Voilà une dépêche de Reuters des plus intéressantes, sur le mythe d’un quelconque plan B… Je me suis permis de mettre en gras quelques points que je trouvais intéressants.
mardi 19 avril 2005, 15h03
BRUXELLES (Reuters) - Il n’y a - vraiment - pas de “plan B”: tous les responsables européens de haut niveau démentent avec force la possibilité d’une alternative à la Constitution européenne en cas de “non” français le 29 mai.
Pire: avec une étonnante unanimité, ils prédisent un choc tellement fort que toute la construction européenne, même celle du marché unique, serait menacée d’effondrement.
Certes, quelques diplomates inventifs en poste à Bruxelles se sont mis à réfléchir tout haut depuis que les sondages ont commencé à prédire avec une lancinante insistance le rejet de la Constitution lors du référendum français, dans six semaines.
Ils évoquent donc ce qu’on a hâtivement qualifié de “plan B”: une réunion de crise des dirigeants européens et l’entrée en vigueur de quelques dispositions consensuelles, comme la création d’un poste de ministre des Affaires étrangères de l’UE.
Pour le reste, l’UE préserverait son acquis en maintenant les règles actuelles en attendant qu’une renégociation du traité ait lieu ou qu’un “groupe pionnier” composé bien entendu de la France et de l’Allemagne décide d’aller de l’avant.
Ce scénario est jugé absurde par tous les responsables européens qui s’arrachent les cheveux à l’idée que l’on puisse accréditer cette thèse en France et nourrir ainsi le “non”.
“Il n’y a pas de ‘plan B’, ni de réunions secrètes”, dit un diplomate qui, étant donné ses responsabilités, y participerait si elle existaient. “Cela ne correspond à aucune réalité. Il ne peut y avoir de plan B sur la Constitution”.
VERTIGE DES PARTENAIRES DE LA FRANCE
L’ancien président de la Commission européenne pendant dix ans, Jacques Delors, qui sait combien l’UE est fragile et s’enfonce facilement dans la crise, l’a martelé le 9 avril.
“N’écoutez pas les joueurs de flûte qui vous disent qu’en votant pour un “non” révolutionnaire, on va changer complètement la donne”, a-t-il expliqué devant le Mouvement européen.
Si la dramatisation est logique dans le camp du “oui” en France, l’effroi de ses partenaires démontre que le risque de rejet de la Constitution est vécu sur le mode du drame.
Le week-end dernier, les ministres des Affaires étrangères ont montré qu’ils étaient obsédés par l’idée d’un non français, alors même qu’ils semblent avoir intégré un rejet de la Constitution par les Britanniques avec un flegme très anglais.
Le chef de la diplomatie slovène, Dimitrij Rupel, a résumé le sentiment général en disant que ce serait “un désastre”.
“Les Français donnent le vertige à leurs partenaires de l’Union européenne”, explique Margie Sudre, présidente du groupe UMP dans un Parlement européen incrédule.
Les 24 partenaires de la France ne comprennent pas comment un traité négocié par une Convention présidée - et dominée - par Valéry Giscard d’Estaing et qui fait la part belle aux “dadas” français - de la nomination d’un président du Conseil européen à la sanctuarisation de “l’exception culturelle” - puisse être l’objet d’une telle diabolisation, notamment à gauche.
LE NON SALUTAIRE, UNE “ILLUSION DE PARCOURS”
“Il n’y a pas de Constitution qui soit moins libérale!”, s’exclame un des plus hauts responsables socialistes de l’UE. “Relisez la Constitution de la Cinquième république!”.
Tous dénoncent le fantasme d’un “non” salutaire.
“Cette idée simple qui consiste à voter ‘non’ en France pour amener tous les autres pays européens (…) à se mettre d’accord sur une ligne française qu’on n’arrive par à entrevoir est une illusion de parcours”, a déclaré mardi sur Europe 1 le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, qui préside l’UE.
Le centre de gravité en Europe est en effet nettement à droite et l’équilibre atteint sur la Constitution, qui est jugé “miraculeusement social” par un ambassadeur européen, ne pourrait être qu’affaibli en cas de renégociation.
L’idée même d’une nouvelle discussion est écartée.
“Un non français n’interromprait pas les référendums dans les autres pays”, explique un diplomate, sauf au Royaume-Uni, où Tony Blair, qui fermera la marche, se pose la question.
En outre, jamais dans le passé il n’y a eu renégociation.
Lorsque les Danois et les Irlandais ont respectivement dit “non” aux traités de Maastricht et de Nice, on s’est contenté d’ajouter un protocole expliquant qu’ils n’étaient pas obligés de s’associer à l’Europe de la défense et on a organisé un nouveau référendum, chose impensable en France.
PAS DE VENTE PAR APPARTEMENT
Il est tout aussi inimaginable de demander aux pays qui ont déjà dit “oui”, comme l’Espagne par référendum malgré ses réticences vis-à-vis du texte, de se prononcer sur une autre Constitution parce que les Français auraient dit “non”.
L’entrée en vigueur de petits bouts “consensuels” de la Constitution se heurte également à des obstacles dirimants.
Les 19 petits pays de l’Union européenne n’ont ainsi accepté la création d’un poste de ministre des Affaires étrangères qu’à reculons en échange de garanties sur d’autres points.
“On ne peut pas vendre cette Constitution par appartement”, explique un ambassadeur. “C’est un ensemble négocié pendant quatre ans et toutes les pièces du puzzle se tiennent.”
Sans parler des règles de vote: on en resterait au traité de Nice, qui accorde une place disproportionnée aux petits pays, alors que la Constitution redonne du poids aux pays les plus peuplés, comme la France, par souci de démocratie.
L’idée d’une relance franco-allemande est aussi écartée.
“L’EUROPE NE SE REMETTRAIT PAS”
L’avenir à court et à moyen terme est peint en noir en cas de victoire des opposants à la Constitution.
“Si la Constitution n’est pas approuvée, l’Europe va s’arrêter”, a estimé la semaine prochaine Emilio Gabaglio, l’ancien secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES), qui approuve le texte avec enthousiasme.
Pour un des responsables les plus influents de Bruxelles, la conséquence serait claire: “La Constitution aurait le sort de la Communauté européenne de défense”, qui avait été rejetée en 1954 par la France, plombant l’Europe politique pour 50 ans.
Le maintien de l’acquis n’est pas du tout garanti selon lui.
“Le système serait durablement paralysé, on serait constamment en gestion des affaires courantes et aucune négociation lourde ne pourrait avoir lieu”, explique-t-il.
Pas question, donc, de nouvel élargissement aux pays des Balkans, ou d’adoption du budget pour la période 2007-2013, d’où, d’ailleurs, la panique qui a saisi les pays de l’Est.
Le marché unique et le respect de ses règles serait aussi menacé: “Tout le système s’effondrerait. Plus personne n’accorderait la moindre légitimité à la Commission. Est-ce qu’on peut penser qu’au lendemain de la France la Commission va oser prendre une décision sur la SNCF ou Alstom?”.