@ Alighieri :
Je ne recherche pas une “voie du milieu” mais je dois bien dire qu’à la relecture de mes post, je ne suis pas forcément super clair.
Mon propos était simplement de dire que je ne trouve pas très pertinent de leur part d’insister sur leur engagement politique.
Comme le dise El Comandante et Xavo, je trouve qu’il aurait été plus intéressant de leur part de simplement interpelé l’opinion sur les insuffisances, incohérences, injustices du système judiciaire/carcérale/policier.
Pour faire une sorte de parallèle, il y a peu, le monde journalistique s’offusquait de l’arrestation musclée “d’un des leurs”. Honnêtement, je trouve cela grotesquement. Ca ne me choque absolument pas qu’un journaliste aussi brillant soit-il se fasse réveiller au clairon, embarqué menottes aux poignets devant sa famille… Ce qui me choque, c’est que cette manière de faire soit partout la règle.
Sur l’affaire de Tarnac, je trouve choquant qu’on embarque des suspects tout en communiquant à charge (en France, il faut faire la preuve) et qu’on les maintiennent en prison aussi longtemps et dans des conditions visiblement limites.
BananeDC dit:Pour lutter contre le terrorisme ou de venir un vrai terroriste il n'y a qu'une seule solution
...illustrée qui plus est.
After 8 years Bush finally found opponents that gave him a decent chance of winning the war on terror
El comandante dit:BananeDC dit:Pour lutter contre le terrorisme ou de venir un vrai terroriste il n'y a qu'une seule solution
...illustrée qui plus est.
After 8 years Bush finally found opponents that gave him a decent chance of winning the war on terror
Stouf dit:un lien de plus sur notre affaire assez intéressant également puisqu'il s'agit d'un tribune du juge d'instruction de l'affaire :
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/01/27/la-replique-du-juge-d-instruction-dans-l-affaire-des-terroristes-de-tarnac-par-thierry-fragnoli_1146909_3232.html
A++ Stouf
Je suis tombé sur ce lien chez Eolas. Les commentaires qui y sont fait sont assez intéressants (pour certains:
Chez Eolas
El comandante dit:Mitsoukos dit:A la lecture de ce sujet et de son voisin (du dessus ou du dessous ça dépend des moments) ces ballots auraient mieux fait de prendre exemple sur les saboteurs des lignes SNCF en n’assumant/ ne revendiquant pas leurs actes.
Ainsi il aurait été plus facile de les faire passer pour des victimes et de s’en prendre à l’Etat, la justice et la police en pointant les irrégularités de procédure et les dysfonctionnement et non dénoncer l’acte en lui-même.
Mitsou, ou quand l'impatience de condamner permet de faire abstraction d'un procès. Devenir coupable en refusant de revendiquer des actes dont on est accusé...
Je n'ai condamné personne puisque je m'en suis tenue à parler des saboteurs de la ligne sans nommer qui que ce soit, j'ai juste établi un rapprochement entre les deux sujets.
et là je remercie chaleureusement Aligheri pour nous avoir conseillé de lire le brillantissime "l'insurrection qui vient", celà m'a permis de valider que pour une meilleure portée d'une action potentielle, Coupat lui même prône l'anonymat.
(...)Être visible, c’est être à découvert, c’est à-dire avant tout vulnérable.
Quand les gauchistes de tous pays ne cessent de « visibiliser » leur cause (...) dans l’espoir qu’elle soit prise en charge, ils font l’exact contraire de ce qu’il faudrait faire. Non pas se rendre visible, mais tourner à notre avantage l’anonymat où nous avons été relégués et, par la conspiration, l’action nocturne ou cagoulée, en faire une inattaquable position d’attaque. L’incendie de novembre 2005 en offre le modèle.
Pas de leader, pas de revendication, pas d’organisation, mais des paroles, des gestes, des complicités.
N’être socialement rien n’est pas une condition humiliante, la source d’un tragique manque de reconnaissance – être reconnu : par qui? –, mais au contraire la condition d’une liberté d’action maximale.
Ne pas signer ses méfaits, n’afficher que des sigles fantoches – on se souvient encore de l’éphémère BAFT (Brigade Anti-Flic des Tarterêts) est une façon de préserver cette liberté.
(...)
La visibilité est à fuir. Mais une force qui s’agrège dans l’ombre ne peut l’esquiver à jamais.
Il s’agit de repousser notre apparition en tant que force jusqu’au moment opportun.
Car plus tard la visibilité nous trouve, plus forts elle nous trouve. Et une fois entré dans la visibilité, notre temps est compté. Soit nous sommes en état de pulvériser son règne à brève échéance, soit c’est lui qui sans tarder nous écrase.
Bon même si l'acte en lui même n'a peut être pas eu l'effet escompté, il peut se réjouir que les auteurs du sabotage SNCF aient suivi les (nombreux) conseils de son livre et sont en train de se payer définitivement la tête de la justice et de la police alors que ces crétins de faucheurs d'OGM en sont à réclamer publiquement des dons pour financer leur procès
C’est de la presse bourgeoise, mais bon… ![]()
Société 16/04/2009 à 06h51
Affaire Coupat : sept mois de traque d’une cellule invisible
D’avril à novembre, la police n’a découvert que des coïncidences troublantes.
Lorsqu’ils sont arrêtés, en novembre 2008, Julien Coupat et ses amis du «groupe de Tarnac» sont déjà étroitement surveillés pour des faits de «terrorisme» présumé depuis le mois d’avril précédent. La sous-direction antiterroriste (Sdat) de la police judiciaire n’a rien révélé de probant. Mais au terme de cette traque de sept mois, la Sdat retrouve Julien Coupat passant trop près d’une ligne de TGV, visée par un sabotage. Le groupe est aussitôt arrêté. C’est pendant les gardes à vue que les policiers entendent un témoin sous “x” qui accuse Julien Coupat de vouloir «renverser l’Etat». Le Comité invisible, auteur de L’insurrection qui vient, est transformé en “organisation terroriste”. Libération dévoile les pièces de l’accusation.
Dans la nuit du 7 au 8 novembre, Coupat conduit les policiers, qui le filaient en Seine-et-Marne, à proximité de la ligne du TGV Est, où a lieu l’un des quatre sabotages de la nuit. Il est en compagnie d’Yildune Lévy et il cherche à déjouer la surveillance policière. La filature commence à 18 h 25 au niveau de l’autoroute A4. Le couple emprunte les départementales D81 et D845, autour de Dhuisy. Leur Mercedes est vue, tous feux éteints sur un chemin, non loin de la D845. Une demi-heure plus tard, la voilà qui repart vers Dhuisy. Elle s’arrête près d’un pont de chemin de fer, emprunte une voie de service, puis repart. A 20 h 45, elle stationne vers Dhuisy et repart encore en direction du chemin de fer. Finalement, Julien Coupat et Yildune Lévy choisissent de se restaurer à la Bella Vita, une pizzeria de Trilport. Ils en sortent à 22 h 35, remontent dans leur voiture, qui reste stationnée là jusqu’à 3 h 50 du matin. Laps de temps pendant lequel ils dorment. C’est alors qu’ils repartent dans la campagne et se garent une nouvelle fois, toujours surveillés. Ils racontent tous deux avoir fait l’amour (lire page suivante), avant de repartir vers Paris, à 4 h 20. «La plupart des gens ignorent ma proximité avec Yildune, ce qui ne fait pas de Tarnac le lieu idéal pour un week-end en amoureux», confie Coupat au juge. «En raison de mes relations amoureuses avec Julien, je ne m’exprimerai que lorsque j’aurai pris connaissance de ses propres déclarations sur le sujet», déclare Yildune Lévy en première comparution.
«Cet arrêt à proximité d’une voie ferrée, cible potentielle de la mouvance anarcho-autonome, nous conduisait à procéder à des recherches sur cette voie, rapporte un rapport de la Sdat. Ces recherches n’amenaient la découverte d’aucun engin explosif.» Rien. Le couple ne laisse aucun élément matériel derrière lui, hormis des horaires SNCF et un emballage de lampe frontale laissés dans une poubelle publique à Trilport. Coupat dira avoir fait le ménage dans la voiture avant d’y dormir, et avoir jeté des horaires, pris le matin avec son père dans une agence SNCF. Au juge, sceptique sur le «hasard» de sa présence sur les lieux, Coupat répond, le 11 février : «J’avais une prescience ? Je n’en sais pas plus qu’un autre.»
Le train castor
L’accusation prend forme, le 8 novembre, au matin des sabotages des lignes TGV. La PJ s’aperçoit qu’outre Coupat et Lévy, trois amis de Tarnac ont aussi dormi dans une voiture, mais très loin de là. Manon Glibert, Benjamin Rosoux et Gabrielle Hallez, l’ex-compagne de Coupat, ont été contrôlés par les gendarmes en lisière de bois au lieu-dit Saint-Ulrich (Haut-Rhin). «Notons que le véhicule se situe à moins de quatre kilomètres de la ligne ferroviaire sur laquelle devait passer le train de matières radioactives, dit train Castor, et à moins de dix kilomètres de la ligne de passage du TGV Est», note la PJ. C’est l’autre découverte de la police, au matin. La nuit du 7 novembre correspond au transport de déchets radioactifs entre La Hague et Gorbelen, en Allemagne. «Le passage du train était sujet à des actions de toute nature de la part des militants antinucléaires.» Hallez dit qu’elle ignorait tout «des actions Castor». Elle avait entraîné ses amis dans un week-end à Strasbourg, ils s’étaient garés à Saint-Ulrich pour dormir.
Les policiers joignent à la procédure la liste d’actions prévues sur le passage du train Castor établie par le réseau Sortir du nucléaire. «La date du départ est plus que symbolique, signalait le réseau. Voici quatre ans, Sébastien Briat décédait lors d’une tentative de blocage d’un de ces transports. En Allemagne, Sébastien n’est pas oublié non plus.» Le 7 novembre 2004, ce jeune militant était mort percuté par un train Castor. Les dégradations qui ont visé les lignes TGV dans la nuit du 7 au 8 novembre se sont justement réparties sur un axe Nord-Est, celui du trajet du train Castor de La Hague vers l’Allemagne. En consignant les quatre dégradations de la nuit, les policiers sont avisés par la SNCF d’une cinquième action survenue quinze jours auparavant. «Dans la nuit du 25 au 26 octobre, un crochet métallique en tous points similaire avait été utilisé sur la ligne TGV Est dans le sens Paris-Strasbourg à hauteur de Vigny [Moselle, ndlr]. Constatons que le lieu de commission de cette dégradation est situé à 70 km du lieu de résidence des parents de Gabrielle Hallez.» Coupat avait justement passé ce week-end-là avec elle, et avec leur fille de 3 ans.
Le coup de filet contre le groupe de Tarnac était plus qu’annoncé. Six mois avant, le 11 avril, la Sdat avait révélé au parquet l’existence sur le territoire national d’une «structure clandestine anarcho-autonome», «entretenant des relations conspiratives avec des militants de la même idéologie implantés à l’étranger et projetant de commettre des actions violentes». La sous-direction de la PJ parle alors d’une «vingtaine d’activistes», de «bases logistiques en région parisienne et en province», de «liens opérationnels» à l’étranger. Julien Coupat est déjà présenté comme le «leader» de ce réseau et Yildune Lévy «une militante autonome parisienne».
Le soupçon américain
La Sdat dénonce leur entrée clandestine aux Etats-Unis en janvier 2008. Un sac abandonné par Coupat dans une voiture a été retrouvé par les Canadiens.Et dans le sac, une copie du permis de conduire de Coupat, des textes «subversifs» en langue anglaise, et des photos de Times Square à New York. Alors que Coupat et Lévy expliqueront être simplement partis en vacance, la Sdat a un autre scénario :«Le 6 mars 2008, le centre de recrutement de l’armée situé à Times Square a fait l’objet d’un attentat par jet de grenade ayant causé des dégâts matériels. A ce jour, les services américains n’ont toujours pas identifié les auteurs de ces faits.» Mais en France, la construction des suspects de Tarnac a commencé. «Si les autorités américaines ont quelque chose à me reprocher, elles n’ont qu’à le faire», a répondu Julien Coupat au juge, début février. «Pour aller aux Etats-Unis, il fallait un passeport à visa biométrique, et comme je refuse ce type de contrôle, j’ai décidé de passer clandestinement aux Etats-Unis. La frontière avec le Canada fait plusieurs milliers de kilomètres. N’importe qui peut la traverser à pied.» La note du 11 avril 2008 provoque néanmoins l’ouverture d’une enquête préliminaire.
Tous filmés
Les policiers antiterroristes mettent les moyens. Le 22 juillet, ils prennent position autour de la ferme du Goutailloux, en Corrèze, achetée par Coupat et ses amis. Comme du temps d’Action directe, cette surveillance donne lieu à un album photos, où l’on voit les bois, la ferme, des voitures. Et des silhouettes photographiées, floues. Coupat est parfois suivi. Fin août, un service technique installe des caméras de surveillance sur les deux chemins d’accès à la ferme. Durant un mois, les visages de tous les visiteurs sont numérotés et répertoriés. Une fois identifié, chacun est placé sous écoute. Le 5 septembre à 13 h 13, la conversation n°255 enregistrée signale que Coupat va expédier à sa famille par la poste des clefs de voiture. Les policiers foncent au centre de tri de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) et trouvent «une enveloppe bulle laissant apparaître une excroissance». C’est une clé. Au verso, on peut lire : «EXP : T. de Linotte. 15 bd de l’oubli. Paris.» Mais ce courrier vient de Thessalonique, en Grèce, où se tient la 73e foire internationale de la ville. Des «groupuscules anarchistes» ont manifesté. Un cocktail Molotov aurait été lancé sur un distributeur de billets. «Un jet de pierre aurait visé le hall d’entrée du consulat de France», relèvent les policiers, qui brûlent d’écrire que Coupat pourrait être entré en action. Coupat dira avoir simplement participé à un forum social.
Des caméras de vidéosurveillance sont aussi placées dans la cour de son immeuble à Paris. Nouvel album. Le 16 octobre, Coupat rejoint un rassemblement contre le fichier Edvige à Paris. On le voit distribuer des tracts. Tous ceux qu’il approche sont photographiés. Les écoutes continuent. Le 31 octobre, une militante parle «d’un départ collectif en véhicule». Aussitôt, les policiers se mettent en chasse. Il s’agit de la préparation de la manif du 3 novembre à Vichy contre la tenue du sommet des ministres de l’UE. Là encore, les policiers récupèrent des images de vidéosurveillance. Coupat est particulièrement observé au milieu des incidents qui opposent un groupe de manifestants aux policiers. Il aurait «donné des instructions» à certains au moment où des manifestants accrochent une corde à la grille d’un véhicule de police pour le tirer. Coupat se défend de toute violence. «D’ailleurs tirer les cordes est un vieux jeu médiéval», dit-il au juge.
Le 11 novembre, l’opération policière sur Tarnac est massive : 150 policiers interviennent - 60 de la Sdat, 50 de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et 40 policiers locaux. Mais les perquisitions ne permettent la découverte d’aucun élément matériel. Les prétendues «bases logistiques en région parisienne et en province» dénoncées par la Sdat, en avril 2008, ne contiennent rien. Pas d’armes, pas d’explosifs, pas d’engin incendiaire, pas même de fers à béton. Dans une cheminée, deux gilets pare-balles dans un sac-poubelle sont découverts, provoquant le scepticisme des occupants. «Je n’ai jamais vu ce sac auparavant», assure Benjamin Rosoux, qui s’occupait de l’épicerie.
«En souvenir de sébastien»
Yildune Lévy, étudiante chercheuse en archéologie, a téléchargé en février 2007 sur Internet un document qui explique la fabrication d’un engin incendiaire. Intéressant pour cerner sa personnalité, mais insuffisant pour constituer une charge. A Tarnac, un livre en allemand est aussi saisi : Autonome in Bewegung (Autonomes en mouvement). Page 336, les policiers découvrent «une photo d’une coupure de presse contenant elle-même une petite photo sur laquelle on distingue un crochet métallique». Le livre évoque les actions du printemps 1995 à novembre 2002 pour «perturber la progression ferroviaire de cinq transports Castor ayant rejoint le site de Gorbelen» et il parle aussi des crochets métalliques posés sur les caténaires. «Ce mode opératoire est évoqué pour les transports Castor de 1995 (une centaine de crochets auraient été posés) et de 1996. La légende de la photo signale : “Ce crochet a paralysé Berlin, en mai 1996”», écrivent les policiers.
Le 10 novembre, veille de l’opération policière, un groupe antinucléaire allemand a justement revendiqué l’action sur le réseau TGV, dans un courrier dactylographié adressé au Berliner Zeitung. Il évoque l’utilisation de crochets, dans l’objectif de perturber le trafic ferroviaire sur le parcours emprunté par le train Castor d’acheminement des déchets. Le texte de revendication fait allusion au «souvenir de Sébastien», le jeune militant mort en 2004. Cette lettre en version originale allemande et traduite en français est versée au dossier. Mais la piste allemande est délibérément mise au rencart, puisqu’elle contredit la thèse de la «structure clandestine anarcho-autonome» démantelée sur le territoire. Les interpellations ont été annoncées, le matin même, lors d’une conférence de presse de la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie.
Le témoin 42
Les policiers introduisent le témoin 42. Cette personne, entendue sous «x» le 14 novembre, ne révèle aucun plan secret susceptible de nourrir une accusation de terrorisme. «Julien Coupat souhaite le renversement de l’Etat par le biais d’actions de déstabilisation qui auraient pu aller jusqu’à des actions violentes, assure 42. C’est pourquoi je souhaitais apporter mon témoignage.» L’anonyme assure que le groupe a pris la dénomination «Comité invisible sous section du parti imaginaire», qu’il a été rejoint par des squatteurs, puis par des ultras, anciens des Black Blocks. Les membres du groupe se seraient «isolés socialement», puis auraient expérimenté «une logique de territoire», avec l’acquisition de savoir-faire agricoles et artisanaux. «A partir de 2005, l’information a commencé à circuler que le temps de l’action était venu.» Le livre L’insurrection qui vient est finalisé en 2007. «A partir de là, le groupe constitué autour de Julien Coupat s’est complètement refermé sur lui-même», assure le témoin 42.
Aucun détail. Pas d’accusations précises. Le lien avec les dégradations n’est pas fait. Mais il ne reste plus qu’à se pencher sur L’insurrection qui vient.
http://www.liberation.fr/societe/010156 … -invisible
J’y vois un bras d’honneur, plutôt bien écrit… ![]()
Julien Coupat : “La prolongation de ma détention est une petite vengeance”
LE MONDE | 25.05.09 | 12h10 • Mis à jour le 25.05.09 | 12h33
Voici les réponses aux questions que nous avons posées par écrit à Julien Coupat. Mis en examen le 15 novembre 2008 pour “terrorisme” avec huit autres personnes interpellées à Tarnac (Corrèze) et Paris, il est soupçonné d’avoir saboté des caténaires SNCF. Il est le dernier à être toujours incarcéré. (Il a demandé à ce que certains mots soient en italique).
Comment vivez-vous votre détention ?
Très bien merci. Tractions, course à pied, lecture.
Pouvez-nous nous rappeler les circonstances de votre arrestation ?
Une bande de jeunes cagoulés et armés jusqu’aux dents s’est introduite chez nous par effraction. Ils nous ont menacés, menottés, et emmenés non sans avoir préalablement tout fracassé. Ils nous ont enlevés à bord de puissants bolides roulant à plus de 170 km/h en moyenne sur les autoroutes. Dans leurs conversations, revenait souvent un certain M. Marion [ancien patron de la police antiterroriste] dont les exploits virils les amusaient beaucoup comme celui consistant à gifler dans la bonne humeur un de ses collègues au beau milieu d’un pot de départ. Ils nous ont séquestrés pendant quatre jours dans une de leurs “prisons du peuple” en nous assommant de questions où l’absurde le disputait à l’obscène.
Celui qui semblait être le cerveau de l’opération s’excusait vaguement de tout ce cirque expliquant que c’était de la faute des “services”, là-haut, où s’agitaient toutes sortes de gens qui nous en voulaient beaucoup. A ce jour, mes ravisseurs courent toujours. Certains faits divers récents attesteraient même qu’ils continuent de sévir en toute impunité.
Les sabotages sur les caténaires SNCF en France ont été revendiqués en Allemagne. Qu’en dites-vous?
Au moment de notre arrestation, la police française est déjà en possession du communiqué qui revendique, outre les sabotages qu’elle voudrait nous attribuer, d’autres attaques survenues simultanément en Allemagne. Ce tract présente de nombreux inconvénients : il est posté depuis Hanovre, rédigé en allemand et envoyé à des journaux d’outre-Rhin exclusivement, mais surtout il ne cadre pas avec la fable médiatique sur notre compte, celle du petit noyau de fanatiques portant l’attaque au cœur de l’Etat en accrochant trois bouts de fer sur des caténaires. On aura, dès lors, bien soin de ne pas trop mentionner ce communiqué, ni dans la procédure, ni dans le mensonge public.
Il est vrai que le sabotage des lignes de train y perd beaucoup de son aura de mystère : il s’agissait simplement de protester contre le transport vers l’Allemagne par voie ferroviaire de déchets nucléaires ultraradioactifs et de dénoncer au passage la grande arnaque de “la crise”. Le communiqué se conclut par un très SNCF “nous remercions les voyageurs des trains concernés de leur compréhension”. Quel tact, tout de même, chez ces “terroristes”!
Vous reconnaissez-vous dans les qualifications de “mouvance anarcho-autonome” et d’“ultragauche”?
Laissez-moi reprendre d’un peu haut. Nous vivons actuellement, en France, la fin d’une période de gel historique dont l’acte fondateur fut l’accord passé entre gaullistes et staliniens en 1945 pour désarmer le peuple sous prétexte d’“éviter une guerre civile”. Les termes de ce pacte pourraient se formuler ainsi pour faire vite : tandis que la droite renonçait à ses accents ouvertement fascistes, la gauche abandonnait entre soi toute perspective sérieuse de révolution. L’avantage dont joue et jouit, depuis quatre ans, la clique sarkozyste, est d’avoir pris l’initiative, unilatéralement, de rompre ce pacte en renouant “sans complexe” avec les classiques de la réaction pure – sur les fous, la religion, l’Occident, l’Afrique, le travail, l’histoire de France, ou l’identité nationale.
Face à ce pouvoir en guerre qui ose penser stratégiquement et partager le monde en amis, ennemis et quantités négligeables, la gauche reste tétanisée. Elle est trop lâche, trop compromise, et pour tout dire, trop discréditée pour opposer la moindre résistance à un pouvoir qu’elle n’ose pas, elle, traiter en ennemi et qui lui ravit un à un les plus malins d’entre ses éléments. Quant à l’extrême gauche à-la-Besancenot, quels que soient ses scores électoraux, et même sortie de l’état groupusculaire où elle végète depuis toujours, elle n’a pas de perspective plus désirable à offrir que la grisaille soviétique à peine retouchée sur Photoshop. Son destin est de décevoir.
Dans la sphère de la représentation politique, le pouvoir en place n’a donc rien à craindre, de personne. Et ce ne sont certainement pas les bureaucraties syndicales, plus vendues que jamais, qui vont l’importuner, elles qui depuis deux ans dansent avec le gouvernement un ballet si obscène. Dans ces conditions, la seule force qui soit à même de faire pièce au gang sarkozyste, son seul ennemi réel dans ce pays, c’est la rue, la rue et ses vieux penchants révolutionnaires. Elle seule, en fait, dans les émeutes qui ont suivi le second tour du rituel plébiscitaire de mai 2007, a su se hisser un instant à la hauteur de la situation. Elle seule, aux Antilles ou dans les récentes occupations d’entreprises ou de facs, a su faire entendre une autre parole.
Cette analyse sommaire du théâtre des opérations a dû s’imposer assez tôt puisque les renseignements généraux faisaient paraître dès juin 2007, sous la plume de journalistes aux ordres (et notamment dans Le Monde) les premiers articles dévoilant le terrible péril que feraient peser sur toute vie sociale les “anarcho-autonomes”. On leur prêtait, pour commencer, l’organisation des émeutes spontanées, qui ont, dans tant de villes, salué le “triomphe électoral” du nouveau président.
Avec cette fable des “anarcho-autonomes”, on a dessiné le profil de la menace auquel la ministre de l’intérieur s’est docilement employée, d’arrestations ciblées en rafles médiatiques, à donner un peu de chair et quelques visages. Quand on ne parvient plus à contenir ce qui déborde, on peut encore lui assigner une case et l’y incarcérer. Or celle de “casseur” où se croisent désormais pêle-mêle les ouvriers de Clairoix, les gamins de cités, les étudiants bloqueurs et les manifestants des contre-sommets, certes toujours efficace dans la gestion courante de la pacification sociale, permet de criminaliser des actes, non des existences. Et il est bien dans l’intention du nouveau pouvoir de s’attaquer à l’ennemi, en tant que tel, sans attendre qu’il s’exprime. Telle est la vocation des nouvelles catégories de la répression.
Il importe peu, finalement, qu’il ne se trouve personne en France pour se reconnaître “anarcho-autonome” ni que l’ultra-gauche soit un courant politique qui eut son heure de gloire dans les années 1920 et qui n’a, par la suite, jamais produit autre chose que d’inoffensifs volumes de marxologie. Au reste, la récente fortune du terme “ultragauche” qui a permis à certains journalistes pressés de cataloguer sans coup férir les émeutiers grecs de décembre dernier doit beaucoup au fait que nul ne sache ce que fut l’ultragauche, ni même qu’elle ait jamais existé.
A ce point, et en prévision des débordements qui ne peuvent que se systématiser face aux provocations d’une oligarchie mondiale et française aux abois, l’utilité policière de ces catégories ne devrait bientôt plus souffrir de débats. On ne saurait prédire, cependant, lequel d’“anarcho-autonome” ou d’“ultragauche” emportera finalement les faveurs du Spectacle, afin de reléguer dans l’inexplicable une révolte que tout justifie.
La police vous considère comme le chef d’un groupe sur le point de basculer dans le terrorisme. Qu’en pensez-vous?
Une si pathétique allégation ne peut être le fait que d’un régime sur le point de basculer dans le néant.
Que signifie pour vous le mot terrorisme?
Rien ne permet d’expliquer que le département du renseignement et de la sécurité algérien suspecté d’avoir orchestré, au su de la DST, la vague d’attentats de 1995 ne soit pas classé parmi les organisations terroristes internationales. Rien ne permet d’expliquer non plus la soudaine transmutation du “terroriste” en héros à la Libération, en partenaire fréquentable pour les accords d’Evian, en policier irakien ou en “taliban modéré” de nos jours, au gré des derniers revirements de la doctrine stratégique américaine.
Rien, sinon la souveraineté. Est souverain, en ce monde, qui désigne le terroriste. Qui refuse d’avoir part à cette souveraineté se gardera bien de répondre à votre question. Qui en convoitera quelques miettes s’exécutera avec promptitude. Qui n’étouffe pas de mauvaise foi trouvera un peu instructif le cas de ces deux ex – “terroristes” devenus l’un premier ministre d’Israël, l’autre président de l’Autorité palestinienne, et ayant tous deux reçus, pour comble, le Prix Nobel de la paix.
Le flou qui entoure la qualification de “terrorisme”, l’impossibilité manifeste de le définir ne tiennent pas à quelque provisoire lacune de la législation française : ils sont au principe de cette chose que l’on peut, elle, très bien définir : l’antiterrorisme dont ils forment plutôt la condition de fonctionnement. L’antiterrorisme est une technique de gouvernement qui plonge ses racines dans le vieil art de la contre-insurrection, de la guerre dite “psychologique”, pour rester poli.
L’antiterrorisme, contrairement à ce que voudrait insinuer le terme, n’est pas un moyen de lutter contre le terrorisme, c’est la méthode par quoi l’on produit, positivement, l’ennemi politique en tant que terroriste. Il s’agit, par tout un luxe de provocations, d’infiltrations, de surveillance, d’intimidation et de propagande, par toute une science de la manipulation médiatique, de l’“action psychologique”, de la fabrication de preuves et de crimes, par la fusion aussi du policier et du judiciaire, d’anéantir la “menace subversive” en associant, au sein de la population, l’ennemi intérieur, l’ennemi politique à l’affect de la terreur.
L’essentiel, dans la guerre moderne, est cette “bataille des cœurs et des esprits” où tous les coups sont permis. Le procédé élémentaire, ici, est invariable : individuer l’ennemi afin de le couper du peuple et de la raison commune, l’exposer sous les atours du monstre, le diffamer, l’humilier publiquement, inciter les plus vils à l’accabler de leurs crachats, les encourager à la haine. “La loi doit être utilisée comme simplement une autre arme dans l’arsenal du gouvernement et dans ce cas ne représente rien de plus qu’une couverture de propagande pour se débarrasser de membres indésirables du public. Pour la meilleure efficacité, il conviendra que les activités des services judiciaires soient liées à l’effort de guerre de la façon la plus discrète possible”, conseillait déjà, en 1971, le brigadier Frank Kitson [ancien général de l’armée britannique, théoricien de la guerre contre-insurrectionelle], qui en savait quelque chose.
Une fois n’est pas coutume, dans notre cas, l’antiterrorisme a fait un four. On n’est pas prêt, en France, à se laisser terroriser par nous. La prolongation de ma détention pour une durée “raisonnable” est une petite vengeance bien compréhensible au vu des moyens mobilisés, et de la profondeur de l’échec; comme est compréhensible l’acharnement un peu mesquin des “services”, depuis le 11 novembre, à nous prêter par voie de presse les méfaits les plus fantasques, ou à filocher le moindre de nos camarades. Combien cette logique de représailles a d’emprise sur l’institution policière, et sur le petit cœur des juges, voilà ce qu’auront eu le mérite de révéler, ces derniers temps, les arrestations cadencées des “proches de Julien Coupat”.
Il faut dire que certains jouent, dans cette affaire, un pan entier de leur lamentable carrière, comme Alain Bauer [criminologue], d’autres le lancement de leurs nouveaux services, comme le pauvre M. Squarcini [directeur central du renseignement intérieur], d’autres encore la crédibilité qu’ils n’ont jamais eue et qu’ils n’auront jamais, comme Michèle Alliot-Marie.
Vous êtes issu d’un milieu très aisé qui aurait pu vous orienter dans une autre direction…
“Il y a de la plèbe dans toutes les classes” (Hegel).
Pourquoi Tarnac?
Allez-y, vous comprendrez. Si vous ne comprenez pas, nul ne pourra vous l’expliquer, je le crains.
Vous définissez-vous comme un intellectuel? Un philosophe ?
La philosophie naît comme deuil bavard de la sagesse originaire. Platon entend déjà la parole d’Héraclite comme échappée d’un monde révolu. A l’heure de l’intellectualité diffuse, on ne voit pas ce qui pourrait spécifier “l’intellectuel”, sinon l’étendue du fossé qui sépare, chez lui, la faculté de penser de l’aptitude à vivre. Tristes titres, en vérité, que cela. Mais, pour qui, au juste, faudrait-il se définir?
Etes-vous l’auteur du livre L’insurrection qui vient ?
C’est l’aspect le plus formidable de cette procédure : un livre versé intégralement au dossier d’instruction, des interrogatoires où l’on essaie de vous faire dire que vous vivez comme il est écrit dans L’insurrection qui vient, que vous manifestez comme le préconise L’insurrection qui vient, que vous sabotez des lignes de train pour commémorer le coup d’Etat bolchevique d’octobre 1917, puisqu’il est mentionné dans L’insurrection qui vient, un éditeur convoqué par les services antiterroristes.
De mémoire française, il ne s’était pas vu depuis bien longtemps que le pouvoir prenne peur à cause d’un livre. On avait plutôt coutume de considérer que, tant que les gauchistes étaient occupés à écrire, au moins ils ne faisaient pas la révolution. Les temps changent, assurément. Le sérieux historique revient.
Ce qui fonde l’accusation de terrorisme, nous concernant, c’est le soupçon de la coïncidence d’une pensée et d’une vie; ce qui fait l’association de malfaiteurs, c’est le soupçon que cette coïncidence ne serait pas laissée à l’héroïsme individuel, mais serait l’objet d’une attention commune. Négativement, cela signifie que l’on ne suspecte aucun de ceux qui signent de leur nom tant de farouches critiques du système en place de mettre en pratique la moindre de leurs fermes résolutions; l’injure est de taille. Malheureusement, je ne suis pas l’auteur de L’insurrection qui vient – et toute cette affaire devrait plutôt achever de nous convaincre du caractère essentiellement policier de la fonction auteur.
J’en suis, en revanche, un lecteur. Le relisant, pas plus tard que la semaine dernière, j’ai mieux compris la hargne hystérique que l’on met, en haut lieu, à en pourchasser les auteurs présumés. Le scandale de ce livre, c’est que tout ce qui y figure est rigoureusement, catastrophiquement vrai, et ne cesse de s’avérer chaque jour un peu plus. Car ce qui s’avère, sous les dehors d’une “crise économique”, d’un “effondrement de la confiance”, d’un “rejet massif des classes dirigeantes”, c’est bien la fin d’une civilisation, l’implosion d’un paradigme : celui du gouvernement, qui réglait tout en Occident – le rapport des êtres à eux-mêmes non moins que l’ordre politique, la religion ou l’organisation des entreprises. Il y a, à tous les échelons du présent, une gigantesque perte de maîtrise à quoi aucun maraboutage policier n’offrira de remède.
Ce n’est pas en nous transperçant de peines de prison, de surveillance tatillonne, de contrôles judiciaires, et d’interdictions de communiquer au motif que nous serions les auteurs de ce constat lucide, que l’on fera s’évanouir ce qui est constaté. Le propre des vérités est d’échapper, à peine énoncées, à ceux qui les formulent. Gouvernants, il ne vous aura servi de rien de nous assigner en justice, tout au contraire.
Vous lisez “Surveiller et punir” de Michel Foucault. Cette analyse vous paraît-elle encore pertinente?
La prison est bien le sale petit secret de la société française, la clé, et non la marge des rapports sociaux les plus présentables. Ce qui se concentre ici en un tout compact, ce n’est pas un tas de barbares ensauvagés comme on se plaît à le faire croire, mais bien l’ensemble des disciplines qui trament, au-dehors, l’existence dite “normale”. Surveillants, cantine, parties de foot dans la cour, emploi du temps, divisions, camaraderie, baston, laideur des architectures : il faut avoir séjourné en prison pour prendre la pleine mesure de ce que l’école, l’innocente école de la République, contient, par exemple, de carcéral.
Envisagée sous cet angle imprenable, ce n’est pas la prison qui serait un repaire pour les ratés de la société, mais la société présente qui fait l’effet d’une prison ratée. La même organisation de la séparation, la même administration de la misère par le shit, la télé, le sport, et le porno règne partout ailleurs avec certes moins de méthode. Pour finir, ces hauts murs ne dérobent aux regards que cette vérité d’une banalité explosive : ce sont des vies et des âmes en tout point semblables qui se traînent de part et d’autre des barbelés et à cause d’eux.
Si l’on traque avec tant d’avidité les témoignages “de l’intérieur” qui exposeraient enfin les secrets que la prison recèle, c’est pour mieux occulter le secret qu’elle est : celui de votre servitude, à vous qui êtes réputés libres tandis que sa menace pèse invisiblement sur chacun de vos gestes.
Toute l’indignation vertueuse qui entoure la noirceur des geôles françaises et leurs suicides à répétition, toute la grossière contre-propagande de l’administration pénitentiaire qui met en scène pour les caméras des matons dévoués au bien-être du détenu et des directeurs de tôle soucieux du “sens de la peine”, bref : tout ce débat sur l’horreur de l’incarcération et la nécessaire humanisation de la détention est vieux comme la prison. Il fait même partie de son efficace, permettant de combiner la terreur qu’elle doit inspirer avec son hypocrite statut de châtiment “civilisé”. Le petit système d’espionnage, d’humiliation et de ravage que l’Etat français dispose plus fanatiquement qu’aucun autre en Europe autour du détenu n’est même pas scandaleux. L’Etat le paie chaque jour au centuple dans ses banlieues, et ce n’est de toute évidence qu’un début : la vengeance est l’hygiène de la plèbe.
Mais la plus remarquable imposture du système judiciaro-pénitentiaire consiste certainement à prétendre qu’il serait là pour punir les criminels quand il ne fait que gérer les illégalismes. N’importe quel patron – et pas seulement celui de Total –, n’importe quel président de conseil général – et pas seulement celui des Hauts-de-Seine–, n’importe quel flic sait ce qu’il faut d’illégalismes pour exercer correctement son métier. Le chaos des lois est tel, de nos jours, que l’on fait bien de ne pas trop chercher à les faire respecter et les stups, eux aussi, font bien de seulement réguler le trafic, et non de le réprimer, ce qui serait socialement et politiquement suicidaire.
Le partage ne passe donc pas, comme le voudrait la fiction judiciaire, entre le légal et l’illégal, entre les innocents et les criminels, mais entre les criminels que l’on juge opportun de poursuivre et ceux qu’on laisse en paix comme le requiert la police générale de la société. La race des innocents est éteinte depuis longtemps, et la peine n’est pas à ce à quoi vous condamne la justice : la peine, c’est la justice elle-même, il n’est donc pas question pour mes camarades et moi de “clamer notre innocence”, ainsi que la presse s’est rituellement laissée aller à l’écrire, mais de mettre en déroute l’hasardeuse offensive politique que constitue toute cette infecte procédure. Voilà quelques-unes des conclusions auxquelles l’esprit est porté à relire Surveiller et punir depuis la Santé. On ne saurait trop suggérer, au vu de ce que les Foucaliens font, depuis vingt ans, des travaux de Foucault, de les expédier en pension, quelque temps, par ici.
Comment analysez-vous ce qui vous arrive?
Détrompez-vous : ce qui nous arrive, à mes camarades et à moi, vous arrive aussi bien. C’est d’ailleurs, ici, la première mystification du pouvoir : neuf personnes seraient poursuivies dans le cadre d’une procédure judiciaire “d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste”, et devraient se sentir particulièrement concernées par cette grave accusation. Mais il n’y a pas d’“affaire de Tarnac” pas plus que d’“affaire Coupat”, ou d’“affaire Hazan” [éditeur de L’insurrection qui vient]. Ce qu’il y a, c’est une oligarchie vacillante sous tous rapports, et qui devient féroce comme tout pouvoir devient féroce lorsqu’il se sent réellement menacé. Le Prince n’a plus d’autre soutien que la peur qu’il inspire quand sa vue n’excite plus dans le peuple que la haine et le mépris.
Ce qu’il y a, c’est, devant nous, une bifurcation, à la fois historique et métaphysique: soit nous passons d’un paradigme de gouvernement à un paradigme de l’habiter au prix d’une révolte cruelle mais bouleversante, soit nous laissons s’instaurer, à l’échelle planétaire, ce désastre climatisé où coexistent, sous la férule d’une gestion “décomplexée”, une élite impériale de citoyens et des masses plébéiennes tenues en marge de tout. Il y a donc, bel et bien, une guerre, une guerre entre les bénéficiaires de la catastrophe et ceux qui se font de la vie une idée moins squelettique. Il ne s’est jamais vu qu’une classe dominante se suicide de bon cœur.
La révolte a des conditions, elle n’a pas de cause. Combien faut-il de ministères de l’Identité nationale, de licenciements à la mode Continental, de rafles de sans-papiers ou d’opposants politiques, de gamins bousillés par la police dans les banlieues, ou de ministres menaçant de priver de diplôme ceux qui osent encore occuper leur fac, pour décider qu’un tel régime, même installé par un plébiscite aux apparences démocratiques, n’a aucun titre à exister et mérite seulement d’être mis à bas ? C’est une affaire de sensibilité.
La servitude est l’intolérable qui peut être infiniment tolérée. Parce que c’est une affaire de sensibilité et que cette sensibilité-là est immédiatement politique (non en ce qu’elle se demande “pour qui vais-je voter ?”, mais “mon existence est-elle compatible avec cela ?”), c’est pour le pouvoir une question d’anesthésie à quoi il répond par l’administration de doses sans cesse plus massives de divertissement, de peur et de bêtise. Et là où l’anesthésie n’opère plus, cet ordre qui a réuni contre lui toutes les raisons de se révolter tente de nous en dissuader par une petite terreur ajustée.
Nous ne sommes, mes camarades et moi, qu’une variable de cet ajustement-là. On nous suspecte comme tant d’autres, comme tant de “jeunes”, comme tant de “bandes”, de nous désolidariser d’un monde qui s’effondre. Sur ce seul point, on ne ment pas. Heureusement, le ramassis d’escrocs, d’imposteurs, d’industriels, de financiers et de filles, toute cette cour de Mazarin sous neuroleptiques, de Louis Napoléon en version Disney, de Fouché du dimanche qui pour l’heure tient le pays, manque du plus élémentaire sens dialectique. Chaque pas qu’ils font vers le contrôle de tout les rapproche de leur perte. Chaque nouvelle “victoire” dont ils se flattent répand un peu plus vastement le désir de les voir à leur tour vaincus. Chaque manœuvre par quoi ils se figurent conforter leur pouvoir achève de le rendre haïssable. En d’autres termes : la situation est excellente. Ce n’est pas le moment de perdre courage.
Propos recueillis par Isabelle Mandraud et Caroline Monnot
Article paru dans l’édition du 26.05.09
http://www.lemonde.fr/societe/article/2 … 224_3.html
Marcho pô ton lien (sauf pour les abonnés j’imagine)
fabericus dit:Marcho pô ton lien (sauf pour les abonnés j'imagine)
rectifié... faut remplacer abonnes par www...
Yop, c’est un chouille amphigourique comme blabla mais je ne suis pas loin d’être d’accord en fait
coupat, préparant l’insurection qui vient
fabericus dit:Yop, c'est un chouille amphigourique comme blabla mais je ne suis pas loin d'être d'accord en fait
fais gaffe, arrête, t'as jamais été aussi près du militantisme.
Voici l’interview du “grand méchant” cerveau que je trouve excellente d’ailleurs :
Julien Coupat : “La prolongation de ma détention est une petite vengeance”
LE MONDE | 25.05.09 | 12h10 • Mis à jour le 25.05.09 | 12h33
oici les réponses aux questions que nous avons posées par écrit à Julien Coupat. Mis en examen le 15 novembre 2008 pour “terrorisme” avec huit autres personnes interpellées à Tarnac (Corrèze) et Paris, il est soupçonné d’avoir saboté des caténaires SNCF. Il est le dernier à être toujours incarcéré. (Il a demandé à ce que certains mots soient en italique).
Comment vivez-vous votre détention ?
Très bien merci. Tractions, course à pied, lecture.
Pouvez-nous nous rappeler les circonstances de votre arrestation ?
Une bande de jeunes cagoulés et armés jusqu’aux dents s’est introduite chez nous par effraction. Ils nous ont menacés, menottés, et emmenés non sans avoir préalablement tout fracassé. Ils nous ont enlevés à bord de puissants bolides roulant à plus de 170 km/h en moyenne sur les autoroutes. Dans leurs conversations, revenait souvent un certain M. Marion [ancien patron de la police antiterroriste] dont les exploits virils les amusaient beaucoup comme celui consistant à gifler dans la bonne humeur un de ses collègues au beau milieu d’un pot de départ. Ils nous ont séquestrés pendant quatre jours dans une de leurs “prisons du peuple” en nous assommant de questions où l’absurde le disputait à l’obscène.
Celui qui semblait être le cerveau de l’opération s’excusait vaguement de tout ce cirque expliquant que c’était de la faute des “services”, là-haut, où s’agitaient toutes sortes de gens qui nous en voulaient beaucoup. A ce jour, mes ravisseurs courent toujours. Certains faits divers récents attesteraient même qu’ils continuent de sévir en toute impunité.
Les sabotages sur les caténaires SNCF en France ont été revendiqués en Allemagne. Qu’en dites-vous?
Au moment de notre arrestation, la police française est déjà en possession du communiqué qui revendique, outre les sabotages qu’elle voudrait nous attribuer, d’autres attaques survenues simultanément en Allemagne. Ce tract présente de nombreux inconvénients : il est posté depuis Hanovre, rédigé en allemand et envoyé à des journaux d’outre-Rhin exclusivement, mais surtout il ne cadre pas avec la fable médiatique sur notre compte, celle du petit noyau de fanatiques portant l’attaque au cœur de l’Etat en accrochant trois bouts de fer sur des caténaires. On aura, dès lors, bien soin de ne pas trop mentionner ce communiqué, ni dans la procédure, ni dans le mensonge public.
Il est vrai que le sabotage des lignes de train y perd beaucoup de son aura de mystère : il s’agissait simplement de protester contre le transport vers l’Allemagne par voie ferroviaire de déchets nucléaires ultraradioactifs et de dénoncer au passage la grande arnaque de “la crise”. Le communiqué se conclut par un très SNCF “nous remercions les voyageurs des trains concernés de leur compréhension”. Quel tact, tout de même, chez ces “terroristes”!
Vous reconnaissez-vous dans les qualifications de “mouvance anarcho-autonome” et d’“ultragauche”?
Laissez-moi reprendre d’un peu haut. Nous vivons actuellement, en France, la fin d’une période de gel historique dont l’acte fondateur fut l’accord passé entre gaullistes et staliniens en 1945 pour désarmer le peuple sous prétexte d’“éviter une guerre civile”. Les termes de ce pacte pourraient se formuler ainsi pour faire vite : tandis que la droite renonçait à ses accents ouvertement fascistes, la gauche abandonnait entre soi toute perspective sérieuse de révolution. L’avantage dont joue et jouit, depuis quatre ans, la clique sarkozyste, est d’avoir pris l’initiative, unilatéralement, de rompre ce pacte en renouant “sans complexe” avec les classiques de la réaction pure – sur les fous, la religion, l’Occident, l’Afrique, le travail, l’histoire de France, ou l’identité nationale.
Face à ce pouvoir en guerre qui ose penser stratégiquement et partager le monde en amis, ennemis et quantités négligeables, la gauche reste tétanisée. Elle est trop lâche, trop compromise, et pour tout dire, trop discréditée pour opposer la moindre résistance à un pouvoir qu’elle n’ose pas, elle, traiter en ennemi et qui lui ravit un à un les plus malins d’entre ses éléments. Quant à l’extrême gauche à-la-Besancenot, quels que soient ses scores électoraux, et même sortie de l’état groupusculaire où elle végète depuis toujours, elle n’a pas de perspective plus désirable à offrir que la grisaille soviétique à peine retouchée sur Photoshop. Son destin est de décevoir.
Dans la sphère de la représentation politique, le pouvoir en place n’a donc rien à craindre, de personne. Et ce ne sont certainement pas les bureaucraties syndicales, plus vendues que jamais, qui vont l’importuner, elles qui depuis deux ans dansent avec le gouvernement un ballet si obscène. Dans ces conditions, la seule force qui soit à même de faire pièce au gang sarkozyste, son seul ennemi réel dans ce pays, c’est la rue, la rue et ses vieux penchants révolutionnaires. Elle seule, en fait, dans les émeutes qui ont suivi le second tour du rituel plébiscitaire de mai 2007, a su se hisser un instant à la hauteur de la situation. Elle seule, aux Antilles ou dans les récentes occupations d’entreprises ou de facs, a su faire entendre une autre parole.
Cette analyse sommaire du théâtre des opérations a dû s’imposer assez tôt puisque les renseignements généraux faisaient paraître dès juin 2007, sous la plume de journalistes aux ordres (et notamment dans Le Monde) les premiers articles dévoilant le terrible péril que feraient peser sur toute vie sociale les “anarcho-autonomes”. On leur prêtait, pour commencer, l’organisation des émeutes spontanées, qui ont, dans tant de villes, salué le “triomphe électoral” du nouveau président.
Avec cette fable des “anarcho-autonomes”, on a dessiné le profil de la menace auquel la ministre de l’intérieur s’est docilement employée, d’arrestations ciblées en rafles médiatiques, à donner un peu de chair et quelques visages. Quand on ne parvient plus à contenir ce qui déborde, on peut encore lui assigner une case et l’y incarcérer. Or celle de “casseur” où se croisent désormais pêle-mêle les ouvriers de Clairoix, les gamins de cités, les étudiants bloqueurs et les manifestants des contre-sommets, certes toujours efficace dans la gestion courante de la pacification sociale, permet de criminaliser des actes, non des existences. Et il est bien dans l’intention du nouveau pouvoir de s’attaquer à l’ennemi, en tant que tel, sans attendre qu’il s’exprime. Telle est la vocation des nouvelles catégories de la répression.
Il importe peu, finalement, qu’il ne se trouve personne en France pour se reconnaître “anarcho-autonome” ni que l’ultra-gauche soit un courant politique qui eut son heure de gloire dans les années 1920 et qui n’a, par la suite, jamais produit autre chose que d’inoffensifs volumes de marxologie. Au reste, la récente fortune du terme “ultragauche” qui a permis à certains journalistes pressés de cataloguer sans coup férir les émeutiers grecs de décembre dernier doit beaucoup au fait que nul ne sache ce que fut l’ultragauche, ni même qu’elle ait jamais existé.
A ce point, et en prévision des débordements qui ne peuvent que se systématiser face aux provocations d’une oligarchie mondiale et française aux abois, l’utilité policière de ces catégories ne devrait bientôt plus souffrir de débats. On ne saurait prédire, cependant, lequel d’“anarcho-autonome” ou d’“ultragauche” emportera finalement les faveurs du Spectacle, afin de reléguer dans l’inexplicable une révolte que tout justifie.
La police vous considère comme le chef d’un groupe sur le point de basculer dans le terrorisme. Qu’en pensez-vous?
Une si pathétique allégation ne peut être le fait que d’un régime sur le point de basculer dans le néant.
Que signifie pour vous le mot terrorisme?
Rien ne permet d’expliquer que le département du renseignement et de la sécurité algérien suspecté d’avoir orchestré, au su de la DST, la vague d’attentats de 1995 ne soit pas classé parmi les organisations terroristes internationales. Rien ne permet d’expliquer non plus la soudaine transmutation du “terroriste” en héros à la Libération, en partenaire fréquentable pour les accords d’Evian, en policier irakien ou en “taliban modéré” de nos jours, au gré des derniers revirements de la doctrine stratégique américaine.
Rien, sinon la souveraineté. Est souverain, en ce monde, qui désigne le terroriste. Qui refuse d’avoir part à cette souveraineté se gardera bien de répondre à votre question. Qui en convoitera quelques miettes s’exécutera avec promptitude. Qui n’étouffe pas de mauvaise foi trouvera un peu instructif le cas de ces deux ex – “terroristes” devenus l’un premier ministre d’Israël, l’autre président de l’Autorité palestinienne, et ayant tous deux reçus, pour comble, le Prix Nobel de la paix.
Le flou qui entoure la qualification de “terrorisme”, l’impossibilité manifeste de le définir ne tiennent pas à quelque provisoire lacune de la législation française : ils sont au principe de cette chose que l’on peut, elle, très bien définir : l’antiterrorisme dont ils forment plutôt la condition de fonctionnement. L’antiterrorisme est une technique de gouvernement qui plonge ses racines dans le vieil art de la contre-insurrection, de la guerre dite “psychologique”, pour rester poli.
L’antiterrorisme, contrairement à ce que voudrait insinuer le terme, n’est pas un moyen de lutter contre le terrorisme, c’est la méthode par quoi l’on produit, positivement, l’ennemi politique en tant que terroriste. Il s’agit, par tout un luxe de provocations, d’infiltrations, de surveillance, d’intimidation et de propagande, par toute une science de la manipulation médiatique, de l’“action psychologique”, de la fabrication de preuves et de crimes, par la fusion aussi du policier et du judiciaire, d’anéantir la “menace subversive” en associant, au sein de la population, l’ennemi intérieur, l’ennemi politique à l’affect de la terreur.
L’essentiel, dans la guerre moderne, est cette “bataille des cœurs et des esprits” où tous les coups sont permis. Le procédé élémentaire, ici, est invariable : individuer l’ennemi afin de le couper du peuple et de la raison commune, l’exposer sous les atours du monstre, le diffamer, l’humilier publiquement, inciter les plus vils à l’accabler de leurs crachats, les encourager à la haine. “La loi doit être utilisée comme simplement une autre arme dans l’arsenal du gouvernement et dans ce cas ne représente rien de plus qu’une couverture de propagande pour se débarrasser de membres indésirables du public. Pour la meilleure efficacité, il conviendra que les activités des services judiciaires soient liées à l’effort de guerre de la façon la plus discrète possible”, conseillait déjà, en 1971, le brigadier Frank Kitson [ancien général de l’armée britannique, théoricien de la guerre contre-insurrectionelle], qui en savait quelque chose.
Une fois n’est pas coutume, dans notre cas, l’antiterrorisme a fait un four. On n’est pas prêt, en France, à se laisser terroriser par nous. La prolongation de ma détention pour une durée “raisonnable” est une petite vengeance bien compréhensible au vu des moyens mobilisés, et de la profondeur de l’échec; comme est compréhensible l’acharnement un peu mesquin des “services”, depuis le 11 novembre, à nous prêter par voie de presse les méfaits les plus fantasques, ou à filocher le moindre de nos camarades. Combien cette logique de représailles a d’emprise sur l’institution policière, et sur le petit cœur des juges, voilà ce qu’auront eu le mérite de révéler, ces derniers temps, les arrestations cadencées des “proches de Julien Coupat”.
Il faut dire que certains jouent, dans cette affaire, un pan entier de leur lamentable carrière, comme Alain Bauer [criminologue], d’autres le lancement de leurs nouveaux services, comme le pauvre M. Squarcini [directeur central du renseignement intérieur], d’autres encore la crédibilité qu’ils n’ont jamais eue et qu’ils n’auront jamais, comme Michèle Alliot-Marie.
Vous êtes issu d’un milieu très aisé qui aurait pu vous orienter dans une autre direction…
“Il y a de la plèbe dans toutes les classes” (Hegel).
Pourquoi Tarnac?
Allez-y, vous comprendrez. Si vous ne comprenez pas, nul ne pourra vous l’expliquer, je le crains.
Vous définissez-vous comme un intellectuel? Un philosophe ?
La philosophie naît comme deuil bavard de la sagesse originaire. Platon entend déjà la parole d’Héraclite comme échappée d’un monde révolu. A l’heure de l’intellectualité diffuse, on ne voit pas ce qui pourrait spécifier “l’intellectuel”, sinon l’étendue du fossé qui sépare, chez lui, la faculté de penser de l’aptitude à vivre. Tristes titres, en vérité, que cela. Mais, pour qui, au juste, faudrait-il se définir?
Etes-vous l’auteur du livre L’insurrection qui vient ?
C’est l’aspect le plus formidable de cette procédure : un livre versé intégralement au dossier d’instruction, des interrogatoires où l’on essaie de vous faire dire que vous vivez comme il est écrit dans L’insurrection qui vient, que vous manifestez comme le préconise L’insurrection qui vient, que vous sabotez des lignes de train pour commémorer le coup d’Etat bolchevique d’octobre 1917, puisqu’il est mentionné dans L’insurrection qui vient, un éditeur convoqué par les services antiterroristes.
De mémoire française, il ne s’était pas vu depuis bien longtemps que le pouvoir prenne peur à cause d’un livre. On avait plutôt coutume de considérer que, tant que les gauchistes étaient occupés à écrire, au moins ils ne faisaient pas la révolution. Les temps changent, assurément. Le sérieux historique revient.
Ce qui fonde l’accusation de terrorisme, nous concernant, c’est le soupçon de la coïncidence d’une pensée et d’une vie; ce qui fait l’association de malfaiteurs, c’est le soupçon que cette coïncidence ne serait pas laissée à l’héroïsme individuel, mais serait l’objet d’une attention commune. Négativement, cela signifie que l’on ne suspecte aucun de ceux qui signent de leur nom tant de farouches critiques du système en place de mettre en pratique la moindre de leurs fermes résolutions; l’injure est de taille. Malheureusement, je ne suis pas l’auteur de L’insurrection qui vient – et toute cette affaire devrait plutôt achever de nous convaincre du caractère essentiellement policier de la fonction auteur.
J’en suis, en revanche, un lecteur. Le relisant, pas plus tard que la semaine dernière, j’ai mieux compris la hargne hystérique que l’on met, en haut lieu, à en pourchasser les auteurs présumés. Le scandale de ce livre, c’est que tout ce qui y figure est rigoureusement, catastrophiquement vrai, et ne cesse de s’avérer chaque jour un peu plus. Car ce qui s’avère, sous les dehors d’une “crise économique”, d’un “effondrement de la confiance”, d’un “rejet massif des classes dirigeantes”, c’est bien la fin d’une civilisation, l’implosion d’un paradigme : celui du gouvernement, qui réglait tout en Occident – le rapport des êtres à eux-mêmes non moins que l’ordre politique, la religion ou l’organisation des entreprises. Il y a, à tous les échelons du présent, une gigantesque perte de maîtrise à quoi aucun maraboutage policier n’offrira de remède.
Ce n’est pas en nous transperçant de peines de prison, de surveillance tatillonne, de contrôles judiciaires, et d’interdictions de communiquer au motif que nous serions les auteurs de ce constat lucide, que l’on fera s’évanouir ce qui est constaté. Le propre des vérités est d’échapper, à peine énoncées, à ceux qui les formulent. Gouvernants, il ne vous aura servi de rien de nous assigner en justice, tout au contraire.
Vous lisez “Surveiller et punir” de Michel Foucault. Cette analyse vous paraît-elle encore pertinente?
La prison est bien le sale petit secret de la société française, la clé, et non la marge des rapports sociaux les plus présentables. Ce qui se concentre ici en un tout compact, ce n’est pas un tas de barbares ensauvagés comme on se plaît à le faire croire, mais bien l’ensemble des disciplines qui trament, au-dehors, l’existence dite “normale”. Surveillants, cantine, parties de foot dans la cour, emploi du temps, divisions, camaraderie, baston, laideur des architectures : il faut avoir séjourné en prison pour prendre la pleine mesure de ce que l’école, l’innocente école de la République, contient, par exemple, de carcéral.
Envisagée sous cet angle imprenable, ce n’est pas la prison qui serait un repaire pour les ratés de la société, mais la société présente qui fait l’effet d’une prison ratée. La même organisation de la séparation, la même administration de la misère par le shit, la télé, le sport, et le porno règne partout ailleurs avec certes moins de méthode. Pour finir, ces hauts murs ne dérobent aux regards que cette vérité d’une banalité explosive : ce sont des vies et des âmes en tout point semblables qui se traînent de part et d’autre des barbelés et à cause d’eux.
Si l’on traque avec tant d’avidité les témoignages “de l’intérieur” qui exposeraient enfin les secrets que la prison recèle, c’est pour mieux occulter le secret qu’elle est : celui de votre servitude, à vous qui êtes réputés libres tandis que sa menace pèse invisiblement sur chacun de vos gestes.
Toute l’indignation vertueuse qui entoure la noirceur des geôles françaises et leurs suicides à répétition, toute la grossière contre-propagande de l’administration pénitentiaire qui met en scène pour les caméras des matons dévoués au bien-être du détenu et des directeurs de tôle soucieux du “sens de la peine”, bref : tout ce débat sur l’horreur de l’incarcération et la nécessaire humanisation de la détention est vieux comme la prison. Il fait même partie de son efficace, permettant de combiner la terreur qu’elle doit inspirer avec son hypocrite statut de châtiment “civilisé”. Le petit système d’espionnage, d’humiliation et de ravage que l’Etat français dispose plus fanatiquement qu’aucun autre en Europe autour du détenu n’est même pas scandaleux. L’Etat le paie chaque jour au centuple dans ses banlieues, et ce n’est de toute évidence qu’un début : la vengeance est l’hygiène de la plèbe.
Mais la plus remarquable imposture du système judiciaro-pénitentiaire consiste certainement à prétendre qu’il serait là pour punir les criminels quand il ne fait que gérer les illégalismes. N’importe quel patron – et pas seulement celui de Total –, n’importe quel président de conseil général – et pas seulement celui des Hauts-de-Seine–, n’importe quel flic sait ce qu’il faut d’illégalismes pour exercer correctement son métier. Le chaos des lois est tel, de nos jours, que l’on fait bien de ne pas trop chercher à les faire respecter et les stups, eux aussi, font bien de seulement réguler le trafic, et non de le réprimer, ce qui serait socialement et politiquement suicidaire.
Le partage ne passe donc pas, comme le voudrait la fiction judiciaire, entre le légal et l’illégal, entre les innocents et les criminels, mais entre les criminels que l’on juge opportun de poursuivre et ceux qu’on laisse en paix comme le requiert la police générale de la société. La race des innocents est éteinte depuis longtemps, et la peine n’est pas à ce à quoi vous condamne la justice : la peine, c’est la justice elle-même, il n’est donc pas question pour mes camarades et moi de “clamer notre innocence”, ainsi que la presse s’est rituellement laissée aller à l’écrire, mais de mettre en déroute l’hasardeuse offensive politique que constitue toute cette infecte procédure. Voilà quelques-unes des conclusions auxquelles l’esprit est porté à relire Surveiller et punir depuis la Santé. On ne saurait trop suggérer, au vu de ce que les Foucaliens font, depuis vingt ans, des travaux de Foucault, de les expédier en pension, quelque temps, par ici.
Comment analysez-vous ce qui vous arrive?
Détrompez-vous : ce qui nous arrive, à mes camarades et à moi, vous arrive aussi bien. C’est d’ailleurs, ici, la première mystification du pouvoir : neuf personnes seraient poursuivies dans le cadre d’une procédure judiciaire “d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste”, et devraient se sentir particulièrement concernées par cette grave accusation. Mais il n’y a pas d’“affaire de Tarnac” pas plus que d’“affaire Coupat”, ou d’“affaire Hazan” [éditeur de L’insurrection qui vient]. Ce qu’il y a, c’est une oligarchie vacillante sous tous rapports, et qui devient féroce comme tout pouvoir devient féroce lorsqu’il se sent réellement menacé. Le Prince n’a plus d’autre soutien que la peur qu’il inspire quand sa vue n’excite plus dans le peuple que la haine et le mépris.
Ce qu’il y a, c’est, devant nous, une bifurcation, à la fois historique et métaphysique: soit nous passons d’un paradigme de gouvernement à un paradigme de l’habiter au prix d’une révolte cruelle mais bouleversante, soit nous laissons s’instaurer, à l’échelle planétaire, ce désastre climatisé où coexistent, sous la férule d’une gestion “décomplexée”, une élite impériale de citoyens et des masses plébéiennes tenues en marge de tout. Il y a donc, bel et bien, une guerre, une guerre entre les bénéficiaires de la catastrophe et ceux qui se font de la vie une idée moins squelettique. Il ne s’est jamais vu qu’une classe dominante se suicide de bon cœur.
La révolte a des conditions, elle n’a pas de cause. Combien faut-il de ministères de l’Identité nationale, de licenciements à la mode Continental, de rafles de sans-papiers ou d’opposants politiques, de gamins bousillés par la police dans les banlieues, ou de ministres menaçant de priver de diplôme ceux qui osent encore occuper leur fac, pour décider qu’un tel régime, même installé par un plébiscite aux apparences démocratiques, n’a aucun titre à exister et mérite seulement d’être mis à bas ? C’est une affaire de sensibilité.
La servitude est l’intolérable qui peut être infiniment tolérée. Parce que c’est une affaire de sensibilité et que cette sensibilité-là est immédiatement politique (non en ce qu’elle se demande “pour qui vais-je voter ?”, mais “mon existence est-elle compatible avec cela ?”), c’est pour le pouvoir une question d’anesthésie à quoi il répond par l’administration de doses sans cesse plus massives de divertissement, de peur et de bêtise. Et là où l’anesthésie n’opère plus, cet ordre qui a réuni contre lui toutes les raisons de se révolter tente de nous en dissuader par une petite terreur ajustée.
Nous ne sommes, mes camarades et moi, qu’une variable de cet ajustement-là. On nous suspecte comme tant d’autres, comme tant de “jeunes”, comme tant de “bandes”, de nous désolidariser d’un monde qui s’effondre. Sur ce seul point, on ne ment pas. Heureusement, le ramassis d’escrocs, d’imposteurs, d’industriels, de financiers et de filles, toute cette cour de Mazarin sous neuroleptiques, de Louis Napoléon en version Disney, de Fouché du dimanche qui pour l’heure tient le pays, manque du plus élémentaire sens dialectique. Chaque pas qu’ils font vers le contrôle de tout les rapproche de leur perte. Chaque nouvelle “victoire” dont ils se flattent répand un peu plus vastement le désir de les voir à leur tour vaincus. Chaque manœuvre par quoi ils se figurent conforter leur pouvoir achève de le rendre haïssable. En d’autres termes : la situation est excellente. Ce n’est pas le moment de perdre courage.
Propos recueillis par Isabelle Mandraud et Caroline Monnot
Article paru dans l’édition du 26.05.09
Oui, je la trouve excellente aussi cette dernière interview ![]()
Tiens, ils viennent de libérer un terroriste !
Fred. dit:Tiens, ils viennent de libérer un terroriste !
incroyable, ce gouvernement qui arrête à la sortie des écoles primaires mais libère des terroristes.
Cette “info” qui vient d’être relayée par Yahoo, en provenance du site de l’Express.fr, ça me hérisse : ici
Pourquoi Coupat a-t-il été coffré, c’est ça la vraie question, pas de savoir pourquoi il est libéré. Mais combien de temps on va encore supporter ces conneries ?!!?
Comme le dit Coupat dans son interiew : “La servitude est l’intolérable qui peut être infiniment toléré”.
Bon c’est où qu’on s’inscrit pour la révolution ?
El comandante dit:Fred. dit:Tiens, ils viennent de libérer un terroriste !
incroyable, ce gouvernement qui arrête à la sortie des écoles primaires mais libère des terroristes.
Le pouvoir en place a effectivement montré son incompétence en matière de sécurité ( les voitures flambes comme jamais, accroisement des atteintes aux personnes, .... pendant ce temps les flics arrêtent en grande pompe des mômes de 6 ans ). Sarkozy a dit qu'on le juge aux résultats. C'est jugé: virons le.
Ted Lapinus & Phoenix dit:Pourquoi Coupat a-t-il été coffré, c'est ça la vraie question, ...
Je plussois.
“Les auditions essentielles ont déjà été faites, les perquisitions réalisées. Dans ces conditions, il n’y a plus de risque de concertation frauduleuse ou de pression sur les témoins”
c’est tout simplement savoureux, fautes de preuves matérielles, pendant 6 mois ils ont multiplié les gav de 96 heures dans l’espoir qu’une vague connaissance de coupat leur avoue que “je l’ai bien connu il était instructeur dans un camp d’entrainement syrien c’est lui qui a formé mollah omar”
mais donc maintenant on est rassuré il n’y a plus de risque de pression sur les témoins