Entretien avec Josep Borrell, président du Parlement européen, socialiste espagnol
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“Il y a un malaise français à l’égard de l’Europe. La Constitution sert de catalyseur”
Comment expliquez-vous la montée du non en France ?
Je rencontre partout en Europe un sentiment de grave préoccupation. On croyait que le problème viendrait des Britanniques ou des Polonais, on découvre qu’il vient d’un pays fondateur, sans lequel on ne peut pas imaginer poursuivre le projet européen.
Comment expliquer l’attitude française ?
Il y a plusieurs non. Il y a d’abord le non souverainiste, nationaliste, de ceux qui n’ont jamais voulu de l’Europe et n’en veulent toujours pas. Avec eux, il n’y a pas de discussion possible. Ils sont sur une autre planète. Ils refusent le partage de la souveraineté, donc ils refusent l’Europe. Ils pensent que le projet de Constitution va trop loin.
L’autre non dit exactement le contraire. Ceux qui le défendent considèrent que le projet de Constitution ne va pas assez loin. Ils voudraient plus d’intégration européenne, de coordination des politiques économiques, d’harmonisation fiscale et surtout sociale. Le problème est que ces deux non sont incompatibles entre eux, on ne peut pas les additionner, ils expriment un refus, non un projet. En France, aujourd’hui, on perçoit le oui comme un risque et le non comme une garantie de sécurité. A mon avis, c’est le contraire. C’est le non qui est porteur d’instabilité et d’incertitude.
La campagne pour le oui semble piétiner. Comment la relancer ?
Il faut rappeler que, par rapport au traité de Nice, le traité constitutionnel ne comporte aucun recul et présente beaucoup d’avancées. La question est de savoir si on veut que la construction européenne progresse ou qu’elle reste ce qu’elle est. Si on dit non, on en restera au traité de Nice pendant longtemps. Ceux qui pensent que le traité de Nice est meilleur que le traité constitutionnel doivent voter non. C’est le cas des souverainistes, qui voient bien que le traité constitutionnel va plus loin que le traité de Nice et qui, pour cette raison, n’en veulent pas.
Les partisans du non de gauche, eux, reconnaissent, comme moi, que le maintien du traité de Nice serait mauvais pour l’Europe. Mais ils affirment qu’en disant non ils pourront obtenir mieux. Moi je pense qu’ils obtiendraient moins et que le résultat serait même en recul par rapport à celui de la Convention. Croyez-vous que si les Français disent non, Blair deviendra plus fédéraliste et les Polonais plus enclins aux concessions ?
Les partisans du non pensent que du blocage peut sortir un meilleur traité. J’ai fait des calculs. Les pays, dont la France, qui se sont élevés contre la directive Bolkestein au Conseil européen totalisent 37 % des droits de vote avec le traité de Nice. Ils en auront 47 % avec le traité constitutionnel. La France, qui a 9 % des voix selon le traité de Nice, en aura 13 % dans le traité constitutionnel. Les six Etats fondateurs auront 49 % du pouvoir dedécision avec la Constitution contre 36 % aujourd’hui. Les partisans du non imaginent-ils vraiment qu’on leur donnera davantage en cas de renégociation ? Comme chef du gouvernement espagnol, Aznar s’est barricadé plusieurs fois derrière son droit de veto. Son calcul, c’était : vous dépendez de mon oui, alors je dis non. L’expérience montre qu’à la fin on paye très cher une telle attitude. En Europe, on peut bloquer un moment, mais ça ne peut pas durer. A cause d’Aznar, l’Espagne a été marginalisée. Les partisans du non en France pensent que leur refus provoquera une crise salutaire ou même le salut sans crise. Moi, je pense qu’il y aura une crise et qu’elle ne sera pas salutaire.
Partagez-vous leur critique d’une Europe trop libérale ?
Le traité constitutionnel est moins libéral que l’actuel traité. Il parle de plein-emploi, garantit un niveau élevé de protection sociale, intègre la Charte des droits fondamentaux. Beaucoup de syndicats sont pour. Ce ne sont pas les agents secrets de l’Internationale libérale.
Ils sont engagés dans la défense des travailleurs. Il est vrai que la Constitution ne propose pas de grande réorientation des politiques économiques. Mais on ne peut pas dire que tout à coup l’Europe devient libérale. Dans quel monde vivaient-ils jusqu’à aujourd’hui, ceux qui tiennent de tels propos ? Moi aussi, il y a des choses que je n’aime pas dans cette Constitution. Si je l’avais rédigée tout seul, elle serait différente. J’aurais préféré une Banque centrale qui n’ait pas seulement pour objectif la stabilité des prix, mais aussi la croissance. Mais dans une négociation, on ne peut pas obtenir tout ce qu’on veut.
Alors pourquoi cette opposition française à l’Europe, qu’on ne retrouve pas dans la plupart des autres pays ?
Je ne veux pas me livrer à une psychanalyse de la société française mais, à mon avis, il y a un malaise français à l’égard de l’Europe, qui éclate aujourd’hui. La Constitution sert de catalyseur. Depuis le traité de Maastricht, en 1992, la France a décroché du projet européen. Depuis douze ans, aussi bien le gouvernement que la société ne se sont pas assez occupés de l’Europe.
Et, tout à coup, l’élargissement a pris les Français par surprise. Ils ont constaté qu’il y avait désormais vingt-cinq membres et que certains d’entre eux n’avaient pas les mêmes idées qu’eux. Ils ont le sentiment d’être mis devant le fait accompli, faute d’en avoir discuté auparavant. Une foisl’euro accepté, il y eu une certaine eurofatigue. On a cru que l’histoire était finie. Au contraire, elle s’accélérait.
Que répondez-vous à ceux qui veulent voter non pour sanctionner Chirac ?
Qu’à chaque jour suffit sa peine. Vous voterez pour ou contre Chirac au moment de l’élection présidentielle. Il ne faut pas faire payer à la Constitution européenne les dettes de Chirac vis-à-vis de la société française. La pédagogie démocratique élémentaire commande de répondre à la question qu’on vous pose, et non à celui qui vous la pose.
xavo dit:Ca mourrebourre ! 
Tu dis?