L’excellent podcast Playback (créé par peu ou prou les mêmes gens que La Radio des Jeux) propose, dans sa dernière émission d’été, un petit concept amusant.
Le top 500 BGG est découpé en “tranches” et chaque invité choisit un et un seul jeu dans chaque tranche, le jeu qu’il préfère, et commente son choix et son rapport à ce jeu.
Alors, comme c’est facile à faire et que ça ne mange pas de pain, je nous propose de faire la même chose ici.
Tranche 1 : le top 401-500
Mon choix : Deus (484)
J’avoue être un peu étonné de le voir si bas dans le classement (même si top 500 ça reste sacrément honorable, hein).
Voilà, je trouve que ce jeu est d’une classe absolue. Une grosse épure de la règle qui tient en 4 feuillets, pas d’exception bizarroïde ou de phase de maintenance laborieuse… Et pourtant, un jeu très technique à jouer et ultra-riche.
Je me souviens de ma première partie pleine de frustration parce que je n’arrivais à rien faire et pourtant une très grosse envie d’y revenir pour faire mieux, car je voyais le potentiel du jeu. Je me rappelle mes parties suivantes où on peut mettre en place des montées en puissance jouissives avec déclenchement de cartes en cascade incontrôlée. Je me souviens de parties expérimentales où j’essaie des trucs, en particulier une victoire sans temple qui me restera en mémoire.
Rarement un jeu m’a donné à ce point envie d’y revenir et m’aura offert des parties toujours renouvelées avec le même paquet de cartes. (Je n’ai même pas essayé l’extension, c’est dire).
Je me souviens que l’accueil lors de sa sortie avait été un peu tiède, mais que le jeu a vraiment su s’installer dans la durée, au moins dans le coeur des francophones, puisqu’il a gagné la TT Cup quelques années après, j’étais aux anges.
Tranche 2 : le top 301-400
Mon choix : Dungeon Lords (335)
Un de mes premiers “gros jeux” avec tout plein de règles partout. J’ai longtemps eu peur de m’y frotter, j’ai tellement bien fait de franchir le pas.
Certes, c’est loin d’être le jeu le plus joué de ma ludothèque, vu que le bestiau n’est pas facile à sortir, mais vraiment chaque partie fut tellement mémorable.
Normalement, ça devrait être tout ce que je déteste en game design : des petits points de règles de partout, absolument aucune tentative de simplifier le jeu, un truc boursouflé au possible avec des tas de mini-plateaux, des tours découpés en plein de phases qui brisent la fluidité… Les joueurs qui jouent pendant 3h pour au final ne faire que 18 actions dans toute la partie…
Mais incroyablement, tout ça est au service du thème et du fun ! C’est vraiment un jeu qui ne ressemble à aucun autre, en alliant la gestion exigeante (le jeu est TRÈS tendu, il faut le savoir) et un joyeux bordel avec de l’humour à tous les étages. Et du coup, c’est un jeu où on s’y croit ! Oui, on est vraiment en train de recruter des vampires pour tordre le cou à ses sales voleurs qui veulent s’introduire dans notre donjon. Le comptage des points est presque accessoire, on est surtout là pour se faire de belles frayeurs et prendre plaisir à emprisonner des aventuriers mal intentionnés.
Vraiment un jeu qui ne ressemble à aucun autre.
Tranche 3 : top 201-300
Mon choix : Cyclades (217)
Ce n’est pas parce qu’il y a le Kickstarter en cours.
À vrai dire, je me suis souvent fait la réflexion que le jeu pourrait ressortir tel quel et rester brillamment d’actualité. Vous vous rendez compte du standard d’édition que c’était en 2009, avec ces illustrations qui claquent de partout, ce plateau à se damner, le nombre de petites figurines dans la boîte ?
Tout ça au service là aussi d’un jeu assez simple dans ses règles (c’est un jeu que j’utilise facilement pour initier des nouveaux joueurs, certes un peu motivés, ce n’est peut-être pas pour Tatie Chantal). Et avec ces quelques règles, v’là les émotions que ça te procure !
Un jeu d’affrontement, certes, mais où les bastons directes ne sont finalement pas si nombreuses. On passe surtout énormément de temps à se regarder en chien de faïence, à évaluer les possibilités de chacun, à calculer ses enchères au drachme près. Les débuts de partie sont un peu timides, mais il y a toujours un moment où le jeu finit par exploser, avec généralement des derniers tours totalement dantesques où chaque joueur est en position de l’emporter et où ça transpire à grosses gouttes.
Un vrai chef-d’oeuvre !
Tranche 4 : top 101-200
Mon choix : Les Contrées de l’Horreur (106)
Je me sens privilégié parce que j’ai un groupe de potes qui adorent le jeu autant que moi et donc c’est un des jeux auxquels j’ai le plus joué dans ma vie, malgré le gabarit de la bête (mise en place laborieuse, parties-fleuve de 4h).
Aussi, ce fut une de mes introductions à l’univers de Lovecraft, dont je suis tombé amoureux. Autant l’heroic-fantasy me sort un peu par les yeux, autant l’idée d’incarner une personne ordinaire (un matelot, un prof, une actrice…) dans un contexte historique réel (les années 20) mais confrontées à des évènements extraordinaires, il y a un petit côté X-Files qui me parle forcément.
La première partie a été un coup de coeur absolu. Cette impression de vivre une grande aventure épique à plusieurs, ces montagnes russes émotionnelles (“allez on va gagner, oh non tout est perdu, attendez en fait on a une chance”), les Grands Anciens qui nous explosent la tronche ou au contraire les combats improbables remportés par un éclopé à moitié aveugle armé d’un pauvre couteau, tout y est.
M’en suis toujours pas lassé, j’ai une partie programmée la semaine prochaine et je m’en réjouis d’avance.
Tranche 5 : top 51-100
Mon choix : Decrypto (97)
Alors, on change de gabarit, c’est sûr.
Et pourtant, on reste dans un jeu plutôt cérébral qui crée une tension insoutenable. Pour moi, on est loin du p’tit jeu d’apéro.
Dans l’immense liste des Codenames-like, ça reste un must. Oui, ça n’est peut-être pas parfait, il y a comme à Codenames des problèmes de temps mort. Sans doute. Pour moi, ça participe sans problème à l’ambiance plutôt posée du jeu.
Un jeu très retors qui demande de déployer des trésors d’ingéniosité pour brouiller les pistes, qui provoque une extrême satisfaction quand on commence à voir clair dans le jeu adverse, et qui peut parfois générer des fous rires absolus quand la pression se relâche enfin.
Là encore, ça a été une évidence dès la première partie, le jour-même de la sortie du jeu au Festival de Cannes, et une grosse envie de multiplier les parties avec un maximum de personnes différentes. Rarement j’ai fait fondre un carnet de score aussi vite.
Bien entendu, c’est toujours un scandale qu’il n’ait jamais été nommé à l’As d’Or (j’attends un mea culpa du jury) et j’ai de bons souvenirs du lobbying en ces lieux pour qu’il gagne les TT d’Or.
Tranche 6 : Top 31-50
Mon choix : The Crew Mission Sous-Marine (36)
Je préfère certes The Crew 2 à The Crew 1, mais c’est surtout le jeu The Crew en général que je voulais nommer.
Même si je n’y joue plus trop, la campagne a été un moment extraordinaire. Ce sont de ces jeux, comme Hanabi ou Magic Maze, auxquels on a envie de rejouer toujours avec le même groupe pour débriefer ensemble et progresser ensemble. On trouve nos petits automatismes, et il y a un vraiment un sentiment palpable d’empathie qui se crée au fur et à mesure des manches.
Le tout en ayant l’impression d’enfiler de bonnes vieilles charentaises parce qu’on est dans le jeu de plis à la papy.
C’était une idée toute simple, un pitch qui tient en quatre mots : “jeu de plis coopératif”. Et c’est brillamment exécuté et ça fait vivre des moments extraordinaires. La classe.
Tranche 7 : top 11-30
Mon choix : Orléans (30)
C’était vraiment très dur de faire un choix dans ces 20 jeux. En vrai j’aurais du choisir Horreur à Arkham JCE, mais ça faisait un peu doublon avec les Contrées de l’Horreur.
Alors, va pour Orléans. J’ai mis longtemps à m’y intéresser, parce que de loin ça me semblait être encore un jeu allemand austère de plus avec de la gestion alambiquée pour faire des points de victoire sans âme et dénués de sens.
Puis j’ai enfin pu l’essayer et c’était… étrangement fun ? Là encore, limpide (les sources de points de victoire sont claires : la thune et les comptoirs), repose sur un principe simple (le bag-building) sans trop de fioritures autour. Et c’est un plaisir étrangement régressif que de piocher ses petits bonhommes d’un sac et de pester quand on ne peut pas faire l’action qu’on souhaitait, ou au contraire de jubiler quand c’est bien le Chevalier qui sort parce que j’en avais absolument besoin…
J’en arrive même à tolérer Klemens Frans, parce que pour une fois son dessin naïf en 2D colle à l’ambiance médiévale du jeu. Et j’adore cette map avec les noms de villes de la région Centre, ça doit être aussi barbare pour les Allemands que le plateau de Thurn & Taxis pour nous (Châtellerault, Saint-Amand-Montrond…)
Oui, il y a des petites pétouilles et des trucs qui me gênent (la durée fixe de la partie, le choix illimité des tuiles bâtiments), mais il y a peu de jeux à l’allemande où je m’amuse autant. Rappelons-nous que l’auteur d’Orléans est aussi l’auteur de Ligretto et Crazy Kick… (je ne m’en remettrai jamais)
Tranche 8 : le top 10 !
Mon choix : Terraforming Mars (6)
Oui, bon, c’est pas original, mais voilà.
J’aime tout. Le thème du jeu, la longue montée en puissance, le côté bordélique des effets de cartes dans tous les sens, au point qu’on pourrait se dire que c’est impossible d’avoir un jeu équilibré avec autant de variété, et pourtant ça marche étonnamment bien. Un jeu qui, malgré son succès interplanétaire, respire l’auto-édition et n’a pas le côté tout lisse des productions de gros éditeurs installés. J’aime même le graphisme, qui te fait sentir que tu es là pour faire de la hard-science et qu’on ne va pas chercher à rendre ça sexy ou mainstream. Tu trouves ça sexy, un livre de maths, toi, peut-être ?
Et puis surtout, comme Dungeon Lords, c’est un jeu où je m’y crois. Je suis à la tête d’une méga-corpo, et oui je transforme Mars à grand coup d’astéroïdes dans ta tronche, et oui je me perds dans les cartes ultra-documentées et le nombre délirant de projets badass qu’elles me proposent, et oui à chaque partie j’ai l’impression de vivre une terraformation différente…
Alors c’est peut-être consensuel, mais voilà : Terraforming Mars, le top du top 10.
À vous !