de créer la confiance, les solidarités, la masse critique nécessaires pour basculer, un jour, vers l’Europe fédérale.
Pour leurs héritiers, ce jour est venu avec la chute du mur de Berlin. Il offrait la dynamique politique, après trente ans de construction européenne réussie. Témoignage de cette volonté, le changement de dénomination de l’Europe opérée par le traité de Maastricht en 1992 : de la Communauté économique européenne à l’Union européenne – de l’Europe technique à l’Europe politique. Une volonté qui se manifeste au grand jour douze ans plus tard avec la Constitution européenne.
Mais cette bataille fédérale est un échec. Traités de Maastricht (1992), Amsterdam (1997), Nice (2001), Constitution européenne (2004), traité de Lisbonne (2007) : négociations après négociations, l’Europe politique est repoussée. Les gouvernements résistent. Les citoyens hésitent.
2 - LES RAISONS D’UN ECHEC : L’EUROPE CONTRE L’EUROPE
1954 – 2004 : cinquante ans après la CED, l’Europe fédérale est à nouveau rejetée avec le traité constitutionnel. Pourquoi ?
La faute au souverainisme de nos vieilles nations européennes, se hâte-t-on de répondre. Ce n’est pas vrai.
Depuis un demi-siècle, les souverainismes ont partout reflué. Certes, ils s’expriment encore bruyamment, mais ils sont désormais minoritaires dans les opinions européennes. Les pères fondateurs avaient raison. L’Europe économique a permis de créer entre les ennemis mortels d’hier des relations de confiance et une interdépendance toujours plus étroites. Ces liens rendent aujourd’hui possible l’avènement de l’Europe politique.
Si le basculement vers l’Europe politique est en échec depuis quinze ans, ce n’est pas de la faute des souverainismes affaiblis. C’est de la faute de l’Europe :
- La faute aux fondateurs de l’Europe : le « paradoxe Monnet »
Jean Monnet, un des pères de l’Europe, a théorisé cette construction en deux étapes, de l’Europe technique à l’Europe politique. La « méthode Monnet » est un coup de génie au départ : la première étape « technique » rend possible la naissance et le développement de l’Europe, en dépit des nationalismes. Mais elle est devenue aujourd’hui contre-productive. L’Europe technique s’est développée au prix de la bureaucratisation, du dérèglement technocratique, du déficit démocratique. L’Europe de la première étape est ainsi devenue un puissant repoussoir de l’Europe politique que l’on prétend construire lors de la seconde étape.
- La faute aux acteurs européens, et notamment à la Commission européenne : le « paradoxe Barnier »
La Commission ne veut pas de l’Europe politique. Michel Barnier, alors Commissaire européen, avait exprimé ce déni démocratique de manière brutale en 2002 lors de la négociation du traité constitutionnel européen : pour pouvoir continuer à défendre l’intérêt général européen, la Commission doit rester non-partisane et à l’abri des passions citoyennes. Au-dessus des partis et sans compte à rendre aux citoyens européens : c’est le gouvernement des experts contre la démocratie. Les défenseurs de l’Europe théorisent ainsi les institutions européennes actuelles, une construction soi-disant sui generis, oubliant que cette Europe technique n’a été conçue que comme une étape transitoire vers l’Europe politique.
- La faute aux politiques européennes : le « paradoxe Delors »
L’Europe politique trouve sa raison d’être dans la défense du modèle de développement européen – un modèle qui se caractérise par l’irréductibilité de la dignité humaine et qui trouve son expression, notamment, avec l’Etat-providence. Or l’Europe s’est construite, pour l’essentiel, dans le domaine économique. Elle a développé des politiques sans rapport avec son modèle, qui est avant tout social. Pire, avec l’Acte unique de Jacques Delors en 1984, les politiques européennes ont basculé dans une logique libérale de plus en plus radicale, au point de constituer une menace pour la pérennité du modèle européen, d’essence sociale-démocrate.
Ainsi, les partisans de l’Europe pourraient bien en être les principaux fossoyeurs. L’Europe d’aujourd’hui bloque l’émergence de l’Europe de demain. L’Europe se dresse contre l’Europe.
3 - SORTIR DE LA CRISE : TROIS SCENARIOS POUR L’EUROPE DE DEMAIN
Peut-on sauver l’Europe de l’Europe ? Trois avenirs potentiels se dessinent :
- Le scénario du statu quo : la Suisse européenne
C’est le scénario le plus probable. On tente souvent de dramatiser en agitant le spectre du démantèlement de l’Union européenne : « si le vélo n’avance pas, il tombe », entend-on souvent. C’est faux : un équilibre stable peut être trouvé autour de l’Europe actuelle, une Europe intégrée selon un modèle de « Suisse européenne ». On voit d’ailleurs, depuis quinze ans, les institutions évoluer dans le sens d’une stabilisation autour d’un système confédéral, où les Etats (au sein du Conseil) prennent le pas sur l’institution fédérale, la Commission européenne. Ce n’est pas la fin de l’Europe, mais la fin de la construction européenne. Au prix du renoncement à peser sur la destinée du monde : l’Europe sortirait de l’Histoire, pour la première fois depuis l’Antiquité.
- Le scénario de l’élargissement indéfini : l’Europe-monde
L’Europe a consacré son énergie à tenter de débloquer ce qui ne marche pas, l’approfondissement politique, et à ignorer ce qui marche, l’élargissement. Et si elle faisait l’inverse, si elle décidait de s’appuyer sur son point fort ? La dynamique de l’élargissement, en effet, ne se tarit pas. Les adhésions sont des succès : elles apportent stabilisation démocratique et développement économique. Après chaque élargissement, les pays aux nouvelles frontières de l’Union veulent à leur tour adhérer.
Dans ce scénario, l’Union n’a pas de frontières ultimes. Elle est la préfiguration régionale de l’Organisation des Nations Unies de demain, une ONU qui marche, capable de développer entre ses membres des solidarités économiques, des liens juridiques, des échanges humains suffisamment forts pour rendre la guerre impossible, une ONU capable de régler efficacement les différends entre ses membres par la négociation et l’arbitrage – comme l’Union européenne a été capable de le faire entre ses membres.
Une telle vision de l’Europe-monde n’est pas si iconoclaste. Elle constitue, tout le monde l’a oublié, un retour aux sources à la vision cosmopolite des premiers fondateurs de l’Europe, qui voulaient bâtir une démocratie mondiale en commençant par l’Europe. Elle correspond aussi à l’idée de l’Europe, à ses valeurs universelles qui n’ont pas de frontières. C’est aussi cette logique que l’on retrouve à l’œuvre dans la construction européenne depuis 1957 : les compétences transférées à l’Union ne sont pas des compétences externes de type fédéral (diplomatie, défense) mais des compétences internes, tournées vers la régulation de ses membres.
- Le scénario fédéral : l’Europe puissance
L’Europe politique est-elle devenue un scénario impossible ? Il est vrai que la fenêtre d’opportunité, grande ouverte au cours des années 90, s’est refermée. Les énergies se sont épuisées, la flamme est presque éteinte. Il reste pourtant un espoir. Une Ière République européenne peut encore voir le jour. Elle se fera à traité constant : aucune réforme institutionnelle d’envergure n’est plus envisageable dans l’Union à 27. Elle ne viendra ni de la Commission, ni des gouvernements : les moteurs historiques de la construction européenne ont cassé. La clé se trouve au Parlement européen, dernière institution où souffle « l’esprit européen ».
Le point central pour faire la bascule fédérale, c’est de transformer la Commission européenne, aujourd’hui exécutif technique de l’Europe nommé par les Etats, en véritable gouvernement politique responsable devant les citoyens européens. Le Parlement européen peut le faire : il a les moyens de repousser les nominations des Etats et d’imposer une Commission issue de la majorité politique sortie des urnes. Mais les règles du jeu ne sont pas les mêmes avec ou sans le traité de Lisbonne. Sans lui, il faudra un véritable « coup d’Etat » politique du Parlement pour passer à l’Europe fédérale. Avec lui, l’opportunité juridique est ouverte et il reviendra alors aux parlementaires de prendre leur responsabilité.
Mais pour que l’Europe politique voie le jour, une nouvelle génération d’Européens doit prendre le relais. La génération d’après-guerre a réalisé la première étape européenne : elle l’a menée de la guerre à la paix, de la ruine à la prospérité. Une nouvelle génération, avec de nouveaux idéaux, de nouvelles méthodes, de nouveaux lieux d’action, doit prendre aujourd’hui le relais pour bâtir la seconde étape, de l’intégration économique à la puissance politique.
Ce livre est un appel aux nouveaux Européens pour construire l’Europe de demain.
Source: Terra Nova
Une critique sur Non Fiction.fr
Pour l’Europe, soyons réalistes, exigeons l’impossible !
Résumé : Trois scénarios pour une Europe à la croisée des chemins.
Haut fonctionnaire, membre du Parti socialiste, Olivier Ferrand est une voix émergente dans le débat public français. À la tête de l’association Terra Nova, fondée en mai 2008, il porte l’ambition de doter la gauche réformiste d’idées nouvelles susceptibles de favoriser son retour au pouvoir. À quelques semaines des élections européennes, il publie un court essai, L’Europe contre l’Europe, qui propose des lignes directrices sur l’Europe à une gauche encore sonnée par le référendum de 2005.
La thèse de cet ouvrage est simple : les ingrédients qui ont fait le succès de la construction européenne jusqu’au début des années 90 sont ceux qui empêchent aujourd’hui tout progrès démocratique et social de l’Europe. La méthode fonctionnaliste des Pères fondateurs, sorte de dirigisme technocratique oeuvrant en faveur d’un fédéralisme masqué, a porté ses fruits dès lors qu’il s’agissait de construire le marché intérieur. Mais cette façon de faire empêcherait désormais le passage à une Europe pleinement démocratique, en se révélant incapable – voire en bloquant sciemment – toute avancée de type fédéraliste, que l’auteur appelle de ses vœux.
Symbole de ce blocage : la Commission européenne, accusée de défendre jalousement son statut d’autorité indépendante alors qu’elle devrait revendiquer un rôle de gouvernement européen, issu de la majorité au Parlement. En outre, la libéralisation économique opérée sur la base du programme fixé par les traités originels serait en train de détruire les fondements du “modèle social européen”, en organisant la concurrence fiscale et sociale entre les États.
La première partie du livre, entièrement consacrée à ce constat amer, amène deux critiques. La première, c’est qu’Olivier Ferrand tend à surévaluer le saut fédéral qu’aurait représenté l’adoption du Traité constitutionnel , présenté comme une occasion manquée de faire basculer l’Union vers une Europe politique. Ce texte renforçait en effet certains aspects fédéraux du projet européen. Mais dans le même temps, il entérinait un certain nombre d’orientations intergouvernementales : désignation d’un président du Conseil européen, unanimité des États membres requise pour réviser le traité, maintien de mécanismes intergouvernementaux pour des pans essentiels de la politique européenne, etc.
Deuxième point légèrement polémique, lorsque l’auteur défend fermement l’idée selon laquelle il existerait un modèle de société européen qui distingue l’Europe du reste du monde. Un modèle qu’il qualifie de “social-démocrate” et dont le socle serait l’État-providence. Malgré toutes les précautions que prend Olivier Ferrand avec ce concept, on pourrait certainement discuter longuement de sa pertinence.
Ce sont là des détails, car l’intérêt de L’Europe contre l’Europe ne repose pas tant dans le constat qu’il dresse, que dans sa volonté d’envisager les moyens de remédier aux blocages actuels pour parvenir à une Europe plus politique, qui tiendrait davantage compte des enjeux démocratique et sociaux. Et là, il faut bien dire que les choses s’annoncent compliquées, comme le reconnaît lui-même Olivier Ferrand.
Le président de Terra Nova entrevoit trois scénarios pour l’Europe de demain. Le plus probable à ses yeux, c’est celui du statu quo. Devant le manque de volonté politique des États membres et la perte d’enthousiasme des proeuropéens historiques, l’Union européenne demeurerait ad vitam aeternam dans une sorte d’entre-deux entre le simple marché et l’entité politique pleinement intégrée. Une situation jugée insatisfaisante, qui porte le risque d’un détricotage déjà à l’œuvre des modèles sociaux nationaux et, à terme, d’une sortie de l’Histoire.
Deuxième piste, assez incertaine : l’Europe renoncerait à son approfondissement politique et accepterait de s’élargir indéfiniment, pour faire profiter ses voisins plus ou moins proches des avantages de la paix, du grand marché et de la stabilité démocratique. Cette orientation défendue par Michel Rocard évoque également le “rêve du Bosphore” de Daniel Cohn-Bendit, dans sa volonté de bâtir un pont entre la sphère occidentale et le monde musulman.
Enfin, le troisième scénario, qui a de loin la préférence de l’auteur, est aussi le moins probable à ses yeux : c’est celui de l’Europe fédérale. Au vu des blocages persistants du côté des États membres et de la Commission, une telle orientation ne pourrait désormais venir que du Parlement européen. Olivier Ferrand encourage le Parlement, une institution aux pouvoirs croissants, désignée au suffrage universel par l’ensemble des citoyens européens , à assumer sa stature politique en effectuant une sorte de “coup d’État” pour faire changer l’Europe de l’intérieur. Comment ? En imposant aux États que le Président de la Commission porte les couleurs de la majorité parlementaire issue des élections européennes. La suite du putsch n’est pas vraiment décrite. C’est un peu la faiblesse de ce scénario.
Passe encore pour la nomination du président de la Commission en fonction des résultats des élections européennes, ce qui est d’ailleurs prévu dans le Traité de Lisbonne. Mais on imagine mal l’ensemble des États membres se plier à la “volonté souveraine” des eurodéputés pour accepter de se soumettre à des orientations générales décidées par un parlement supranational. Sérieux bras de fer en perspective… En tout cas, cette discussion théorique a de quoi nourrir le débat pendant quelques années encore, car les partis européens – à commencer par le PSE – ne semblent pas en mesure de proposer un candidat alternatif à José Manuel Barroso pour la prochaine mandature. Mais qui sait ce qui se passerait si le PPE n’était pas majoritaire le 8 juin prochain ?
Sur ce point, on ne reprochera pas à Olivier Ferrand son optimisme tempéré, tant son essai rompt avec un certain angélisme de mise à gauche lors de chaque rendez-vous électoral (“demain l’Europe sociale”). Clairement, le référendum de 2005 est passé par là. Un tel ouvrage, de la part d’un représentant éminent de l’aile sociale-démocrate du PS, traduit la prise en compte explicite du fait que la construction européenne telle qu’elle se déroule est problématique au regard de certaines orientations socialistes.
Cette prise de conscience post-référendaire donne parfois à Olivier Ferrand l’accent des “nonistes” qu’il a jadis combattus. C’est le cas lorsqu’il dénonce l’absurdité de décisions prises par les fonctionnaires européens dans l’installation d’une ligne haute tension entre la France et l’Espagne ou lorsqu’il condamne la libéralisation des services postaux, en s’appuyant sur son expérience de candidat aux législatives dans les Pyrénées-Orientales. On croirait presque lire un Saint Paul frappé par la lumière divine sur la route de Perpignan.
Mais contrairement à beaucoup de représentants de la “gauche du non”, Olivier Ferrand reste convaincu que l’Europe n’est pas génétiquement ultralibérale, ni anti-démocratique par essence. Que l’on peut faire avancer les choses à traités constants, à condition d’en avoir la volonté politique. Même si les chances de succès s’avèrent extrêmement réduites. Un volontarisme teinté de réalisme, en somme.
Eric L’HELGOUALC’H
Diplômé de l’Institut d’études politiques de Rennes et titulaire d’un master en droit communautaire, Eric L’Helgoualc’h a rejoint en 2005 le Centre d’information sur l’Europe, où il est aujourd’hui en charge de la veille Internet et de l’organisation de consultations en ligne. En 2006, il a contribué à la création du site Touteleurope.fr, premier portail français d’information sur l’Europe.
Il est l’auteur d’une analyse du traité constitutionnel européen publiée en 2005 dans les Cahiers européens de Sciences-Po.
Une autre, toujours sur NonFiction.fr
Quels principes pour quelle Europe ?
Résumé : Un livre qui ouvre des perspectives claires tout en suscitant de nombreuses questions stimulantes sur la situation et l’avenir de l’Union européenne.
Olivier Ferrand a côtoyé nombre de responsables politiques de haut rang, à Paris comme à Bruxelles ; il est lui-même descendu dans l’arène en participant à la campagne référendaire de 2005 et en se présentant aux élections législatives en 2007 ; il préside la toute jeune Fondation “Terranova”, qui s’est assignée la noble tâche de renouveler la pensée progressiste, en liaison avec de nombreux partenaires internationaux : c’est dire qu’en publiant L’Europe contre l’Europe, il livre un témoignage et un message particulièrement aiguisés, et intéressants à de nombreux égards.
Intéressant d’abord parce que, fondé sur le rappel des principales étapes de la construction européenne, un constat central parcourt son livre : cette “construction européenne” a changé de nature depuis une vingtaine d’années, mais les modes de fonctionnement et de raisonnement qui lui ont donné naissance et permis de progresser ne se sont pas suffisamment adaptés à cette révolution, au point de désormais porter tort à toute l’entreprise communautaire. L’heure n’est plus à l’établissement graduel de la “CEE” de grand-papa : elle est à mise en place d’une Union européenne aux compétences et aux visées beaucoup plus larges.
S’il fallait résumer d’une formule la charge d’Olivier Ferrand, on dirait qu’il tente de tirer les conséquences de cette “grande transformation” en plaidant pour la politisation de la construction européenne. Politisation des institutions communautaires d’une part, et notamment de la Commission européenne, qui ne peut selon lui prétendre incarner ontologiquement l’intérêt général et doit être clairement représentative de la majorité élue au Parlement européen. Politisation des procédures de décision d’autre part, avec notamment davantage de votes majoritaires entre gouvernements. Politisation des interventions de l’UE enfin, avec une priorité accordée à celles répondant aux principaux défis communs de ses pays membres (régulation de la mondialisation, changement climatique, diplomatie et défense etc.) et, en parallèle, l’encadrement voire le retrait des mesures de libéralisation qui suscitent des réactions négatives du côté des opinions publiques nationales, notamment en France.
L’autre intérêt du livre d’Olivier Ferrand est de prendre un peu de hauteur par rapport aux débats institutionnels et boutiquiers qui agitent souvent le landernau communautaire, afin d’envisager l’avenir possible de l’UE, à partir de trois grands scenarii.
Celui d’une « grande Suisse" prospère mais sortant de l’Histoire, et que la situation de marasme actuel porte selon lui en germe ; celui d’une “Europe monde” qui surferait sans limite claire sur sa dynamique d’élargissement, dont Olivier Ferrand souligne au passage qu’elle est l’un de ses plus grands succès ; enfin celui de “l’Europe puissance”, ou de “l’Europe fédérale” -c’est pour lui la même chose- jugée seule capable de permettre à l’UE et à ses pays membres de peser dans les affaires du monde au 21ème siècle.
Olivier Ferrand se livre à cet éclairant travail de mise en perspective avec une certaine audace : non seulement il évalue à 10% la probabilité que ce dernier scénario advienne (contre 70% et 20% aux deux premiers), mais il affirme aussi que c’est celui qu’il faut privilégier, et pour lequel il convient de se mobiliser sans tarder.
Dans ce contexte, l’intérêt et même l’originalité du livre d’Olivier Ferrand tiennent enfin et surtout au fait qu’il trace les contours d’une telle mobilisation politique, sur la base d’un triptyque inédit “Modèle européen – Parlement européen – Nouvelle génération”.
Foin des subtilités et des nuances entre États : un modèle européen existe bel et bien nous dit-il, sur le plan social et environnemental, mais aussi politique et diplomatique ; la promotion de ce “riche legs” doit constituer le socle fondateur de l’Union européenne, et la mondialisation son nouvel horizon au cours des prochaines décennies .
Le Parlement européen a désormais vocation à être le lieu de pouvoir où pourront s’exprimer les dynamiques de politisation et de démocratisation qui permettront à la construction européenne de reprendre vigueur : il ne faut pas l’ignorer mais l’investir, car c’est du Parlement européen que peuvent sortir les prochaines impulsions décisives pour la construction européenne, si ses élus ont le courage d’assumer leurs responsabilités en se livrant à un “coup d’État” - on aurait envie d’écrire : “coup d’Europe”.
Les nouvelles générations ont enfin un rôle particulier à jouer dans le travail de rénovation à entreprendre, car elles sont sans doute moins prisonnières des schémas et des réflexes d’hier : c’est parmi elles qu’émergeront les “fils fondateurs” dont l’UE a désormais besoin.
Olivier Ferrand ne se contente donc pas d’inciter les constructeurs de l’Europe au “doute méthodique” : il leur fournit aussi un viatique clair pour engager l’UE vers de nouvelles aventures, auxquelles plus d’un lecteur aura sans doute envie de participer.
Agréable à lire, L’Europe contre l’Europe est aussi très intéressant pour les nombreuses questions stimulantes que sa lecture suscite.
On se demande par exemple parfois si son auteur ne peche pas un peu par excès d’optimisme lorsqu’il indique que les résistances souverainistes et les réflexes nationalistes ont fortement reflué, au point d’atteindre un très bas niveau historique. Si l’actuelle crise économique a eu le mérite de rappeler l’intérêt d’une action européenne commune, n’a-t-elle pas en effet semblé également traduire une forte affirmation des stratégies étatiques et un certain raidissement des opinions publiques nationales ? S’il fallait décréter dès demain le passage généralisée au vote majoritaire au Conseil des ministres qu’Olivier Ferrand appelle de ses vœux, celui-ci passerait-il comme une lettre à la poste ? Pour souhaitable qu’il puisse être, combien de gouvernements de l’UE accepteraient-ils aujourd’hui de participer à ce “coup d’État”-là ?
Bien qu’éminemment constructive, la critique d’Olivier Ferrand n’est-elle pas trop négative à l’égard d’acteurs importants de l’aventure communautaire, qu’il épingle à coup de “paradoxes” comme les principaux obstacles à son approfondissement ultérieur ? Jean Monnet pour avoir privilégié une construction technique et aux finalités politiques non clairement affichées ; Jacques Delors, pour avoir œuvré à l’approfondissement de l’intégration économique et monétaire, sans être parvenu à mettre l’UE au service du “modèle de développement” qui fait sa force ; Michel Barnier, pour avoir défendu la thèse d’une Commission au dessus des partis et des peuples… Olivier Ferrand ne fait certes ainsi que développer la thèse qui justifie le titre de sa libelle, tout en rappelant à juste titre que les principaux responsables de la situation difficile que connaît la construction européenne sont d’abord ses praticiens et partisans autoproclamés. Ce faisant, ne développe-t-il pas une critique dont l’effet premier pourrait surtout être d’inciter à condamner l’Europe d’aujourd’hui, sans nécessairement donner très envie de faire le grand saut vers “l’Europe fédérale” dont il juge l’avènement souhaitable ? Cette critique ne va-t-elle pas grossir un peu plus le flot des critiques négatives vis-à-vis de l’UE, qui semble désormais tout recouvrir sur son passage, au moins en France ? Y aurait-il là un “paradoxe Ferrand”, que l’auteur s’efforce certes de conjurer, en s’étant cependant placé sur une étroite ligne de crête ?
On se demande enfin si L’Europe contre l’Europe n’est pas “trop français”, et si on ne l’a pas lu et approuvé parce que soi-même français. Lorsqu’il évoque pour l’éviter la perspective d’une “Suisse européenne”, Olivier Ferrand a la lucidité de reconnaître que la Confédération helvétique offre des conditions de vie très agréables, mais aussi de rappeler que beaucoup de pays du monde et d’Europe considèrent ce pays comme un paradis pour des raisons autres que fiscales. Il souligne aussi que le ralentissement ou la stagnation de la construction européenne ne signifieraient pas la fin de l’UE, même s’ils seraient sans doute perçus négativement par une majorité des Français, qui ont toujours donné l’impression de vouloir “plus d’Europe” (fiscale, sociale, diplomatique etc.) - alors que nombre d’autres peuples s’accommodent sans doute assez bien de l’UE telle qu’elle est aujourd’hui.
Dans ce contexte, quelle majorité politique, en termes de forces partisanes comme en termes d’États membres, pourrait-elle être formée afin de mettre en œuvre l’ambitieux programme exposé par Olivier Ferrand ? Quelle majorité politique pour former un “noyau dur” ou une avant-garde, sorte d’“Europe dans l’Europe” qui permettrait peut-être de dénouer beaucoup des contradictions actuelles de la construction européenne ? Olivier Ferrand ne fait qu’esquisser la réflexion sur cet enjeu essentiel. Il semble conscient de la nécessité de l’élargir à de nombreux autres Européens, à qui il lance d’ailleurs un salutaire appel dans la conclusion de son ouvrage, et dont on ne peut que souhaiter qu’il soit entendu.
Au total, L’Europe contre l’Europe ouvre des perspectives claires à la construction européenne tout en suscitant nombre de questions stimulants sur sa situation actuelle et sur son avenir immédiat : on est certain que, à ce double titre, le livre d’Olivier Ferrand ne manquera pas de nourrir le débat public sur l’Europe au cours des prochains semestres
Yves BERTONCINI
ves Bertoncini est enseignant en questions européenne à l’IEP Paris, au Corps des Mines et à l’ENA.
Ce dernier livre de Olivier Ferrand est (à mon humble avis) très intéressant. Je trouve qu’il réalise un bon compromis en laissant tomber l’angélisme / la naïveté / le cynisme / l’absence de réflexion de beaucoup à gauche à propos de l’Europe (enfin à la gauche pas trop à gauche quoi, celle de Terra Nova) tout en conservant un certain optimisme lucide.
Bien sûr, et comme souvent avec ce genre d’essai, il est bien difficile de faire abstraction de ses propres opinions et de celles de l’auteur pour juger sa valeur. En clair, ce n’est pas le genre de bouquins qui peut faire changer d’avis un “noniste” endurci ou un européiste “libéral”… mais tout de même une réflexion stimulante.
Jokin
Avec tout ça a lire, comment voulez-vous que les gens se rendent aux urnes… ![]()
Européennes : les programmes des partis, par thèmes
LEMONDE.FR | 02.06.09 | 11h13 • Mis à jour le 02.06.09 | 13h24
Elections européennes : les programmes, parti par parti
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Edit:
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Après le texte des 36 économistes qui appellent à voter Front de Gauche, critique d’Alain Lipietz :
Critique de l’écologie politique du Front de Gauche
À l’heure où UMP, PS et Modem s’acharnent à faire de l’élection européenne un troisième tour de 2007 ou un tour de chauffe de 2012, c’est un vrai plaisir de lire, sous la plume de 36 économistes, un plaidoyer pour le programme du Front de Gauche (Libération, 19 mai). Enfin un peu de contenu !
Enfin un peu de contenu ! Dans ce qui nous est présenté, une bonne partie satisfera en fait un arc assez large d’économistes et de militants faisant référence aussi bien au Front de Gauche qu’au PS ou à Europe Écologie. Ainsi : la régulation financière, une nouvelle politique pour la BCE, le développement des services publics, un emploi décent pour tous, la convergence par le haut etc. Encore faut-il remarquer que certaines propositions des 36, tel un « écart maximal de revenus », figurent dans le programme d’Europe Écologie (« revenu minimum ET revenu maximum européens ») plutôt que dans celui du Front de Gauche !
Toutefois, leur « Rebond » pose deux problèmes rédhibitoires. Le statut de l’Europe, d’abord. Les auteurs (qui sont de bons économistes !) reconnaissent que « les États nations ont des marges de manœuvre. Par sa puissance, l’Europe est néanmoins un cadre idéal pour une autre politique ». Mais l’Europe actuelle, celle de Maastricht-Nice, dans laquelle nous coince depuis maintenant 4 ans les Non successifs à toute réforme, si minime soit-elle, en a-t-elle les moyens ? Alors qu’Europe Écologie détaille ce qui est possible dans les traités actuels, ce qui nécessitera au moins le traité de Lisbonne, ce qui nécessitera un « premier amendement » constitutionnel, sur initiative parlementaire, au traité de Lisbonne (autorisé par ce même traité et promis par le Parlement sortant, sur proposition d’un eurodéputé Vert autrichien), nos auteurs soutiennent un Front de Gauche qui rejette même la ratification des indispensables amendements institutionnels du traité de Lisbonne !
Comment réaliser fût-ce le dixième de ces belles propositions, en votant pour des candidats qui refusent l’extension des pouvoirs du Parlement de 45 à 100% du budget dépense européen, y compris la Politique agricole commune ? C’est pourtant bien cette politique agricole (décidée actuellement par le seul Conseil des gouvernements nationaux, sous la pression des lobbies de l’agro-industrie) qui, non seulement élimine les paysans ici et là-bas, propage la disette mondiale, mais, en privilégiant l’agriculture industrielle, contribue de façon non négligeable à l’extension des « maladies industrielles », comme la crise de la vache folle ou celle de la grippe A.
Bien entendu c’est dans le domaine de l’écologie, auquel les auteurs accordent trois lignes, que l’on mesure l’étonnante distance qui les sépare des urgences de l’heure et du siècle. Citons intégralement : « Il ne s’agit plus de produire toujours plus, mais mieux. Et cet impératif écologique, qui met en jeu le long terme, mérite une véritable planification plutôt que des marchés de droits à polluer ». Point.
Lunaire. Les auteurs, « nonistes », sont tellement loin des enjeux européens qu’ils n’ont pas remarqué que, depuis la conférence de Kyoto, l’Union européenne « planifie », et même en quantités physiques, et même jusqu’à 2020, la décroissance de ses émissions de gaz à effet de serre, la progression de l’efficacité énergétique de ses moteurs, et la croissance de la part de ses énergies renouvelables ! Cette planification est même décomposée en sous-objectifs pour chacun des 27 pays. Faut-il aller plus loin ? Planifier rigidement, pour chacune des 5000 grandes entreprises qui se voient actuellement attribuer des quotas annuels décroissants ? Les écologistes se refusent à pousser jusque là un délire quasi-soviétique. D’où l’idée que, si une cimenterie et une aciérie se voient attribuer chacune tel quota en début d’année (ou mieux, l’acquièrent de l’Etat ou de l’UE, en payant), la première, si elle a su éviter plus d’émissions que prévu, pourra revendre à l’autre, sur un « marché des quotas », le « rab » dont elle a besoin. À l’intérieur de la planification physique, le marché des quotas ne fait donc qu’introduire un bonus-malus.
Les écologistes ont énormément de critiques à faire à la planification écologique européenne adoptée par la majorité PPE – PSE – ALDE (en français UMP – PS – Modem), mais pas celle de ne pas en faire. La critique écologiste, c’est que la majorité Barroso planifie des objectifs criminels de croissance des agro-carburants qui affament le tiers monde. C’est qu’après des années où l’Union s’est gargarisée de sa volonté de contenir à +2° le réchauffement climatique pour ce siècle, ce qui exigeait, d’après les scientifiques du GIEC (Prix Nobel 2008), une réduction de -25 à -40% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020 (on parlait il y a un an de –30% pour l’UE !), cette majorité, en décembre dernier, a sans honte décidé d’abaisser à -20% les objectifs de réduction. Ce qui, toujours selon le rapport du GIEC, promet un réchauffement de 3 à 4 degrés. Là, on sort de tous les scénarios imaginables, c’est le monde de Mad Max qui est planifié !
Certes, les eurodéputés sortants du Front de gauche ont voté avec les Verts contre cette honteuse capitulation devant l’industrie automobile. Le problème, c’est que ces sortants ou nouveaux candidats ont affirmé et réaffirment tranquillement que le nucléaire est justement une issue. La catastrophe de Tchernobyl, comme la prolifération du nucléaire civil vers le militaire en Corée du Nord comme en Iran, ne leur a pas servi de leçon.
Oui, l’Union européenne peut nous sortir de la crise. Oui, elle peut planifier et financer une conversion écologiste. Mais seulement une Europe plus fédérale, pas celle de Maastricht-Nice. Mais seulement une Europe avec une majorité écologiste, pas avec une majorité productiviste et nucléophile.
Alain Lipietz, économiste, ancien eurodéputé (Verts). Dernier ouvrage paru : Face à la crise : l’Urgence écologiste, éd. Textuel.
Et réponse des “36” :
Ecologie et libéralisme économique sont incompatibles
Réponse à Alain Lipietz
L’écologie, à l’instar du « social », ne s’accommode pas du libéralisme économique : cette conviction est au cœur de l’Appel des économistes en faveur du Front de gauche.
Si le marché et la concurrence ont parfois du bon, il est des choses qu’ils ne savent pas faire : assurer le plein emploi, la satisfaction d’une série de besoins sociaux ou répondre à l’impératif écologique. Cela s’explique aisément au fond, si du moins on accepte de considérer, à l’encontre des libéraux, que le tout n’est pas réductible au jeu des parties, l’intérêt général à celui des intérêts particuliers.
L’écologie engage le long terme et le collectif : deux dimensions que le marché et la recherche du profit à court terme sont bien en peine d’assumer. C’est bien pourquoi elle exige une intervention publique forte, une « véritable planification ». Or les traités européens empêchent cela. Dès le traité de Rome, la concurrence a été élevée au pinacle. Et depuis l’Acte unique de 1986, cela n’a cessé d’être durci : la concurrence est première, le reste lui est soumis. D’où ce résultat qui peut difficilement être nié : dans les traités, l’Union européenne est d’abord définie et structurée comme un espace marchand où règne la liberté de circulation des marchandises et des capitaux à la fois « en interne » (entre les 27) et avec le reste du monde. L’intervention publique est systématiquement combattue, corsetée : politiques monétaire, budgétaire (à la fois des Etats et de l’Union), industrielle, commerciale, services publics - appréhendés sous l’angle des Services d’intérêt économique général (SIEG) ouverts à la concurrence, etc. La crise écologique exige de déployer tous ces instruments, et c’est pourquoi il nous semble judicieux de réhabiliter la notion de planification : les traités ne l’autorisent pas. Pas plus celui de Lisbonne que les traités antérieurs.
C’est bien là l’essentiel : au lieu de se contenter de fixer des règles institutionnelles de « vie en commun » qui permettraient ensuite aux peuples d’exercer leur choix, les traités dictent, avec un souci du détail qui confine à l’obsession, les « bonnes politiques » économiques libérales à mettre en œuvre. La question que nous posons à Alain Lipietz est simple : peut-on mettre l’écologie au cœur d’une action publique qui n’a de cesse de valoriser des politiques économiques libérales ? Notre réponse est : non.
Alain Lipietz indique que nous n’accordons que trois lignes à l’écologie. C’est inexact. L’écologie irrigue l’ensemble des deux textes que nous avons soumis au débat (Europe : sortir du dirigisme libéral et Europe : pour changer de cap). Juste en dessous des lignes qu’il cite, il est d’ailleurs indiqué : « la mondialisation libérale est une catastrophe pour l’environnement. Fermer des usines en Ecosse, proches du lieu de pêche, pour décortiquer des langoustines en Thaïlande, puis les réimporter : est-ce cela le rêve européen ? Favoriser la relocalisation des activités et celles qui polluent peu – comme la plupart des services publics – est une première façon de concilier plein emploi et écologie. Il en est une autre : la baisse du temps de travail ». Le cauchemar de la langoustine résume parfaitement l’Europe telle qu’au fond elle se fait : libre-échange et liberté de mouvements de capitaux conduisent aux désastres social et écologique.
L’écologie exige de relocaliser drastiquement certaines productions et de privilégier les circuits courts : cela passe par la domestication de la finance, le contrôle des mouvements de capitaux et la remise en cause du libre échange. Elle suppose un vaste plan de soutien (nous proposons un emprunt de 2 % du PIB de l’Union) pour les transports collectifs, la rénovation énergétique des bâtiments ou bien encore la recherche en faveur des énergies renouvelable, car la réduction de la consommation énergétique - en tout premier lieu - et le développement des énergies renouvelables sont indispensables pour envisager une sortie progressive du nucléaire qui ne se traduise pas par un surcroît de consommation d’énergie fossile émitrice de GES.
A la suite des traités antérieurs, tout cela est interdit par celui de Lisbonne. Pire, l’Union vient de s’engager – avec le soutien des députés Verts européens dont nombre d’entre eux se sont par ailleurs prononcés en faveur de la libéralisation du secteur de l’énergie et de l’électricité – dans la mise en place du grand marché transatlantique en 2015.
Au sujet de la PAC, les quelques prérogatives supplémentaires offertes au Parlement européen permettront-elles de lutter contre son productivisme auquel il convient de façon générale de s’opposer ? Il aurait fallu au préalable que les traités ne lui assignent pas comme premier but d’« accroître la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu’un emploi optimal des facteurs de production, notamment de la main-d’œuvre » (repris dans l’art. 39 du Traité de Lisbonne sur le fonctionnement de l’UE).
Les marchés de droits à polluer - qui ont le défaut de ne concerner que les émissions de CO2 - passent certes par une certaine forme de planification par les quantités puisque des droits sont distribués par la puissance publique. Alain Lipietz, qui n’est pas un économiste libéral, n’ignore cependant pas que ce système a été conçu par des économistes libéraux avec l’idée suivante : les imperfections sur les marchés peuvent être gérées par le marché lui-même… en inventant un « marché des imperfections » ! La défense de ces marchés ne cesse d’autant plus de surprendre qu’ils s’accompagnent d’ores et déjà d’innovations financières familières (produits dérivés…) et qu’ils autorisent, via le Mécanisme de développement propre (MDP), ce que certains n’hésitent pas à qualifier de « nouveau néocolonialisme vert ». Une entreprise d’un pays développé peut, en effet, accroître ses « permis à vendre » au Nord en encourageant un projet « moins sale que la moyenne » dans un pays du Sud.
Alain Lipietz soutient enfin que « les Non successifs à toute réforme » seraient responsables de l’incurie de l’Union. Il se félicite des bribes de pouvoir supplémentaire donné au Parlement européen par le traité de Lisbonne. Notre conception de la démocratie est plus exigeante. A l’instar des précédents, ce traité fige, dans un sens libéral, le contenu des politiques. A quoi sert de renforcer les pouvoirs du Parlement européen, si, sur ces questions essentielles, tout est tranché en amont ? Cela n’est pas acceptable et rend d’ailleurs largement superfétatoire, aux yeux des citoyens, les débats « institutionnels » (pondération des voix au Conseil, champs de la majorité qualifiée, domaines de codécision entre le Conseil et le Parlement, etc.), lesquels méritent mieux que le simple éloge indifférencié des pouvoirs d’un Parlement bien mal élu. Quoiqu’il en soit, ce traité reprend la quasi-totalité des dispositions du Traité constitutionnel qui a été massivement rejeté – avec un taux de participation record cette fois – par référendum. C’est une entorse particulièrement grave à la démocratie.
La crise du capitalisme libéral est globale : à la fois économique, sociale, écologique et démocratique. Elle exige une réponse globale, certainement européenne, mais qui passe par la « remise à plat » de la construction l’Union et des traités. C’est le sens des deux textes que nous avons soumis au débat et de notre soutien à la démarche unitaire du Front de gauche. Dans cet engagement, la dimension écologique est essentielle. La dimension démocratique l’est tout autant : notre premier texte s’intitulait, et ce n’est pas pour rien, « Europe : pour sortir du dirigisme libéral ».
Eric Berr (Bordeaux 4), David Flacher (Paris 13), Bernard Guibert (économiste-statisticien), Florence Jany-Catrice (Lille 1), Dominique Plihon (Paris 13),Christophe Ramaux (Paris 1),
À l’occasion des élections européennes,La vie des idées ouvre un dossier sur l’Europe politique. Non pour réitérer le débat entre fédéralistes et souverainistes, mais pour prendre acte des avancées réelles de la construction européenne, tout en s’interrogeant sur les problèmes que cette construction pose à l’objectif démocratique.
Refus clairement exprimé des Français et des Néerlandais d’un traité constitutionnel destiné à jeter les fondements d’un espace politique commun ; désaveu du suffrage universel par des dirigeants empressés de reconduire, sous une autre forme (le Traité de Lisbonne) ce qui semblait avoir été rejeté ; désintérêt profond des populations pour les élections européennes ; suspicion à l’égard d’institutions jugées bien technocratiques : la liste est longue des événements qui empêchent de croire que la construction politique de l’Europe, ambition clairement affichée, avance sûrement. On peut s’en réjouir, penser qu’il n’y a décidément de démocratie que nationale et que puisqu’il n’existe pas de peuple européen, les institutions européennes sont condamnées à être lointaines. On peut au contraire le déplorer, considérer que c’est faute d’assumer pleinement ses ambitions fédérales que l’Europe est en panne et qu’il lui appartient, en organisant un espace public européen, de construire une culture politique commune.
Peu assurée d’elle-même, hésitante sur la forme qu’elle doit se donner, l’Europe politique se construit pourtant. Construction bien paradoxale, qui mêle avancées démocratiques réelles et obscurités institutionnelles, intentions clairement affichées et arrangements pragmatiques. C’est cette réalité contrastée que ce dossier veut illustrer. Il s’invente bien une citoyenneté européenne, portée par des droits spécifiques reconnus et garantis(Voir l’essai d’Etienne Pataud) . Cette citoyenneté, loin d’être seulement juridique, est pleinement politique : à partir d’elle se construisent de nouvelles luttes et de nouvelles formes de mobilisation dont il faut aujourd’hui prendre toute la mesure (J. Lacroix). Il reste que si le droit européen avance, l’harmonisation des juridictions communautaires et étatiques est loin d’être parfaitement analysée. L’indétermination règne en ce domaine, où règne le pouvoir d’interprétation des juges (P. Brunet). C’est aussi l’opacité qui entoure les décisions prises au Conseil de l’Union européenne, révélant les difficultés pour les États membres d’exercer en commun leur souveraineté (S. Novak).
Ce dossier comprendra également quatre recensions :
* Y. Bertoncini, T. Chopin, A. Dulphy, S. Kahn, Ch. Manigand, Dictionnaire critique de l’Union européenne (Armand Colin).
* O. Beaud, Théorie de la Fédération (PUF)
* J. C. Barbier, La longue marche vers l’Europe sociale (PUF)
* H. Laurens, J. Tolan, G. Veinstein, L’Europe et l’islam. Quinze siècles d’histoire (Odile Jacob).
La suite du dossier:
Une citoyenneté européenne est-elle possible ?
Comment attribue-t-on les sièges ?
Selon la règle de la plus forte moyenne : Dans ces méthodes, on fait le rapport entre le nombre de voix et le nombre de sièges et on prend les meilleures moyennes.
Pour les européennes, on ne conserve que les partis qui font plus de 5%
Exemple (selon des sondages récents qui ne veulent rien dire)
moyennes obtenues pour le premier siège (score / 1)
UMP 25
PS 21
MoDem 13
Europe Ecologie 13
Front National 8
Front de Gauche 6
NPA 5
moyennes suivantes (score / 1, 2, 3 etc.)
UMP 12.5 - 8.33 - 6.25 - 5 - 4.16 - 3.57 - 3.125 - 2.78
PS 10.5 - 7 - 5.25 - 4.2 - 3.5 - 3 - 2.62
MoDem et Europe Ecologie 6.5 - 4.33 - 3.25 - 2.6
Front National 4 - 2.67
Front de Gauche 3 - 2
NPA 2.5 - 1.67
Les premiers sièges seraient attribués ainsi en considérant un siège par moyenne supérieure ou égale à 3 :
UMP 8
PS 7
MoDem 4
Europe Ecologie 4
Front National 2
Front de Gauche 2
NPA 1
On voit bien que chaque voix compte et qu’il y a des sièges pour toutes les formations. Chacun des élus sera ensuite libre de rejoindre tel ou tel groupe européen, selon ses affinités.
Aucun pays ne doit donner de résultats des élections avant dimanche soir, fin du scrutin.
jeudi 4 juin : Pays-Bas, Royaume-Uni ;
vendredi 5 juin : Irlande
vendredi et samedi : République tchèque
samedi et dimanche : France (outre mer puis métropole), Italie
samedi 6 juin : Chypre, Lettonie, Malte, Slovaquie ;
dimanche 7 juin : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Grèce, Hongrie, Lituanie, Luxembourg, Pologne, Portugal, Roumanie, Suède, Slovénie.
Pour autant, les Pays-Bas ont donné leurs résultats (ce qui pourrait aboutir sur des procédures voire une annulation ?) mais qui surtout pourrait influencer le vote des autres européens, non pas à cause des résultats mais surtout à cause des commentaires et interprétations de la presse.
Pour moi, selon les institutions françaises, l’abstention favorise les partis au pouvoir, pas les petites listes ni les extrêmes.
En effet, seules des élections proportionnelles permettent de voter pour ce qu’on veut, sans calcul de qualification au deuxième tour.
Ce qui favorise les petites listes, c’est la proportionnelle, pas l’abstention.
<<Avec 16-17% des voix, le PVV [extrême droite] arrive en deuxième position derrière le parti chrétien-démocrate CDA du Premier ministre Jan Peter Balkenende à 19-20% des suffrages.
Son allié gouvernemental, le parti travailliste PvdA, est à 12,1%.
Le parti centriste et pro-européen D66 obtient 11,3%.
Le parti libéral VVD totalise 11,4%
Les Verts obtiennent 8,8%
Le parti socialiste SP (extrême-gauche aux pays bas…) est à 7,1%
Le troisième parti de la coalition, le petit parti chrétien ChristenUnie, est à 6,9%.
Ce résultat confirme les craintes des observateurs: l’abstention - seuls 36% des électeurs néerlandais se sont rendus dans l’isoloir - favorise les extrêmes.
Le bon score du PVV confirme par ailleurs l’euroscepticisme des Néerlandais, qui avaient déjà voté ‘non’ au référendum sur la constitution européenne en 2005.
Le programme du PVV est essentiellement tourné contre l’islam: la formation s’oppose à l’entrée de la Turquie dans l’UE et dénonce l’islamisation de l’Europe. Geert Wilders est notamment l’auteur d’un film - Fitna - dans lequel il compare le Coran au Mein Kampf d’Hitler.
>>
Le mégaphone comme idéal platonicien
par Michel Onfray
In LE MONDE
J’ai d’abord vu d’un bon oeil la création du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) jusqu’à ce que je constate, comme beaucoup d’électeurs de la gauche antilibérale déçus par la chose, que ce nouveau parti n’avait de nouveau que le nom, car il prorogeait la vieille technique des partis classiques qui parlent, pensent et agissent d’abord en boutiquiers défenseurs de leur petite entreprise, sans véritable souci de s’attaquer à la misère réelle de ceux qui, nombreux, font les frais de la politique libérale de Nicolas Sarkozy.
Le drapeau et le sigle qui figure sur la profession de foi du NPA pour les prochaines élections européennes dit tout : un mégaphone ! Voilà le programme : le slogan plus l’électricité… Avec pareil projet, c’est sûr que la gauche antilibérale ira loin et que Nicolas Sarkozy tremblera lors de sa course au second mandat !
Il y a plus grave. En l’occurrence dans l’erreur de raisonnement, un paralogisme pour le dire clairement, qui consiste pour le NPA à refuser l’union aujourd’hui avec les gauches qui ne sont pas lui, sous prétexte que demain l’union ne durerait pas, tout en faisant ce qu’il faut pour qu’elle n’ait jamais lieu !
En effet, le NPA envoie la gauche antilibérale dans les bras du PS et lui reproche cette union contre nature. Mais c’est faute d’union du NPA avec le restant de la gauche antilibérale que cette dernière se trouvera dans l’obligation d’alliances avec le Parti socialiste. Car la politique est affaire de rapports de forces et non d’idéaux flottant dans un ciel platonicien…
Par l’espoir qu’il a créé d’un large rassemblement de la gauche antilibérale, par l’indéniable qualité de son leader, le NPA a réellement le pouvoir d’inverser le rapport de forces, puis d’en créer un autre sur la base d’une large et réelle union des gauches antilibérales. Il pourrait ainsi donner naissance à un véritable foyer majoritaire qui contraindrait le PS, devenu minoritaire à gauche, à chercher ses alliances ailleurs qu’avec le MoDem.
PERVERS, INFANTILE OU SUICIDAIRE
C’est en gauchisant sa position, pure, certes, mais totalement inefficace pour les pauvres qui “trinquent” tous les jours, que le NPA contribue au jeu politique comme il est. Ce refus de faire de la politique concrètement et ce refuge dans la politique politicienne du parti, qui mène sa barque tout seul, fait malheureusement du NPA un allié objectif de l’UMP, du PS libéral et des alliances de ce PS avec le MoDem.
On ne peut contraindre les autres à s’allier avec des adversaires parce qu’on refuse l’union avec eux et leur reprocher ensuite cette union contre nature. C’est soit pervers, soit infantile, soit suicidaire, soit inconséquent, en tout cas irresponsable à l’endroit du peuple qui souffre de la violence libérale et qui attend autre chose qu’un combat de chefs méprisant la populace qui, consciente de ces petits jeux pitoyables et désespérants, tourne massivement le dos à la consultation électorale.
Or cette élection est importante. Si l’on veut l’Europe, qu’on ne peut plus ne plus vouloir, mais qu’on refuse sa formule libérale, alors il faut dire le moindre mal. Non pas l’idéal, l’absolu, le parfait, qui fascinent tant le NPA, mais une autre formule, concrète, réelle, pragmatique, une Europe sociale, antilibérale, dans laquelle le marché ne ferait pas la loi, mais la solidarité et la fraternité, valeurs bien oubliées de la République laminée sous le rouleau compresseur libéral.
Dans cette configuration, le Front de gauche donne la bonne direction. Il réunit le PC, Jean-Luc Mélenchon et les siens, Christian Picquet et, avec lui, les anciens de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) minoritaires dans le NPA et conduits pour ce faire vers la sortie par les anciens trotskistes…
Cette première cristallisation importe : elle dit que la parole est désormais aux électeurs qui peuvent signifier qu’ils en ont assez de la politique politicienne des boutiquiers et qu’ils veulent autre chose : à savoir une large union des gauches initiée par le haut avec le Front de gauche et possiblement confirmée par le bas avec les électeurs.
On ne peut vouloir faire de la politique uniquement avec un mégaphone, ni appeler à la révolution planétaire sans même être capable de présider aux destinées d’un village de campagne. Le mégaphone n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour plus et mieux que lui.
Un communiqué du Parti de Gauche:
Attention manoeuvre électorale!
Le Parti socialiste est-t-il fâché avec les mathématiques ? Ignore-t-il la loi ? Est-il devenu amnésique ? A moins qu’il ne mente sans vergogne pour arracher le vote d’électeurs crédules ? On peut le craindre à la lecture de tracts de dernière minute glissés par le PS dans les boîtes aux lettres. Leur texte circule également par courrier électronique. Il prétend sans honte que pour obtenir des sièges aux européennes les listes doivent obtenir entre 7,7% (Ile-de-France) et 11,1% (Est) et en conclut que le vote PS est le seul vote utile.
Il s’agit là d’une manœuvre mensongère.
La loi est claire : « les sièges sont répartis, dans la circonscription, entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés » (loi n°77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen).
Les mathématiques aussi : la répartition des sièges se fait en fonction du résultat de toutes les listes ayant dépassé 5%. Au-delà, il n’existe aucun seuil en-dessous duquel une liste est assurée de n’avoir aucun élu.
Quant aux scrutins précédents, chacun peut consulter les résultats par soi-même. Lors des européennes de 2004, 6 députés européens ont ainsi été élus avec moins de 7% des voix : 6,04% (en Ile-de-France), 6,08% (en Ile-de-France), 6,15% (dans la circonscription Sud-Est), 6,39% (Est), 6,80% (Nord-Ouest) ou 6,83% (Nord-Ouest).
En faisant circuler ce message, aidez-nous à rétablir la vérité.
bertrand dit:Un communiqué du Parti de Gauche:
Attention manoeuvre électorale!
Le Parti socialiste est-t-il fâché avec les mathématiques ? Ignore-t-il la loi ? Est-il devenu amnésique ? A moins qu’il ne mente sans vergogne pour arracher le vote d’électeurs crédules ? On peut le craindre à la lecture de tracts de dernière minute glissés par le PS dans les boîtes aux lettres. Leur texte circule également par courrier électronique. Il prétend sans honte que pour obtenir des sièges aux européennes les listes doivent obtenir entre 7,7% (Ile-de-France) et 11,1% (Est) et en conclut que le vote PS est le seul vote utile.
Il s’agit là d’une manœuvre mensongère.
La loi est claire : « les sièges sont répartis, dans la circonscription, entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés » (loi n°77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen).
Les mathématiques aussi : la répartition des sièges se fait en fonction du résultat de toutes les listes ayant dépassé 5%. Au-delà, il n’existe aucun seuil en-dessous duquel une liste est assurée de n’avoir aucun élu.
Quant aux scrutins précédents, chacun peut consulter les résultats par soi-même. Lors des européennes de 2004, 6 députés européens ont ainsi été élus avec moins de 7% des voix : 6,04% (en Ile-de-France), 6,08% (en Ile-de-France), 6,15% (dans la circonscription Sud-Est), 6,39% (Est), 6,80% (Nord-Ouest) ou 6,83% (Nord-Ouest).
En faisant circuler ce message, aidez-nous à rétablir la vérité.
Et ce n'est pas une déclaration en l'air : Je viens d'en être témoin dans mon hebdo local (parution le jeudi), où le secrétaire local du PS annonce sans vergogne "Il ne faut pas oublier que seules les listes ayant obtenu plus de 8% auront des représentants au parlement."
La participation (hausse) était à 14,81% à 12h00 contre 13,65% à la même heure aux européennes 2004.
La participation (baisse) était à 33,18% à 17h00 contre 33,24% à la même heure aux européennes 2004.
La participation finale sera donnée à 20h.
L’abstention aux élections européennes pourrait atteindre 60%, dimanche 7 juin, selon les estimations de plusieurs instituts de sondage.
Ce qui voudrait dire (en fait) que ceux qui ont voté aujourd’hui ont leur voix qui compte 2.5 fois plus que si tout le monde était allé voté (1/0.4) !
L’abstention, ça a du bon !
59,5% d’abstention à 19h45… ![]()
Le PS va se planter et Europe Ecologie va faire un bon score…
UMP 28,4%
PS 16,8%
Europe Ecologie 15,1%
MoDem 8,5%
Front de gauche 6,8%
FN 6,3%
NPA 5,2%
Libertas 4,8%
Autres (…) 8,1%