@BioTom > je reviens encore par là pour essayer de comprendre :
Si je comprends, Embracer refile la patate chaude à Asmodee. Ils sont malins chez Embracer, ils font n’importe quoi et quand ils sont dans le rouge, un tour de passe passe et paf, ils se remettent à flot. Ah les gros méchants !
Mais :
Acheter Asmodee pour presque trois milliards afin d’effacer une ardoise de moins d’un milliard ?!? Ok, alors je retire ce que j’ai dit. Chez Embracer, c’est pas des malins méchants mais juste des nigauds. Ou alors, je n’ai rien compris… ce qui est clairement une solution que j’envisage.
[Désolé, post un peu long, mais je pense qu’avoir le contexte peut aider à comprendre la situation actuelle et la réponse à la question de Loder]
Le groupe existe sous le nom d’Embracer depuis 2019, mais il est issu d’activité initialement créées dans les années 1990’s par son CEO actuel, Lars Wingefors, qui apparemment avait déjà développé dans le passé une stratégie de croissance très centrée sur les acquisitions.
En 2019, Le groupe s’est lancé dans une série d’acquisitions qui, entre 2019 et 2023, s’est traduite par l’ajout de près de 40 nouvelles entités/studios/sociétés, pour un cout total estimé autour de 5.5 milliards d’euros (environ 64 milliards de SEK) (en tout cas pour les transactions au montant connu).
Le plus gros des acquisitions a été fait au cours de 2021, avec l’acquisition de Gearbox software pour 1.3 milliards d’USD (c. 1.1 milliards d’EUR), Easybrain pour 640 millions d’USD (545 millions d’EUR), Aspyr pour 450 millions d’USD (385 millions d’EUR) et Asmodée pour 3.1 milliards d’USD (2.8 milliards d’EUR).
Ces acquisitions ont principalement été financées par le cash de la société (via son cash flow – i.e. le cash qu’elle génère par sa marge), des nouvelles émissions d’actions (i.e. une augmentation des fonds propres de la société en faisant entrer de nouveaux investisseurs qui attendent en retour des dividendes) et de la dette (i.e. des banques, attendant le paiement d’intérêt puis le remboursement de la dette à son terme).
La dette est le moyen de financement qui amène généralement le plus de pression, car elle a une maturité, i.e. une date limite à laquelle elle doit être remboursée. Quand cette date arrive, il faut avoir le cash en banque pour pouvoir rembourser les créances, sinon, ça ne se passe pas bien…
Si on se concentre justement sur l’aspect dette d’Embracer, d’après le rapport annuel 2022-2023, la société avait au 31 mars 2023 (date de fin de période de reporting annuelle) une dette totale envers les institutions bancaires de 20 milliards SEK (env. 1.7 milliards d’EUR), dont 8 milliards de SEK devaient être remboursé d’ici juin 2024, et encore 3 milliards de SEK à maturité comprise entre 1 an et 2031.
En parallèle, l’ensemble de leurs avoirs ne dépasse pas 12.5 milliards de SEK, dont seulement 4.6 milliards de SEK en cash. Donc en gros, ils sont bien short……
Quand t’es short, tu cherches un ami qui pourra te prêter de la thune. Mais ça ne s’est pas top bien passé pour Embracer.
En avril 2023, Embracer a annoncé qu’ils n’avaient pas réussi à conclure un deal de refinancement prévu pour un montant de 2 milliards d’USD qu’ils avaient initialement annoncé au marché en octobre 2022 comme imminent. Ce deal devait impliquer un partenaire non identifié mais certains avaient émis l’hypothèse d’un grand groupe tel que Activision Blizzard ou Amazon.
Les conséquences de cette annonce ont été désastreuses pour Embracer puisqu’ils ont revu leur prévision de marge opérationnelle à la baisse de 250 millions d’USD (de 1000 à 750, soit 25% de baisse !), et leur prix de l’action à chuté de 40% au moment de l’annonce.
Evidemment, quand on intègre dans ses prévisions des impacts financiers dépendant d’un deal et que celui-ci ne se réalise pas, on doit revenir à la réalité et ça fait mal !
Les conséquences à ce moment sont multiples : baisse de la marge opérationnelle, donc moins de possibilité de générer du cash, et baisse du prix de l’action, donc quasi impossibilité de se refinancer sur les marchés (difficile d’attirer des investisseurs avec une perte de 40% du prix de l’action). Et donc d’un coup, les options stratégiques se réduisent.
Je pense que c’est de là que la décision a été prise de finalement séparer le groupe en plusieurs entités, pour faire porter la dette à celle qui seraient la plus à même de la gérer – i.e. Asmodée dans le cas présent.
L’achat d’Asmodée en 2021 n’a pas initialement été décidé pour rembourser de la dette. Le ressort stratégique était la croissance du CA et de la marge – Au moment de l’annonce du deal, Embracer attendait une augmentation de leur marge opérationnelle de 30%, avec une dilution pour les actionnaires de seulement 7.5% (plutôt un bon deal). Plus généralement, cela apportait également une diversification d’activité avec des ponts évidents entre elles (jeux video – jeux de plateau), et augmentait la taille globale d’Embracer.
Le grain de sable a été l’impossibilité de conclure leur deal avec leur partenaire inconnu, ce qui a précipité les décisions stratégiques sous la contrainte incompressible du remboursement de la dette… Du coup, Asmodée s’est retrouvé dans le rôle du pompier malgré lui…
Mon opinion : Le patron d’Embracer est nigaud d’avoir intégré dans ses prévisions des deals non réalisés, surtout avec sa position de bilan précaire, mais il est très malin car il a réussi à se débarrasser de la patate chaude de la dette sans mettre en péril la survie du groupe parent qu’il dirige, ni sa place de CEO, en tout cas pour l’instant. Je suis d’ailleurs très étonné que Lars Wingefors n’est pas eu plus d’objections de la part de son conseil d’administration ou ses actionnaires pour tout dire…
EDIT - correction de la baisse estimée de l’EBIT de Embracer suite au deal de refinancement non réalisé
Post de qualité, tu me rends compréhensibles des phrases avec plein de mots auxquels habituellement je ne pane rien, merci.
Tout ça me fait un peu penser à la série Succession Excellente série au demeurant, qui montre un peu les humains qui se cachent derrière ces montants faramineux et ces opérations financières des hautes sphères. Des humains puissants mais aussi plein de failles…
Tant que Nunès et Carville feront partie du CA, je resterai à peu près confiant (et peut être même prêt à y mettre quelques billes le jour où Asmodée ouvre son capital, ce que je n’ai jamais fait de ma vie).
Mais je continue de penser qu’Asmodee est en train de sauver le cul d’Embracer.
Le jeu de plateau plus fort que le jeu vidéo, d’une certaine manière.