Sur suggestion de @znokiss, je mets ici aussi mon CR.
Découverte (on n’arrête plus, deux en deux semaines) d’Hégémonie à trois. Alors, là, on n’est plus dans le classique allemand mais dans une toute autre dimension, du moins en apparence.
Il s’agit donc d’un jeu sur la lutte des classes qui transpire son thème : le rouge représente vraiment qqch et jouer le bleu met encore plus le seum que de manipuler cette horrible couleur (oui, je joue rouge normalement, et oui j’étais le capitaliste dans cette partie). Chaque joueur incarne un rôle aux mécaniques propres : classe laborieuse en rouge, capitaliste en bleu (donc) et la classe moyenne en jaune ().
L’objectif du prolétariat est d’accroitre son bien-être en récupérant des ressources auprès de l’Etat (neutre à trois, mais incarné par un joueur à quatre) et/ou du capitaliste. Celui du capitaliste est d’amasser le plus d’argent possible, principalement en créant des entreprises qui, occupées par les prolétaires, généreront des ressources. Ces dernières seront vendues à ce même prolétariat ou à l’export. Le capitaliste devra bien sûr payer les salaires et les taxes avant de pourvoir épargner. Et c’est cette épargne qui en fin de tour lui octroiera des points de victoire. La classe moyenne, quant à elle, emprunte ses mécaniques à ces deux classes : elle doit augmenter son bien-être tout créant des entreprises et en accumulant de l’argent. Elle joue également le rôle pas facile d’arbitre : elle doit à la fois générer ses ressources et payer des taxes pour les micro-entreprises qu’elle crée.
En pratique, la mécanique sous-jacente consiste à jouer des cartes (propres à chaque classe) soit pour leur pouvoir soit pour des actions “de base” (une petite demi-douzaine qd mm, propres à chq classe aussi).
Et, enfin, le truc hyper malin et qui pour moi est l’idée du jeu, c’est le tableau des lois. Ce sont 7 jauges de trois niveaux chacune qui vont avoir une influence sur tous les aspects du jeu : coûts des ressources fournies par l’Etat, niveau des taxes, niveau du salaire minimum, niveau de l’emploi public, niveau de protectionnisme (import/export et immigration). Evidemment, ces trois niveaux correspondent pour un extrême au libéralisme effréné, pour l’autre à un étatisme forcené. Avec une fois de plus un entre-deux plutôt favorable aux classes moyennes.
Et une fois la pénible mise en place faite qu’est-ce que ça donne ? Beaucoup, beaucoup de trashtalk : et vazy que je traite de macroniste parce que tu joues jaune avec tes startups et vazy que je te traite de macroniste parce que tu joues bleu et que tu baisses les salaires, et vazy que je traite de macroniste, juste pour le fun. Bref, vous voyez l’idée. On parle évidemment de politique et d’anecdotes amusantes. Mais, c’est nous qui faisons le show, pas le jeu qui ne raconte pas des masses de choses et ne gère pas d’histoire.
Et ça nous amène aux trois problèmes que je vois après cette première partie :
1/le jeu est long (au moins 5h sur notre partie) et comme il n’est porté par un souffle épique ni des négociations enflammées, il en devient un peu rébarbatif ;
2/ c’est un bordel de p* d’euro dans lequel on finit par faire des calculs d’épicier pour optimiser ses points et pousser le curseur dans le bon sens pour en grapiller qquns, pour être juste où il faut en bénéfices pour éviter de perdre de l’argent en subissant l’effet de seuil des niveaux de taxes, pour avoir le bon compte d’actions pour poser une carte et y mettre les bons meeples etc ;
3/ mécaniquement, j’ai trouvé certaines choses un peu faibles or comme c’est euro ça gène : l’intervention du FMI, la gestion des stocks et du prix de revient, les niveaux de taxe non linéaires, les grèves ou la manif sans impact.
Donc, oui, le jeu a un thème fort qui le porte, mais non on ne “vit” pas la lutte des classes. Il n’y a pas de lutte, ni même de confrontation et ou un début de négociation : il y a des actions à optimiser pour gagner des points. Il y a une certaine intrication des rôles, c’est tout. Le jeu est ainsi tout le temps pris entre son thème super fort et les contraintes mécaniques qui viennent percuter ce thème et l’affaiblir.
C’est d’autant plus le sentiment que l’on a que les rôles donnent l’impression d’être très figés. Ainsi, la table des lois est une excellente idée mais elle est en grande partie stéréotypée ce qui ne donne pas de possibilité d’entre-deux. En tant que capitaliste, je dois avoir le moins de taxes possibles sinon, je perds des points. Donc, je joue dans le but de baisser les taxes et rien ne peut m’y faire déroger. Je n’ai pas de terrain d’entente possible avec les prolétaires et pas d’interprétation du rôle autre que ce que le jeu m’impose.
De plus, et c’est faire preuve certainement d’une trop grande exigence, mais la simulation/le modèle atteint des limites certaines. On est, par exemple, arrivé à une situation économiquement absurde dans lequel les taxes étaient faibles et les ressources fournies par l’Etat gratuites. Personne n’incarnait l’Etat pour éviter une telle situation, d’accord, mais rien à trois ne l’empêchait non plus. On s’est pris le FMI sur la tête, faillite étatiques. Moi, j’étais très content en tant que capitaliste. Mais, il n’en est résulté qu’une remise à jour des curseurs et en avant Guingamp. Les prolétaires n’en ont pas tant pâtit que ça et je n’en ai pas franchement bénéficié. Thématiquement bien vu, mais mécaniquement un peu anecdotique et loin de la bonne vieille cure d’austérité néo libérale espérée.
Le jeu fait une promesse qu’il ne tient pas. Le thème est super bien intégré, pour un euro. Ce n’est pas un John Company dans lequel on vit une histoire de folie en oubliant la mécanique qui est d’ailleurs par moment un peu simplette. Et, c’est sûrement la force de celui-ci : un jeu qui assume son thème en lui donnant la prépondérance sur la mécanique. A Hégémonie, c’est l’inverse et c’est pour cette raison que c’est un euro : la mécanique prend le pas sur le thème alors qu’il est si présent. Le FMI intervient, on met qq curseurs à jour et pim pam poum, on continue notre petit tour d’action. Aucune injustice, aucune méchanceté. La première fois que la John company a fait faillite, on l’a senti passé. On l’a insulté le boloss qui a laissé l’Inde sans protection parce qu’il avait préféré s’acheter des actions. A JC, mon argent si précieux quand je l’octrois à une direction, je le pèse la sous-pèse. Là, je fais de la monnaie en permanence (ce qui est assez pénible au passage) pour gagner de l’argent qui me feront des PV comme dans tout euro.
Pour conclure ce qui ressemble certainement trop à un long réquisitoire à charge, j’ai malgré tout passé un excellent moment. J’ai très envie de rejouer au moins pour être le rouge et découvrir ce que les prolétaires peuvent faire. Je ne sais pas si on pourra être 4, mais incarner l’État doit être amusant aussi.
Passée la découverte, je sais pas si on refera. Si on doit faire 5h de partie, je vais probablement préférer un truc plus épique.