Le jeu : Culture ou Loisir ?

Il y a quelqu’un qui a dit quelque chose comme : “Est culturel ce que le ministère de la culture reconnaît comme tel”.
Bein oui, mais on pourrait dire aussi “Est chaussette ce que le ministère de la chaussette reconnaît comme tel”.
Autrement dit on est dans la reconnaissance par l’administration de ce qui est culturel ou non.
c’est très important pour les acteurs économiques (créateurs, éditeurs etc.) mais moi je m’en fous pas mal et la Culture, en tant qu’idée, je pense qu’elle s’en fout aussi.
De ce point de vue l’expression “produit culturel” signifie la même chose que “produit alimentaire”, ça ne définit qu’un ensemble de règles administratives.
Pourtant l’idée de culture existe indépendamment de l’Etat (et heureusement sinon totalitarisme tout ça…).
Pour moi c’est une question de seuil, si 100 personnes s’intéressent à un sujet, ils vont créer un échange d’idées autour de ça qui va les sortir d’un rapport individuel au sujet pour en faire un rapport collectif et donc culturel puisque ça définira au moins en partie ce groupe.
En allant par là, ma théorie c’est que seule la culture populaire existe parcequ’elle concerne un maximum de gens, elle vit et surtout elle est choisie.
A peu près tout ce qu’on reçoit est produit par une industrie ou un artisanat, mais parfois ceux qui reçoivent ces produits décident ou considèrent que la valeur du produit est plus large que sa valeur commerciale.
Les comics de Barks coûtaient quelques cents, l’auteur n’était pas nommé, ils étaient un comics Disney parmi de nombreux autres, pourtant des lecteurs ont identifié l’auteur (sans pouvoir le nommer dans un premier temps), l’ont hiérarchisé par rapport aux autres, ce sont mis à discuter de lui et de ses histoires. Et hop ! le produit qui avaient pour fonction d’être lu et jeté devenait un objet culturel.
La BD de ce point de vue a, à mes yeux, fortement régressée ces 10 dernières années parceque elle s’est officialisée, organisée (je ne sais pas quel est le bon mot) et que les lecteurs sont dans une posture n’alimentant qu’une culture moribonde. Il n’y a qu’à voir les forums BD qui sont bien moins actifs que Trictrac alors que plus de BD sortent que de jeux.
Aucun doute pour moi que le jds est culturel et j’y trouve aujourd’hui la même effervescence qu’en BD il y a 20 ans (peut-être en musique Pop il y a 50 ans).

alainE dit:Surement parce que cela nécessite moins d'investissement personnel, moins de remise en question de ses propres pratiques, moins de confrontation avec les institutionnels qui tiennent généralement les cordons de la bourse,...


Je ne connais pas le fonctionnement des ludothèques, mais peut-être que cela ne fait tout simplement pas partie de leurs missions. Si les subventions viennent du budget dédié à la jeunesse, que ce soit au niveau municipal, départemental, régional ou national (je ne sais pas qui les finance), il est logique qu'elles se focalisent sur le jeu pour enfant. C'est ce qu'on leur demande.
MOz dit:
alainE dit:Surement parce que cela nécessite moins d'investissement personnel, moins de remise en question de ses propres pratiques, moins de confrontation avec les institutionnels qui tiennent généralement les cordons de la bourse,...

Je ne connais pas le fonctionnement des ludothèques, mais peut-être que cela ne fait tout simplement pas partie de leurs missions. Si les subventions viennent du budget dédié à la jeunesse, que ce soit au niveau municipal, départemental, régional ou national (je ne sais pas qui les finance), il est logique qu'elles se focalisent sur le jeu pour enfant. C'est ce qu'on leur demande.


Quelques points (les plus explicite vis à vis de la question) repris de la charte de l'ALF (Charte de Qualité des Ludothèques Française) concernant son point 1) Ethique et rôle d'une ludothèque.

- Avoir le jeu et le jouet au centre de tout projet et de toute action entreprise en ludothèque.

- Promouvoir l’activité ludique et faire partager le plaisir de jouer.

- Valoriser le patrimoine ludique en possédant des jeux de différentes époques et de différentes cultures.

- Permettre aux adhérents d’expérimenter une grande diversité de jeux pour favoriser l’esprit critique.

- Préserver le jeu des récupérations pédagogiques, thérapeutiques, commerciales, idéologiques…

Que les subventions viennent pour partie de budget dédié à la Jeunesse cela ne fait aucun doute, et montre bien le chemin qui reste à parcourir pour que le jeu ne soit plus uniquement considéré comme un loisir pour enfant mais bel et bien comme un objet culturel au même titre que le livre, accessible et à destination de tous.

Après ce n'est pas parce qu'un institutionnel te demande d'aller uniquement vers un public par méconnaissance totale du secteur qu'il ne faut jouer ton rôle d'acteur du secteur pour expliquer que le jeu est bien plus que ça et peut attirer un public bien plus large.
alainE dit:Que les subventions viennent pour partie de budget dédié à la Jeunesse cela ne fait aucun doute, et montre bien le chemin qui reste à parcourir pour que le jeu ne soit plus uniquement considéré comme un loisir pour enfant mais bel et bien comme un objet culturel au même titre que le livre, accessible et à destination de tous.
Après ce n'est pas parce qu'un institutionnel te demande d'aller uniquement vers un public par méconnaissance totale du secteur qu'il ne faut jouer ton rôle d'acteur du secteur pour expliquer que le jeu est bien plus que ça et peut attirer un public bien plus large.


On est bien d'accord.
MOz dit:
El comandante dit:La création artistique ne vise pas d'abord la production de valeur (économique).

Je ne sais pas si c'est ce qui fonde la démarche de création - ça doit dépendre des artistes et probablement aussi du moment de leur carrière - mais c'est indéniablement conjoint...


Encore une fois oui, aujourd'hui, maintenant, depuis moins d'un siècle. Pour la culture de masse, la culture loisir, le loisir-marchandise. 1/200è du temps révolu depuis Lascaux, 1/50è depuis l'Egypte antique, 1/30è depuis les Olmèques, 1/5è depuis la Renaissance...
L'art a toujours été lié à la vénération; hier les dieux, aujourd'hui l'argent. Rien d'éternel. La culture de masse engendre peut-être des changements, c'est moins immanent, plus transcendant. Peut-être un changement durable, mais il est beaucoup trop tôt pour le dire.
El comandante dit:Encore une fois oui, aujourd'hui, maintenant, depuis moins d'un siècle. Pour la culture de masse, la culture loisir, le loisir-marchandise. 1/200è du temps révolu depuis Lascaux, 1/50è depuis l'Egypte antique, 1/30è depuis les Olmèques, 1/5è depuis la Renaissance...

Justement, non, je ne pense pas que c'est si récent et forcément lié à la culture de masse. Je parlais de Damiens Hirst, ce n'est pas de la culture de masse. Je parlais de Rubens, ça remonte à la Renaissance flamande. C'est peut-être récent, mais pas si récent que cela. Je crois surtout qu'on est encore beaucoup influencé par la pensée de l'art développée par les lumières et le romantisme allemande du XIXe siècle (l'artiste vu comme un démiurge et tout le toutim).
El comandante dit:L'art a toujours été lié à la vénération; hier les dieux, aujourd'hui l'argent. Rien d'éternel. La culture de masse engendre peut-être des changements, c'est moins immanent, plus transcendant. Peut-être un changement durable, mais il est beaucoup trop tôt pour le dire.


Oui, l'art des origines est intimement lié au sacré. Exemplairement, les peintures des grottes de Lascaux. Et je pense que jusqu'à la Renaissance, ça reste vrai. Il n'y a qu'à voir les sujets choisis jusque-là (100% religieux en ce qui concerne la peinture). Depuis, s'est quand même largement développé un art profane. Par exemple, Jan van Eyck peint le Retable de l'Agneau Mystique mais aussi Les Époux Arnolfini. C'est peut-être nouveau, mais ça me semble largement antérieur au XXe siècle et à l'apparition de la culture de masse.

Quel débat riche…

Bon je soutiens la définition de base donnée de la culture comme opposition à la nature. La culture est l’ensemble des manifestations concrètes de la liberté humaine, c’est-à-dire l’ensemble des activité librement consentie et organisée par l’homme. C’est du fait de sa spiritualité que l’homme trouve un besoin de se grandir (culture = augere) dans autre chose que de pures activités animales. C’est le temps arraché aux nécessités naturelles, qui nous contraignent au travail. La définition est celle des Grecs dès Platon et Aristote, la culture c’est le loisir (skolè en grec, otium en latin), le temps de l’activité gratuite (désintéressée par opposition - par exemple- au negotium qui est lui intéressé) qui est à elle-même sa propre fin. Ainsi, Aristote range dans cette catégorie la Science (au sens antique), nous moderne nous y rangeons les beaux-arts (arts libéraux - l’art pour l’art). Évidemment, le loisir dans ce sens est JEU, c’est-à-dire activité plaisante, et faite pour elle-même.

Le jeu (tel que nous le pratiquons) est un acte culturel et spirituel (l’animal ne joue jamais de façon désintéressée). Il est comme le soulignait W. Kramer la seule création culturelle interactive dont la pratique achève la réalisation.

Le problème ici, est de ne pas séparer les modalités de la culture et du loisir. La culture sera populaire, savante, sous culture, contre culture, etc. En fonction des stratifications sociales organisées pour créer de la distinction entre classes. De ne pas non plus souligner le fait que nos sociétés ont investis tous les champs possibles (celui de la culture aussi) pour en faire des purs “produits” dont l’objectif est la consommation/rentabilité (donc la “culture” en ce sens est un domaine commercial soumis à des règles ad hoc).

Concernant la question de l’art, idem si je puis dire. La définition de l’art donnée par Aristote est la suivante : savoir-faire efficace, consistant à produire selon des règles vraies (définition générique de la teknè). C’est donc une connaissance théorique destinée à la poïèsis c’est-à-dire la production d’un objet. Cela implique une connaissance de règles générales adaptées au cas particulier que l’on désire amener au réel. D’où la racine commune de artisan (ars), technicien (teknè) et artiste (artis) qui sont 3 formes de ce savoir-faire réglé. Produire un jeu est un acte d’art, mais pas au sens restrictif de artistique. Sens d’autant plus réduit et galvaudé que l’artiste aujourd’hui s’insère lui aussi dans une trame mercantile qui en détermine les droits et règles.

MOz dit:Renaissance.


Dans ce sens, j'avais retenu que c'est la notion même d'art qui est apparu à cette époque. Avec l'apparition du portrait,l'émergence de l'individu, de la technique ...
L'idée de mettre le monde en perspective, vu par un spectateur... bref ou l'on passe de la manifestation (religieuse) à la représentation...

Intéressante d'ailleurs la méthode Arno stern qui propose des ateliers autour du "jeu de peindre" ou comment s'exprimer en peinture sans être dans une posture artistique.

Mais bon, on s'éloigne du débat culture là... :)
Mitsoukos dit:Dans ce sens, j'avais retenu que c'est la notion même d'art qui est apparu à cette époque. Avec l'apparition du portrait,l'émergence de l'individu, de la technique ...
L'idée de mettre le monde en perspective, vu par un spectateur... bref ou l'on passe de la manifestation (religieuse) à la représentation...


Oui, la notion moderne d'art. Outre l'apport technique essentiel de la perspective, la Renaissance est effectivement marquée par l'émergence de l'individu (ce qui n'est pas sans rapport). L'artiste commence à signer ses toiles et à se représenter lui-même (autoportrait). Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y avait pas d'art avant. C'est juste que c'était une autre conception.

Je viens de voir une chronique dans “La nouvelle éditon” sur Canal+ sur "le succès des jeux d’apéro ou jeux de cocktails ;-).
Bon ! aucune surprise …
La chronique commence par “Imaginez, vous êtes chez vous, il pleut, que faites-vous ? Vous pouvez jouer à des jeux d’apéro !”
Réponse : “il faut boire ?”
Sous-entendu : quand on a vraiment, vraiment rien d’autre à faire, on peut jouer !

Petit reportage sur Time’s up. Et interview d’un gérant de magasin type La grande récré.
C’est terrible, malgré l’effort louable de s’intéresser aux jeux “modernes”, comme d’habitude, les personnes filmées passent quand même pour de gentils débiles.
On est bien loin de l’objet culturel…
Enfin bon ! au moins on parle de jeux.