Une courte mais éclairante interview du vice-président au tribunal de Paris, spécialiste du droit des victimes et auteur de “Récidivistes”:
Plus la personne recommence, moins on cherche à la comprendre»
Interview. Serge Portelli, vice-président au tribunal de Paris :
Recueilli par ONDINE MILLOT
Libération: mercredi 13 février 2008
Vous êtes spécialiste du droit des victimes. Pourquoi ces histoires de récidivistes ?
Parce que s’intéresser aux parcours des délinquants, c’est aussi aider les victimes. En cherchant à comprendre ce qui a motivé un passage à l’acte, on peut empêcher la récidive. On voit chaque jour des personnes alcooliques ou toxicomanes condamnées pour des vols pour la quinzième, vingtième fois. Ils volent pour acheter leur dose, et pourtant, cette addiction à l’origine de tout n’est pas mentionnée dans leur dossier, pas évoquée à l’audience, pas soignée en prison. Comment éviter alors qu’ils recommencent ?
La loi du 10 août 2007 veut au contraire lutter contre la récidive avec des peines automatiques…Appliquer les peines planchers, c’est renoncer encore un peu plus à prendre en compte l’individu. Je fais un parallèle avec la médecine : plus une personne développe des maladies à répétition, plus on va déployer d’efforts pour la guérir. La justice fonctionne à l’inverse. Plus la personne recommence, moins on cherche à la comprendre. Il y a une exaspération : tu recommences encore, et bien tant pis pour toi. Il faut avoir le réflexe opposé. Comprendre que ces répétitions ne sont jamais un hasard.
La justice a-t-elle encore les moyens de s’intéresser aux délinquants ?
Il y a un vrai déficit de moyens, c’est certain, mais on ne peut pas s’arrêter à ce constat. Il est toujours possible de préparer à fond ses dossiers, pour pouvoir ensuite consacrer plus de temps à l’examen de la personnalité pendant l’audience. Il est toujours possible de renvoyer une affaire pour réclamer une expertise. Pour moi, un bon juge est un juge qui renvoie beaucoup d’affaires. Evidemment, c’est un discours qui a du mal à passer vis-à-vis d’une hiérarchie qui veut toujours plus de rentabilité.
(1) Ed. Grasset, en librairie aujourd’hui.
Quelques extraits de “Récidivistes”:
Trois itinéraires pris dans l’engrenage de la délinquance
Extraits des «chroniques de l’humanité ordinaire» présentées par le magistrat dans son livre «Récidivistes»
O.M.
Libération: mercredi 13 février 2008
Ils sont douze, du voleur de portable au tueur en série Guy Georges. Douze récidivistes qui n’ont rien en commun, si ce n’est l’omniprésence dans leurs parcours de «rendez-vous ratés» avec la justice. Audiences bâclées, erreurs d’appréciation, absence totale de suivi psychologique et social, ravages des séjours en prison… Dans le livre de Serge Portelli, on ne trouve ni excuses pour leurs actes, ni empathie démago. Mais un constat : celui d’un «cycle» de la récidive entretenu, non pas par le laxisme, mais par un manque de moyens et une sévérité aveugle. Extraits.
Henri
En 2005, Henri, la cinquantaine, comparaît pour vol. Son casier fait mention de vingt-quatre condamnations précédentes - souvent, de la prison ferme. Le scénario est toujours le même : une tentative maladroite et ratée pour dérober sac ou portefeuille. A l’audience, Henri ne comprend pas de quoi on l’accuse. Il répond à côté. Une dame explique qu’il est placé sous tutelle en raison d’une «altération de ses facultés mentales». Le juge demande une expertise, qui révèle un retard mental, et Henri est relaxé. Handicapé de naissance, Henri n’a jamais été scolarisé, n’a jamais travaillé. La justice a pourtant attendu «la vingt-cinquième fois» pour prendre en compte son handicap.
Roland
Roland avait 22 ans lors de sa première condamnation : deux mois ferme pour s’être exhibé devant des voisines. Peu de temps après, nouvelle condamnation: quatre mois ferme pour s’être masturbé à sa fenêtre. Remis en liberté à l’issue de ces très lourdes peines, il commet de nouvelles infractions. Quatre agressions sexuelles, cinq ans de prison, dont la moitié avec sursis. Roland a alors 25 ans, il n’a jamais bénéficié d’aucun suivi. La justice dispose pourtant sur sa vie d’un «nombre d’informations appréciable». Elle sait qu’il a été violé à 14 ans par son entraîneur de football. Qu’il a été battu et abusé par son père, un proxénète plusieurs fois incarcéré. «A l’école, on avait bien vu des traces suspectes…» Roland a aujourd’hui 37 ans : il vient enfin d’être orienté vers une consultation spécialisée pour délinquants sexuels.
Farida
Il y a deux façons de lire l’histoire de Farida. La litanie désespérante de son casier judiciaire, déjà plein à 17 ans. Ou bien remonter encore un peu plus avant. Farida a cinq ans lorsque sa mère part pour la prison de Fresnes, la laissant seule, plus ou moins confiée à une amie qui s’en débarasse trois jours après à la brigade des mineurs. Farida a douze ans quand sa mère retourne à nouveau en prison. Seule à nouveau, elle entame alors, en parfait mimétisme, son propre parcours de délinquante (vols, cambriolages, outrages à agents…). Exclue successivement de plusieurs établissements, jamais vraiment suivie ni scolarisée. «Tu finiras en prison comme moi», ma fille, dit sa mère en guise d’avertissement. Si on choisit la première approche, la lecture du casier, «on est vite gagné par l’exaspération, on condamne», dit Serge Portelli. Si on s’intéresse à la vie de Farida, «on ne peut pas avoir d’autre envie que de l’aider.»