J’ai mis la balise politique, je me suis dis que ça attiserais quelques chardons.
Voici une lettre qui m’est sortie du clavier et traduit (je l’espère) mon interrogation sur ce qui se passe en ce moment.
Bonjour. Les réactions sont vives et immédiates à la votation suisse concernant l’interdiction de construction de nouveaux minarets. Notre ministre des affaires étrangères en particulier, s’est dit “un peu scandalisé” du résultat, et l’ONU, en la personne de son Haut Commissaire Navi Pillay, a exprimé ses inquiétudes et son souhait que le gouvernement suisse revienne sur sa décision. Les médias traditionnels se font l’écho de cette réaction de rejet. Ceci à contrario des “nouveaux” médias tels internet, ou les réactions aux différents articles sont massivement en soutient de la Suisse, et du respect d’une votation démocratique, fut-elle “Vox Populis”. Cette situation est à l’image des sondages et de la volonté du gouvernement suisses, désavoués par les urnes. Des fractures médiatiques (ancien vs nouveaux médias), politique (démocratie représentative vs démocratie directe), sociales (élites vs populis) et religieuses (islam, chrétienté et laïcité) se cristallisent aujourd’hui sur cette question. Parmis les promesses de notre Président, je crois me souvenir d’une consultation plus régulière des français, via référendum notemment. Aujourd’hui, la votation suisse rappelle celle de la constitution européenne, et le traité de Lisbonne qui a suivi. D’ou mes questions: - Quelle mesure prenez-vous des différentes fractures énoncées, et en particulier, quelle est votre réaction face au soutient massif des nouveaux médias à la votation suisse, en opposition avec la position du ministre des affaires étrangères? - Des référendums sont-ils prévus dans un avenir proche, portant sur les questions essentielles d’actualité et du quotidien des français? Cordialement.
A part ça, si vous avez un avis sur la question, et/ou une réponse aux question que je me pose, et/ou un rectificatif, ou une opinion, ou juste envie de poster, n’hésitez pas.
Personnelement, il y a plusieurs points (les “fractures” énoncées) qui me semblent ressortir dans cette histoire, et qui m’inquietent un peu, j’avoue.
Je suis toujours curieux de lire l’avis de trictraciens sur des sujets d’actualité, j’y trouve toujours des points de vue interressants et variés, souvent très pertinents et abondemment documentés.
Moi qui venait juste d’être naturalisé et qui ai pu participer à mon premier vote, je suis tout de suite tombé dans le bain.
Tout d’abord, je dis que j’ai voté contre cette interdiction car le droit suisse a déjà pas mal de moyens d’empêcher la construction d’un minaret s’il n’est pas opportun (même si par tradition, je préfère qu’il reste plus de clochers que de minarets dans un pays européen de tradition chrétienne) et ce vote me semblait principalement un appel à la haine. Ça n’a pas manqué !
Un point important à souligner : tous les sondages se sont trompés. Et sûrement pour une bonne raison : la participation a été de 55% alors qu’elle n’est d’habitude que de 30-35% (il faut dire qu’en Suisse, on vote beaucoup et parfois sur des trucs qui n’intéressent vraiment pas M. Toutlemonde). J’ai entendu sur la radio qu’un fort taux de OUI (à l’interdiction) venaient de gens qui ne votent d’habitude jamais mais qui ont tenu à exprimer leur peur/méfiance vis-à-vis de l’Islam et notamment de femmes qui avaient peur du voile. Ce n’est pas vraiment le sujet sur lequel on demandait de voter (qui est l’ajout d’une interdiction de constructions dans la Constitution) mais on est habitués à ce genre de “fausse réponse” en France, toujours est-il que cela montre une vraie préoccupation de la part du peuple à laquelle il est clair que le Conseil Fédéral (le gouvernement suisse) n’a pas su répondre du tout, du tout ! Donc, effectivement énorme fracture entre le gouvernement et le peuple, mais j’espère tout de même que l’on ne reviendra pas sur le principe de démocratie directe qui est tout de même (à mes yeux de français) un principe extrêmement noble.
Par contre, on a encore une fois (s’il en était besoin) bien pu mesurer à quelle point la partie rurale et la partie suisse allemande de la Suisse étaient très, très à droite. Les cantons Romands urbains ont voté contre, les cantons romands plus ruraux légerement pour, et tous les cantons suisses-allemands (à l’exception de l’urbaine Bâle) ont voté pour, parfois jusqu’à 80% dans la campagne profonde qui n’a jamais vu un musulman. C’est ce qui est un peu décourageant quand on vote en Suisse romande, c’est que l’on sait que de toute façon, le vote de la partie suisse allemande décidera de l’issue (puisqu’ils représentent 75% de la population).
Toujours est-il que cela risque d’avoir certaines répercussions au niveau de l’image de la Suisse qui a toujours attiré dans ses banques des fortunes colossales provenant de pays musulmans, et on pourrait imaginer des sanctions (voire des attentats ?).
Petit point sur la Vox Populis française. Si je ne me trompe pas, la loi a été votée concernant le référendum, on attend juste les décrets d’application !!
De toute façon même une fois les décrets sortis cette disposition constitutionnelle n’aura pas grand chose à voir avec les pratiques possibles en Suisse.
Notamment, un cinquième des parlementaires devra soutenir la demande ; mais surtout, si la loi est examinée par les Assemblées, le référendum n’a pas lieu. Si les parlementaires ne veulent pas du projet de loi d’initiative populaire, il leur suffit donc de le rejeter (bien que ce ne soit pas forcément politiquement opportun).
En clair, cette dose de démocratie directe, à l’instar de celle qui existe au niveau européen, est pour moi plus symbolique qu’autre chose.
L’Italie a fait pareil il y a peu avec les crucifix dans les écoles et personne n’a été choqué d’entendre que les italiens voulaient garder leurs crucifixs dans toutes les écoles.
Batteran dit:...Des fractures médiatiques (ancien vs nouveaux médias)...
Distinguer Internet et les anciens médias me paraît simplificateur. Il me semble qu'il y a deux Internet, qui ne s'opposent pas le long de frontières tangibles puisqu'ils reposent sur les mêmes technologies et cohabitent partiellement sur les mêmes sites, mais qui pourtant relèvent d'un esprit totalement différent :
- l'Internet des citoyens lambda, des libres penseurs et des espaces communautaires d'expression libre ; - l'Internet qui est au service de la propagande mainstream des professionnels de la communication.
Le second relève d'un principe de désinformation et, c'est regrettable, est en train d'essayer de bouffer le premier au nom de la logique de marché.
Dommage parce qu'Internet est l'un des seuls espaces de liberté d'expression qui nous reste. Moi, c'est ça qui me fait peur.
Effectivement, c’est un des points inquietants à mes yeux: à la fois la majorité des représentants des démocraties européennes et l’ONU appelent le gouvernement suisse à revenir sur “sa décision”, sans se préoccuper ni du fonctionnement de la démocratie suisse, ni alors du ressenti de la population suisse. En fait, aujourd’hui, à mon avis, revenir sur ce vote serait faire le jeu d’extremismes de tout poils qui auraient alors beau jeu d’attiser la frustration et le sentiment des citoyens suisses d’être absolument ignorés et même méprisés dans leurs opinions et leur simple capacité à réfléchir par eux-mêmes. Les repercutions sur la population musulmane de ce pays seraient encore pire si on reviens sur ce vote, je pense. Sans compter le danger de repli sur elle-même de la nation suisse, qui est presque déjà “mise au ban” d’une Europe dans laquelle elle ne s’integre que lentement.
@Ted Lapinus & Phoenix:
D’accord sur cete précision. J’ajouterais que derrière cette “propagande mainstream des professionnels de la communication.”, j’y vois les “anciens médias”, notemment les grands groupes de l’audio-visuel qui tentent de coloniser cet espace qu’est Internet. La frontière n’est effectivement pas technologique.
O'Cédar dit:Tout d'abord, je dis que j'ai voté contre cette interdiction car le droit suisse a déjà pas mal de moyens d'empêcher la construction d'un minaret s'il n'est pas opportun (même si par tradition, je préfère qu'il reste plus de clochers que de minarets dans un pays européen de tradition chrétienne) et ce vote me semblait principalement un appel à la haine. Ça n'a pas manqué !
Je ne suis pas Suisse mais je n'aurais pas dit mieux.
C'est le problème de ce genre de scrutin : la question peut être mal posée, mal comprise, détournée, etc. Moi aussi je suis plutôt favorable à la démocratie directe mais sous certaines conditions.
De Gaulle utilisait souvent le référundum et à chaque fois, il mettait sa démission dans la balance. Si bien que les électeurs ne répondaient pas vraiment à la question mais votait pour ou contre le maintien de De Gaulle au poste de président de la République.
Indépendamment du vote, de sa nature, de son thème et de son résultat (si,si, je parle un peu du sujet je vous assure : lol , c’est tout de même un nouveau vote où les élites au sens large considèrent que le peuple au sens large a mal voté. C’est tout de même une vraie problématique de la démocratie d’aujourd’hui…
Je suis d’accord pour dire qu’il y a vraiment un problème avec la démocratie directe d’aujourd’hui.
Je pense que tout ceci est à la fois un problème médiatique et politique. D’un côté on a des politiques qui vont tourner le vote en plébiscite et de l’autre coté des médias qui vont fortement influencer ce vote.
J’aimerai bien voir ce que donnerai un referendum en France sur le rétablissement de la peine de mort dans certains cas. ( au hasard pour les violeurs ? ) …
Oui je peux comprendre que ce soit préoccupant mais ce il n’en sont pas encore à interdire l’élection et la nomination de personnes parlant l’arabe ou le persan dans leur privé.
Le jour où ils feront passer des lois donnant la priorité aux personnes de nationalité suisse francophones-allémaniques-italophones sur des citoyens de nationalité suisses arabophones on pourra s’en faire sérieusement pour la démocratie
… allez cherchez il y a un double sens … si vous le trouvez je développe
Batteran dit:Effectivement, c'est un des points inquietants à mes yeux: à la fois la majorité des représentants des démocraties européennes et l'ONU appelent le gouvernement suisse à revenir sur "sa décision", sans se préoccuper ni du fonctionnement de la démocratie suisse, ni alors du ressenti de la population suisse.
Pour moi, même si la votation était d'une façon ou une autre "annulée" ça changerait pas grand chose, vu que l'opinion exprimée par le peuple suisse ne serait pas "annulé" avec la loi.
Il faut aussi savoir qu'actuellement en Suisse il n'y a à ma connaissance pas spécialement de problèmes directement lié à l'Islam : une bonne partie des musulmans sont suisses, les autres sont intégrés et modérés, voire non pratiquants, et il n'y a que 4 minarets sur le territoire. Ce qui me dérange (entre autres) et provoque mon incompréhension, c'est qu'on ne sait même pas quels problèmes cette votation est censée résoudre, et pourtant 57.5% de la population l'accepte...
Pour ceux que ça intéresserait, un débat ici passé sur la télévision suisse romande sur la question.
Pour moi, cette votation illustre parfaitement le problème de la démocratie participative. La politique, à mon avis, mérite un peu mieux que des peurs de café du commerce et des avis à l’emporte-pièce. Les suisses ont réagi comme n’importe quel autre peuple : avec leurs peurs et leurs préjugés “minaret = voile = burqa” (je ne suis pas sûr que les suisses aient à avoir honte de leur pays, le résultat en France aurait sans doute été le même). Et on a un résultat digne de certains pays où la construction d’églises chrétiennes ne seraient même pas envisageables. Mais ces pays, justement, ne sont pas des démocratie. On me taxera sans doute d’élitisme. Le problème c’est que nos politiciens actuels (qu’ils soient de droite ou de gauche) ne font pas mieux : un fait divers, une loi…
personnellement suite aux référendum français de 2005 et irlandais de 2008 et 2009, cette votation populaire confirme mon profond dégout et mon rejet de la démocratie directe qui n’est que l’expression des peurs. Si plusieurs pays démocratiques (Allemagne, Belgique entre autre) interdisent une telle pratique ce n’est pas pour brimer le petit peuple, mais parce qu’ils ont vu les ravages de la démocratie directe (Hitler pour les allemands et la question royale en Belgique).
Les partisans de la démocratie directe confondent allègrement démocratie et café du commerce et croient le peuple intelligent (sur ce point, je suis avocat et j’en vois tellement passer que je en peux pas croire une seule seconde à cette absurdité … le peuple est con a bouffer de la merde).
La démocratie directe empêche toute réflexion, elle est trop rapide. La démocratie représentative permet de prendre le temps de la réflexion et en principe de ne pas être contraint par un calendrier (un référendum on vote tel jour et ce même si le débat n’est pas vraiment fini). En outre, la démocratie directe ne permet pas d’amender. Enfin, un dogme stupide veut qu’on ne puisse revenir sur une décision référendaire (ou seulement longtemps après), ce qui n’est pas le cas de la loi.
Pour avoir vécu dans trois pays différents, j’ai pu constater que plus les représentants prenaient leur temps pour voter les lois, meilleurs elles étaient (la France c’est une horreur à ce niveau surtout depuis Sarko, le Luxembourg met presque un an a voter une loi et il y a peu de déchets).
Théoriquement la démocratie populaire c’est beau comme un bébé, mais inapplicable ne pratique (enfin seulement si on veut vivre dans un pays stable et en paix).
Je lis ici plusieurs critiques, etayées et justifiées, contre la démocratie directe, reflet " de peur, de haine, et de café de commerce".
Alors certainement, un référendum ou une votation ne sont pas toujours opportuns. Cependant, plutôt que d’en rejeter la faute sur un “peuple bête à manger de la merde”, j’essayerais de comprendre d’ou viennent ces peurs, d’ou viens cette ignorance, et d’ou viens ce mépris des “élites” pour ce “peuple” qui les élis! J’ai a ce sujet un idéal, souvent bafoué, comme tout idéal, qui se schématise de la façon suivante: L’élite politique doit agir exclusivement pour le bien de son peuple/sa nation. Il ne doit pas se passer une journée sans qu’un politique se repose la question: est ce que ce que je fais est bien dans l’intérêt général de la population que j’ai aujourd’hui la charge, la responsabilité et le pouvoir de gérer.
D’autre part, on remarqueras ici que dans notre cas, la question brute votée est plus symbolique qu’ayant une influence réelle sur le quotidien, et des suisses musulmans, et des suisses de toutes autres confessions, agnostiques, cartésiens, athées, ect compris. Certes, le poid du symbole en lui-même est lourd, et il va influencer les décisions futures, mais il ne livre pas pied et mains liées les “élites” aux désideratas du “café du commerce”. Le seul point aujourd’hui fermé pour un temps est la question des minarets. Le terrain est ouvert, et d’énormes possibilités de débat, reflexions et décisions s’offrent maintenant, avec une attente réelle et forte sur le sujet global de la religion musulmane, de l’intégrisme islamique, et des intégrismes xénophobes!
Rien que pour ça, la votation suisse n’a pas fermé le débat, comme semble le croire le plus haut niveau de l’ONU, qui appelle à “remettre le couvercle sur la marmite”, comme si la boite de pandore n’était pas déjà largement ouverte. Il me semble au contraire qu’il s’agit d’un électrochoc pouvant être positif et constructif au final. Mais il y a du travail, sur lequel nos élites devraient déjà être en train de plancher.
Ce n’est certes pas en traitant une population de mangeur de merde, et en tentant d’étouffer une votation, fut-elle populaire et populiste que l’on va arriver à une situation plus saine. Au boulot!
akhela dit:mais parce qu'ils ont vu les ravages de la démocratie directe (Hitler pour les allemands et la question royale en Belgique).
Juste en passant : Hitler ne parvient au pouvoir par le jeu de la démocratie directe. Son parti obtient certes en 1932 37 % des voix, mais lui-même a échoué à gagner le poste à la présidence au début de la même année.
S'il accède au poste de chancelier l'année suivante, c'est avant tout par le jeu d'alliances et de manoeuvres politiques menées par d'autres partis, mais pas par le fait des citoyens eux-mêmes dans le cadre d'une démocratie directe.
@Don Lopertuis & akhela, a propos du cas hitlerien:
De ce que j’en lis, c’est complexe, notemment suite effectivement au vote des pleins pouvoir pour 4 ans par l’assemblée, et au plébiscite de 1933 (votation populaire) qui mettra le marbre sur la tombe de la démocratie déjà enterrée depuis un moment.
Dans ce cas, les élites ont failli dans leur mission. Le peuple aussi. Il serait trop facile de rejeter la faute exclusive sur l’un ou l’autre.