Merci aleph, pour ces échanges que personnellement je trouve très intéressants.
J’y ajoute donc quelques rebondissements. (Les citations qui suivent proviennent du post écrit par toi ci-dessus.)
Tout d’abord, tu n’es pas sur la sellette et je ne te jugerai pas, toi en tant que personne, à l’aune d’un comportement culturellement et communément admis comme acceptable. Ce que je me permets de juger, c’est l’état actuel de l’élevage. Ce que je me permets de refuser, c’est la culture carniste dans laquelle nous vivons actuellement et que les gens acceptent pour la plupart sans que cela ne soit le fruit d’aucune réflexion.
Ce que je m’autorise, c’est refuser de faire partie, moi, de ce système, dans lequel je ne trouve pas mon humanité.
Comme tu le sais, je vis à la campagne, comme toi dans une région d’élevage allaitant. Mais il y a aussi des élevages de poules et de cochons. J’ai des amis éleveurs, et de la famille et des amis qui, comme toi, élèvent et tuent leurs animaux.
J’ai donc un certain regard sur la chose, puisque j’ai pu visiter leurs cours et élevages et leur poser des questions, ainsi qu’à mes voisins éleveurs du genre extensif.
Et effectivement, mes connaissances sur l’élevage industriel me viennent du journal local, des histoires qui se racontent au marché entre acteurs de l’élevage, et bien sûr, des films vus sur la toile.
Voilà pour le cadre.
Je ne défends pas l’élevage industriel qui me parait souvent aberrant et en effet cruel.
Je ne cautionne pas l’élevage de poulet blanc industriel et je n’en consomme jamais.
On est bien d’accord. C’est par nos choix de consommation à notre échelle qu’on peut espérer orienter la production aujourd’hui, et c’est parfois bien le seul pouvoir qu’on ait (ou qu’on ait la force de mettre en œuvre).
Par contre faire croire que parce que je mange du poulet (mes poulets élevés en plein air) fait de moi un complice de ces élevages m’indispose profondément.
Ce n’est pas ce que j’ai écrit. Ce que j’ai écrit, c’est que tu défendais l’élevage en en donnant une image idyllique, rendant par là invisibles toutes les misères inhérentes à l’élevage dans sa globalité, ce qui me dérange d’autant plus que l’élevage intensif est très largement majoritaire et que, même si comme tu le dis beaucoup d’éleveurs aspirent à se reconvertir vers l’extensif et de plus petites exploitations, les géants qui arrivent pour les écraser sont bien réels et les rendent presque anecdotiques.
Ainsi, j’estime que tu ne peux pas défendre l’élevage au sens large juste parce que ce que tu fais toi dans ta cour te paraît largement acceptable. En gros, en relisant tes premiers posts, l’élevage c’est bien, parce que dans ta cour, c’est bien. (Je schématise.) Plus que le reste, c’est ça qui me choque : prendre en compte un seul aspect pour défendre une pratique au sens large.
Ensuite tu fais de nouveau preuve d’anthropomorphisme en jugeant selon tes critères la souffrance animale.
La souffrance existe, même chez l’animal. On a un héritage lourd de Descartes et son animal-machine, mais quand je vois la souffrance chez un animal, je sais la reconnaître.
Je sais aussi que l’élevage actuel force les grossesses des animaux d’élevage (avec des procédés divers et variés tous plus délicieux les uns que les autres) et que de toute façon, l’élevage de tous temps a toujours été basé sur la sélection des reproducteurs, un contrôle de cette reproduction et la séparation des petits d’avec leurs mères. Et, j’imagine que tu ne me contrediras pas sur ce point, un abattage des animaux à un âge juvénile. On prolonge de plus l’agonie des mères en entretenant artificiellement leur lactation une fois leur petit enlevé, par une traite parfois manuelle et le plus généralement par une machine. On ne laisse même pas leur corps oublier qu’il a eu un petit qui leur a été pris.
Oui, je suis réceptive à tout cela, et cela s’appelle non pas l’anthropomorphisme, mais bien l’empathie.
Et toi, ne juges-tu pas la souffrance animale en l’affirmant plus horrible dans la nature que dans l’élevage ?
Tu y appliques même des degrés, dont personnellement je me fiche pas mal : moi ce qui m’intéresse, c’est que dans un cs j’en suis responsable, dans l’autre non. Le fait de vouloir soulager la souffrance de l’animal, au sens large, dans la nature, me semble participer d’une démarche encore différente et si déjà on commençait par arrêter de bousiller notre/leur écosystème, en grande partie à cause de l’élevage notamment, ce serait pas mal.
Quant aux animaux domestiques qui vivraient moins longtemps dans un milieu sauvage que dans nos milieux domestiques là encore c’est faux. Nous avons co évolués pendant des millénaires avec nos animaux domestiques et ceux-ci ne pourraient subsister que très peu de temps sans nous pour la plupart d’entre eux (mis à part le chat dont le modèle domestique est quasi identique au modèle sauvage). Il faut bien avouer que les races domestiques après plusieurs millénaires de sélection sont très différentes de leur modèle d’origine.
Pour la première phrase, tu as dû faire un lapsus.
Cependant, en la laissant telle quelle, je suis d’accord avec tout ton paragraphe :
- les animaux domestiques qu’on laisse vivre longtemps parce qu’on l’a décidé vivent certainement plus longtemps, s’ils sont dans de bonnes conditions, que son cousin sauvage (un cochon qu’on dorlote par rapport à un sanglier, qui en plus du reste doit éviter d’être victime des chasseurs à deux pattes), mais vu qu’on en abat la grande majorité lorsqu’ils sont encore des bébés pour pouvoir les manger ou prendre le lait de leurs mères, je pense que ça se discute. Néanmoins, je n’en vois pas l’intérêt, puisque dans un cas, moi, en tant qu’homme, je n’interviens pas dans la mort ou la survie de l’animal sauvage (hors de la chasse et surtout du fait que je fiche en l’air son écosystème par mon comportement d’homme moderne même quand je n’en ai pas conscience), alors que dans l’élevage, je décide en toute conscience que tel animal va se reproduire, tel autre va être éliminé (euphémisme) pour qu’on puisse prendre le lait de sa mère, et tel autre engraissé quelque temps pour assez rapidement le tuer afin de profiter de sa chair. Moralement, j’ai donc une implication que je n’ai pas lorsque la nature décide qui va mourir ou qui va souffrir. Toi, tu assumes cette implication et la vis au quotidien, moi je ne l’assume pas, et je fais donc ce qu’il faut pour ne pas la vivre : je ne consomme pas d’animaux ni leurs produits.
- si je suis d’accord avec le reste, quelque part, même si je peux comprendre que l’homme ait ainsi évolué dès lors qu’il a cessé d’être nomade pour se sédentariser (et c’est là que nos ennuis modernes ont commencé, et pas que en rapport avec les animaux mais bien avec tout notre écosystème et ainsi nos chances de survie sur le long-terme), aujourd’hui, cet élevage n’est, contrairement à ce que tu as prétendu dans l’un de tes posts, absolument plus nécessaire, puisque nous sommes capables de faire pousser assez de végétaux en toute saison pour pouvoir nous nourrir en toute saison, surtout nous, hommes nés dans la partie capitaliste de la Terre.
Ensuite, ne plus exploiter ces animaux domestiques ne signifie pas qu’ils disparaîtraient, on peut très bien envisager d’autres scénarios, beaucoup plus probables que celui qui dit qu’ils disparaîtraient (ou nous envahiraient, selon les contradicteurs, les carnistes ne sont pas bien d’accord sur ce point).
-cela m’amène à rebondir sur une remarque que tu as faite quelques posts en arrière, que sans l’élevage l’humanité ne pourrait plus se nourrir ??? Je ne comprends pas ton raisonnement, étant donné qu’actuellement 70 % des terres sont consacrées à l’élevage, et qu’il faut x calories de végétal pour produire 1 calorie d’animal, ce que tu affirmes ne me paraît absolument pas logique.
Je suis aussi opposé aux hypertypes qui constituent une fragilisation certaines des espèces et mènent à des comportements délirants (broyage des poussins mâles de poules pondeuses haute performance). La recherche de la productivité à tout prix va à l’encontre de mes idées. Cela pourrait s’appliquer aussi par exemple pour les races de chien. Il y a d’ailleurs une prise de conscience de la plupart de mes confrères sur ce sujet.
On est tout à fait d’accord toi et moi.
Enfin en ce qui concerne les progrès de la médecine et de la science nous permettant de nous affranchir de notre génome qui détermine en grande partie nos capacités de métaboliser tel ou tel aliment c’est un mythe, à l’heure actuelle nous sommes incapable de faire d’un homme un herbivore, de nous nous nourrir qu’exclusivement d’herbe par exemple. On ne peut gommer en l’espace de quelques années la sélection naturelle qui s’est effectuée sur plusieurs dizaines de millénaires pour donner l’homo sapiens sapiens actuel.
Mais qui a dit qu’on le pouvait ? Pas moi, en tout cas.
Le génie biologique permet de synthétiser puis fabriquer des bonbons avec de la b12 en effet.
Euh… non, elle n’est pas synthétisée, elle est produite par des bactéries “d’élevage” et oui, grâce au génie biologique puisqu’il s’agit de bactéries transformées par un plasmide contenant le gène de la molécule à produire.
Ce qui est étonnant, c’est que cela te dérange qu’un humain prenne cette vitamine mais pas qu’on la donne à des animaux que l’humain va pourtant consommer, via sa chair ou ses secrétions.
La bonne question à se poser, hors notre régime à nous, végétal ou omni-, est plutôt pourquoi supplémente-t-on ainsi ces animaux aujourd’hui ? Que se passe-t-il si on ne le fait pas, et pourquoi ? Quelle est vraiment la place de la vitamine B12 dans l’alimentation ? (Et je ne compte pas la faire sauter comme une capsule de bouteille et dire qu’elle ne sert à rien, ce sont juste de vraies questions. Perso, j’ai pu constater que sa nécessité dépendait de l’individu humain considéré. Pour ma part, je ne compte pas “me tester” et comme je l’ai déjà dit, j’en prends.)
Sinon, comme tu le dis, les espèces domestiques n’ont peut-être plus grand-chose de naturel aujourd’hui. C’est aussi une question à se poser, et de se demander alors pourquoi l’on tient tant à les consommer sous le prétexte que ce serait naturel. Je comprends mieux qu’on tienne à les consommer parce que l’on est accro à leur goût. Dès lors, il est sûr que cela devient uniquement une question de moralité ou, si tu préfères, d’éthique, ce qui est le propos des antispécistes.
J’avoue que le sophisme qui constitue à dire que si la majorité des personnes ont une alimentation non adaptée à leur besoin fait que le régime végan est par conséquent naturel et bon et devrait être généralisé voir obligatoire
Ce n’est pas ce que j’ai dit. C’est ta conclusion.
Moi j’ai juste dit qu’on ne savait pas tout et que, plutôt que de prendre ce qui est culturel pour acquis, il est toujours intéressant de se poser des questions. Les anglais appellent cela “think out of the box”. Mon propos visait uniquement ce but, pas d’établir des vérités.
Il n’empêche que le régime végan est carencé en vitamine b12.
Pour ce qu’on en sait actuellement (cf think out of the box, nos certitudes sont seulement basées sur des données qu’on tient pour acquises, et en tant que scientifique tu devrais le savoir/comprendre), OUI.
Il est donc inutile de dire que le véganisme entraîne
des carences et qu’il faudrait toute une pharmacie pour y survivre.
Cependant, ce fait est assez connu, et la B12 disponible (et c’est, de plus, la même que celle que je vais donner à mon corps si je mange du poulet ou du cochon, vu qu’elle est produite au même endroit !!! donc dans mon corps,
pour ma santé à moi, ça ne change rien que je la prenne ainsi ou en mangeant de la viande), j’ai donc
le choix de pouvoir éliminer les produits animaux de ma consommation tout en vivant en bonne santé. Elle est pas belle, ma vie ?

Bon, je suis d’accord avec toi sur un point. Que tu n’as pas énoncé.

Mais que j’ai cru lire entre les lignes de ton dernier post : c’est épuisant d’échanger comme ça par écrit, de prendre de la distance avec ce que l’autre a écrit, etc. Épuisant, mais lorsque c’est fait avec assez de respect l’un de l’autre comme nous avons fait là, très enrichissant. Je reste persuadée que cela serait plus agréable de vive voix.

Et merci pour ton dernier post, très posé et très clair, qui résume bien ta position, et offre, par son ouverture, moult possibilités de discussions à venir si tu le souhaites. (Mais pas par écrit, pitié !)