Je vais donc conclure mon apport en faisant un récapitulatif le plus concis possible sur Escape Plan, jeu qui est bien plus profond et riche qu’il ne peut le laisser paraître de prime abord.
Nous avons à ce jeu une ressource, l’argent, qui est celle que l’on devra dépenser pour se démener et celle qui nous donnera également nos points au final. On a donc forcément des constantes et tout le monde ici utilisera peu ou prou les income (liquidités), les bâtiments (business ou planques) et les coffres/sacs pour récupérer du butin. La géographie dessine partie du timing dans laquelle on devra organiser la visite de ces lieux qui seront plus ou moins vite, plus ou moins pratiquement et aisément accessibles en fonction de l’ordre d’arrivée des tuiles, de leur positionnement sur le plateau par les uns et les autres et des flics qui leur auront été affectées.
La stratégie à ce jeu consistera donc toujours plus ou moins à planifier un mix entre income + lieux à fort butin + coffres/sacs, aidés par nos soutiens personnels (assets), nos contacts extérieurs (cartes) et autres tuiles que l’on récupèrera au passage de-ci de-là (tuiles fixer et équipement). Il faudra constamment adapter le tempo de cette stratégie et éventuellement repenser son orientation, voire abandonner certaines options en fonction de l’arrivée des cartes contact, des terrains, des mouvements, actions et décisions des autres joueurs.
On a donc une première approche de ce jeu qui peut être perçue logiquement mais de manière erronée comme stratégiquement limitée et tactiquement prégnante. La multiplicité des options et des effets poupées russes dont raffole l’auteur comme souligné plus haut par Harry (je fais ça pour faire ça qui va me permettre de faire ça et qui déclenchera ça, etc.) apparaît donc également moins que dans ses autres jeux, l’aspect assez direct d’Escape Plan étant renforcé par l’aspect géographique qui permet une visualisation immédiate et directement cohérente (“j’ai le bâtiment qui me permet de récupérer 100K$ de butin à portée de mouvement? Et ben j’y vais!”). Or, cet aspect Lacerdien existe bel et bien mais il ne transparaît pas tant directement dans le jeu et sur le plateau comme c’est le cas à Vinhos et Kanban par exemple, mais est induit par les règles (comme le souligne très justement ici aussi Harry). Il faut donc, au-delà de la maîtrise technique des règles (jamais évident avec Lacerda…), évaluer les possibilités qu’elles ouvrent, possibilités pas faciles à cerner vu notamment que le cadre stratégique du jeu est cristallin, superficiellement uniforme et semble ne nécessiter ou n’ouvrir aucune nuance de fond que ce soit de manière périphérique ou intrinsèque.
Et Lacerda prend indubitablement un risque en proposant un jeu comme ça puisque beaucoup de joueurs kleenex et/ou qui jouent de manière formatée auront la sensation d’en avoir fait le tour après 1 ou 2 parties pensant que le jeu n’a plus rien à leur apporter et passeront vite à autre chose et ce, que ces joueurs soient des fans de Lacerda ou non. Les fans pourront trouver superficiellement que ce jeu est simpliste par rapport à d’autres productions de l’auteur et les moins fans pourront le dire trop touffu et chargé pour ce qu’il propose (le fameux “tout ça pour ça”…).
Or, contrairement à ces apparences de surface, nombre d’éléments d’Escape Plan laissent la porte ouverte à de multiples options qui peuvent nuancer voire changer notre perception du jeu et la manière de s’y confronter et ce, même en profondeur (la stratégie…). Ainsi, les cartes contact peuvent être jouées d’une multitude de manières (avec beaucoup ou avec peu, en les défaussant ou sans les défausser, en les recouvrant avec les Menottes ou sans les recouvrir, etc.), chacune de ces options ayant une répercussion très forte sur l’ensemble du (de son) jeu et en particulier sur la fluctuation de la concurrence entre les joueurs (intérêt des coffres marrons/noirs ou au contraire intérêt des coffres verts, impact sur la notoriété (et donc les assets et la mobilité des flics), sur la gestion des traces/blessures, etc.). La piste de notoriété, selon si on la joue en mode famous, discret ou cache-cache (yoyo autour d’un niveau), aura des répercussions différentes sur l’espace pour pouvoir poser sur notre plateau tuiles et cartes et/ou donc par retour sur la notoriété en soi (effet boucle) et/ou sur la concurrence quant aux coffres et/ou sur les flics, etc. Et tout ceci influe au final évidemment constamment de différentes manières sur nos points à marquer. Et tout ceci est constamment en terme de timing mis à l’épreuve des contingences tactiques (pas la même chose si j’ai 1, 2 ou 3 business présents dès le 1er jour; si j’ai 0, 1 ou 2 planques présentes dès le 1er jour; si j’ai 0, 1 ou 2 EXIT présentes dès le 1er jour; si les cartes informer arrivent tôt ou tard; si des cartes comme les fixer, les spy, le General Store sont présents ou pas, tôt ou tard, massivement ou non; si j’ai le risque de voir se fermer un business très lucratif pour moi; etc., etc., etc.). Et puisque je parlais de Notoriété, de cartes contact et de Menottes, et bien les Menottes peuvent être jouées en mode notoriété basse ou au contraire en mode notoriété haute, en faisant un travail de fond sur les cartes contact ou en les limitant voire en les ignorant quasi totalement ce qui n’aura jamais les mêmes répercussions (pour soi et pour les autres) en fonction de la manière dont on mixe en terme d’intensité et de timing les différents leviers ludiques que l’on active (beaucoup, peu ou pas). Et je ne parle pas des édifices apparemment plus anodins (type hosto, clinique, église) et qui peuvent, combinés ou non avec X autres éléments du jeu, modifier en profondeur certains tenants et aboutissants… etc., etc., etc.
La liberté créative mais aussi d’adaptation est donc très, très forte sur de multiples niveaux mais beaucoup préfèrent rester à la surface (c’est vrai que c’est plus facile et plus expéditif) et d’autant plus que techniquement, on fait toujours la même chose (percevoir de l’income, visiter des bâtiments lucratifs, faire main basse sur des sacs de pognon, jouer plus ou moins passivement avec l’échelle de notoriété, etc.). Du coup, pourquoi se prendre des cartes menottes, perdre des points et se priver d’utiliser ces cartes contact aux pouvoirs si sympas? Pourquoi vite courir vers des coffres verts ou des sacs EXIT si l’on peut tranquillement travailler à récupérer des coffres marrons ou noirs plus lucratifs (et dire que c’est de la moule si un ou deux joueurs en prenant des risques ont fait main basse sur les meilleurs sacs avant nous…)? Pourquoi libérer les assets du haut si ceux du bas sont mieux? Pourquoi aller prendre de l’income sur des bâtiments si on peut en prendre sur les EXIT? Pourquoi ne faire que du business si on a des planques à proximité? Pourquoi ne faire que des planques si on a du business à proximité? etc., etc., etc.
Enfin, le jeu ne proposant pas 38.000 tuiles/token différents, 36 tableaux étalés sur le plateau avec 4 ou 5 actions possibles par tableau, 54.000 cartes, 71 bâtiments distincts avec chacun son petit pouvoir spécial, et bien on renforce la sensation qu’Escape Plan ne propose que bien peu de choix et de variété.
Ce jeu échappe donc au cadre classique actuel des productions ludiques (tant en général que de son auteur) ce qui plus qu’un jeu avec le cul entre deux chaises en fait un jeu à mon sens très original et à part. Son côté ontologique, qui se nourrit de sa propre difficulté avec une certaine épure et concentration de moyens me plaît beaucoup d’un point de vue personnel et fait d’Escape Plan presque un jeu hommage, un jeu “Old School”, comme par exemple certains jeux de Kramer (justement…) ou de Wallace qui n’ont pas besoin d’être boursouflés ou d’avoir 1 Million de trucs ajoutés pour donner l’illusion boulimique et artificielle qu’ils sont profonds et renouvelés.
Sinon, d’un point de vue technique, j’aime évidemment le côté “stop ou encore” que je trouve ultra-culotté pour un jeu de cette envergure, et qui est la contingence tactique mise totalement à la disposition des joueurs: libre à eux de l’utiliser, de l’intégrer (ou pas) dans leur planification, de laisser chacun faire sa petite planification plan-plan sans inquiétudes (ou pas), de suivre le rythme des autres ou de le casser, etc. Les pions actions supplémentaires me semblent très intelligemment contrôlés (comme les remarquables Norenberc et Viticulture par exemple où on peut parfaitement gagner en ayant mathématiquement moins d’actions que les autres joueurs). L’action repos apparemment assez moyenne lorsqu’on découvre le jeu s’avère potentiellement très intéressante, tout comme les bâtiments périphériques (Hôpital, Clinique, Eglise) qui sont sur le papier moins alléchants que les gangs par exemple alors qu’ils ont une importance réelle et un impact qui peut s’avérer plus que notable (comme déjà évoqué plus haut), voire même décisif.
Voilà. Je ne suis pas certain que le récapitulatif soit beaucoup plus concis que tout ce que j’avais écrit plus haut .
Bons jeux à tous!