[Pipeline]
Dans Pipeline, de façon surprenante, l’objectif est de développer la compagnie pétrolière la plus efficace possible. Comme on peut s’en douter dans ce genre de jeu (i.e : jeu économique dans lequel il faut construire un moteur et jouer sur les effets de levier), les investissements initiaux sont tels qu’il est difficile de faire apparaître ne serait-ce que l’embryon d’une modeste entreprise familiale de raffinage.
Parlons chiffres : pour nous lancer dans le business du raffinage, il nous faudra :
1) du pétrole brut, chaque baril coutant entre 5$ et 10$ en début de partie.
2) des tuyaux qu’il nous faudra agencer en un réseau de pipelines fonctionnel et efficace : entre 15$ et 40$ si on les achète auprès des sous-traitants privés, un peu moins (10$ ou 35$) si l’on choisit de recycler le réseau vieillissant du gouvernement.
3) des réservoirs pour stocker le brut et le pétrole raffiné. Entre 5$ et 15$ pièce.
Faites le calcul vous-même : poser quelques morceaux de tuyaux, acheter du brut et des réservoirs pour les stocker (sans même parler d’investir dans les technologies ou de faire trimer un peu plus notre ouvrier). Alors combien ? 100$ ? 200$ ? Peut-être. Oui mais voilà, on commence la partie avec seulement 40$ en poche.
Forcément, les emprunts deviennent tout de suite attrayant. Le système d’emprunt de Pipeline va nous faire regretter de nous être lancé dans la pose de tuyaux plutôt que dans la finance. Le premier emprunt, nous l’obtiendrons avec un taux d’intérêt de 33% et chaque prêt supplémentaire sera calculé à partir de cette base. Nous devrons rembourser notre cinquième emprunt au taux de….400% !!!
Trouver le moyen de faire démarrer notre compagnie pétrolière est le premier acte du dilemme économique proposé par Pipeline. Le jeu se déroule sur 3 années, chaque année réduisant le nombre d’actions que nous sommes autorisés à effectuer (8 puis 6 puis 4. Oui, seulement 18 actions…). Cette réduction implique de rester compétitif dans un marché en accélération.
Pour faire des bénéficies, il faudra acheter le moins de tuyaux possible, le moins de brut possible et le moins de réservoirs possible. En gros, faire efficace. En parallèle, il faudra savoir quoi faire avec chacune de nos actions. De base, on n’en a qu’une seule par tour, qu’il s’agisse de prendre des contrats, de souscrire un emprunt, d’acheter des tuyaux, d’investir dans des technologies ou d’aller sur l’un des 4 marchés pétroliers du pays. Mais, rapidement, on s’aperçoit qu’une seule action par tour, ce n’est pas assez. Le jeu permet d’en faire deux dans le même tour… mais en étant limité dans nos choix. Et il nous en coûtera 10$. Soit ¼ de votre capital de départ. Ce qui signifie que nous aurons à bien planifier nos coups à l’avance.
Les actions étant une denrée rare, on voudra en faire deux par tour. Surtout que raffiner du brut en quelque chose de vendable prend également une action ! Le raffinage fonctionne ainsi : on pose notre meeple sur l’une des tuiles de notre réseau personnel de raffinage. Chaque pipeline qui passe par cette tuile est activé et, en fonction de sa longueur, le pétrole brut (un seul baril à la couleur du pipeline – il y a 3 couleurs de pétrole : bleu (offshore), orange (désert), gris (arctique)) sera plus ou moins raffiné (plus le pipeline est long et plus on obtiendra une meilleure qualité : semi-raffinée, pureté moyenne ou octane).
Le raffinage coûte une action. Un délai supplémentaire. Un autre goulot d’étranglement. Alors, no future ? Pas vraiment. Il existe une solution : l’automatisation.
L’automatisation est le deuxième acte de Pipeline. En achetant une machine (20$+) et en la reliant à notre réseau, il nous sera possible de raffiner du brut sans dépenser d’action mais il nous en coûtera 15$. C’est cher mais l’on peut ainsi activer toutes nos machines et par voie de conséquence tous les pipelines qui y sont reliés. Pour peu qu’on ait suffisamment de brut et de réservoirs, on va enfin pouvoir bénéficier d’un effet de levier.
L’automatisation est le point d’inflexion entre une entreprise qui perd de l’argent et une entreprise avec des investisseurs grassouillets qui frappent à la porte. Notre partie s’accélère soudain avec l’automatisation : avant de faire tourner nos machines de façon efficace, il nous faudra vivre au jour le jour en étant en permanence sur la corde raide.
Les ventes produisent de l’argent, l’argent permet de construire des pipelines et les pipelines permettent de vendre. Double actions, extension de notre réseau, automatisation galopante, réservoirs pour stocker tous les barils achetés ou purifiés : il n’y a soudain plus de limites !
L’automatisation produit deux effets :
1) elle nous donne un premier objectif. Il y a une telle différence entre un réseau activé par de l’huile de coude et un réseau fonctionnant de façon automatique qu’il est illusoire d’espérer l’emporter avec une compagnie artisanale face à une compagnie exploitant logiciels et autres lumières clignotantes. Rappel : chaque nouvelle année offre moins d’actions. L’obsolescence du travail manuel est directement programmée dans le jeu.
2) le moindre retard peut nous voir terminer irrévocablement très loin derrière les autres. Cela est thématiquement bienvenu : une ferme traditionnelle moissonnant et battant le blé à la main ne pourra jamais concurrencer une industrie argoalimentaire mécanisée utilisant engrais de synthèse, moissonneuses batteuses et autre ascenseur à grain.
Cela fait de Pipeline un jeu très scripté. Oui mais ce n’est pas un problème, bien au contraire. Etant donné le peu d’actions à disposition et la nécessité d’automatiser, avec des joueurs de même niveau, une fois que chaque joueur a mis en place son infrastructure, l’interaction devient ultra violente sur les achats de brut, la vente de pétrole raffiné et les commandes. Et bien entendu sur l’ordre du tour.
Puisqu’il n’y a ni mécanisme permettant de redistribuer l’argent des plus riches vers les plus pauvres ni mécanisme permettant de se remettre à niveau, le jeu est ultra punitif (et c’est assumé) et les riches deviennent de plus en riches. Comme dirait l’autre : « play better ! ».
Il y a des grandes idées dans Pipeline :
1) le casse-tête que représente la construction d’un réseau de pipeline labyrinthique.
2) la budgétisation chirugicale de notre moindre $ pour effectuer LE grand coup qui nous permettra enfin de sortir de la spirale négative.
3) l’arbre technologique et le fait de pouvoir interdire aux autres l’achat de technologies.