Bonjour tout le monde ! Eh bien, 9 pages déjà !! Permettez-moi d'apporter mon témoignage.
Je suis prof dans un lycée public en région parisienne. J'ai une ancienneté de dix ans ; déduisez si vous voulez le service national et mon année à l'IUFM, où je donnais quelques heures de cours seulement par semaine. Il ne s'est pas écoulé une année sans qu'il y ait au moins une grève, plus souvent de 2 à 4, dans les établissements où j'ai travaillé. La grèce, dans ce cas, n'est pas l'ultime recours constitutionnel face à un interlocuteur borné : c'est le moyen standard d'action des syndicats. Il m'est même arrivé d'assister, effaré, à des grèves "préventives", en quelque sorte : on ne sait pas très bien ce que le ministre mijote, mais on fait grève à l'avance pour montrer que l'on est combatif. Personnellement, moi qui suis d'un caractère confucéen, à la recherche de l'union et du consensus, je suis horrifié par cette "culture de la grève". Evidemment, cette culture de la grève, très forte à gauche, est liée à notre histoire, celle de la Révolution, des grandes luttes sociales, etc. Mais il me semble que la grève utilisée à répétition est une erreur. De plus, le rappel historique des luttes du passé me fait parfois rire sous cape, quand on pense à la différence entre la situation tragique des ouvriers du XIXe siècle, véritables esclaves malgré leur statut d'hommes libres, et celle de la majorité des Français d'aujourd'hui, membres des classes moyennes de la période postérieure aux Trente Glorieuses.
D'un point de vue politique, cela pose d'autres problèmes. Tout d'abord, la grève n'est effectivement pas un scrutin et n'est qu'une forme d'expression d'un ras-le-bol. Lui donner comme c'est trop souvent le cas la valeur d'une élection est opérer une confusion regrettable. On peut ne pas apprécier ce système, mais c'est le nôtre. Dire que la rue représente le vrai pouvoir du peuple contre la tyrannie de l'oligarchie qui nous gouverne, c'est reprendre en gros le discours du Komintern sur les démocraties de l'ouest à l'époque de la guerre froide : vos démocraties n'en sont pas vraiment car elles sout toujours dirigées par des bourgeois. Le fait est que nous vivons dans une démocratie représentative, dont le principe est que nous élisons des représentants auxquels nous enlevons notre agrément à la prochaine échéance électorale s'ils nous ont déçu. Le but est de nous laisser le temps de vaquer à nos occupations par ailleurs. Certains ici semblent regretter de ne pas être en démocratie directe, en fait. La rue ne peut pas être une démocratie directe de substitution.
Du point de vue de la représentation du peuple, il y a aussi illusion. En effet, la tradition de militantisme, de grève et de manifestation, est fortement ancrée dans la gauche en France. Qu'il y ait un million de manifestants représente peu en définitive, car on sait que le corps électoral est bien plus important et qu'une partie notable des manifestants sont opposés de totue façon à l'action du gouvernement, de droite, dans son ensemble, et pas à cette réforme précisément. En fait, n'importe quelle occasion est bonne pour quelqu'un de déçu par la voie électorale : quoiqu'il arrive, il manifestera. Peut-être cela vous semble-t-il exagéré, mais je puis jurer que certains de mes collègues, quoique fasse le gouvernement actuel, manifesteront et feront grève. De grévistes ne peuvent pas prétendre représenter le peuple : le peuple n'a nul autre représentant que ceux qu'il a lui-même désigné.
En ce qui concerne les "grèves" des lycées et étudiants - que j'ai aussi connu, ayant fait mes études à Rennes 2, université déjà très chaude quand j'y étais... Parler de grève n'est pas de la pure sémantique, puisque le droit de grève est quelque chose de fondamental. Mes élèves ont-ils la possibilité de faire grève ? Non, et donc, stricto sensu, quand ils sont dans la rue - même pour d'estimable raisons politiques - ils n'utilisent pas un droit qui leur est reconnu mais sont en infraction vis-à-vis de l'obligation scolaire. Et ainsi mes collègues qui incitent leurs élèves à manifester font deux fautes : ils expriment ouvertement leurs opinions politiques, ce qui nous est interdit dans le cadre de l'école laïque, et parce que nous avons un devoir de réserve en tant que fonctionnaire, et de plus ils les poussent à accomplir un acte illégal en contradiction avec leur mission d'enseignant.
Y a-t-il un républicain dans la salle ???