Cette distinction paradigmatique est quand même largement désuète également, parler de “sciences artificielles” laisse à penser que les sciences sociales disposeraient d’un objet non ancré dans le réel, pourtant, l’état, la classe économique, le genre, la couleur de peau ont tous un impact réel sur notre expérience vécue. Dans tous les cas le terme “artificiel” est très mal choisi.
Oui, mais ce travail là est réalisé par les chercheurs et chercheuses en sciences humaines, l’attention aux prénotions, le pas de côté, la capacité à restreindre les résultats à son terrain de sorte à éviter d’en faire de trop grandes généralités est une base méthodo importante, vous semblez quand même parler sans trop connaître le milieu pour penser ça. (Mais je me trompe peut être et dans ce cas, désolé, mais c’est l’effet que ça me fait).
Quant à l’étude ici, encore une fois elle se base aussi sur la connaissance empirique, la domination masculine par exemple même si elle ne doit pas être brandie comme une cause unilatérale de la majorité d’auteurs par rapport aux autrices dans le JDS, ne doit pas pour autant quitter le champ des hypothèses, et l’épistémologie féministe est fort intéressante par ailleurs, et trop souvent restreinte et caricaturée à la militance. Pourtant, en SHS comme en Biologie elle a permis, notamment à des chercheurs hommes d’éviter d’être trop sûrs de leurs hypothèses et résultats, par exemple en Médecine, longtemps, le corps masculin a été pris comme base stantardisée de toutes les recherches, résultat : un retard cumulé sur des pathologies banales et évitables chez les femmes.
Auriez vous un exemple ? Cette idée qu’il y aurait des variations statistiques et indépendantes de tout déterminisme me fait me méfier d’une approche qui me paraît anhistorique.
C’est sa mesure qui est qualifiée de “molle”, pas sa réalité. Je n’avais jamais entendu le qualificatif “artificiel” pour les qualifier, qu’on pourrait légitimer par le côté subjectif de leur définition mais dans ce cas là ça pourrait presque être le cas pour les sciences dites “dures”
Il est plus simple de compter le nombre de chromosomes ou que sais-je, le taux d’oxygène dans le sang de X individus, de faire une moyenne et d’en tirer des hypothèses. C’est souvent de l’observation, du quantitatif, et du prévisible une fois qu’on connait tous les paramètres
La majorité des sciences sociales ou psychologiques sont basées sur du déclaratif ou sur d’autres index (une méta analyse quoi), leur reproductivité et prévisibilité est bien plus délicate car ses paramètres sont en mouvement constant, et malgré une rigueur dans la recherche que je qualifierai d’égale qualité et sérieux par rapport sciences dites dures, la variabilité des paramètres à prendre en compte les rendent, beaucoup, beaucoup plus complexes.
Il faut bien entendu enlever tout préjugé négatif dans l’appellation dure vs molle, c’est juste une expression un peu malheureuse, qui oppose une facilité de mesure des paramètres d’un côté qui rend l’étude plus fiable d’un côté que de l’autre, je pense.
Tiens par rapport à cette affirmation du manifeste : « Le jeu de Société est politique »… Ces derniers temps j’ai rejoué à Brazil Imperial, j’avais fais une partie avec mes camarades de jeu il y a quelques temps et je l’ai trouvé en occaz pas cher avec l’Automato pour voir aussi ce que raconte le jeu en solo. Oh tiens un gros livret historique, chouette ! Ben en fait oui et non… Oui car j’ai appris certaines choses que j’ignorais sur l’histoire du Brésil (des nuances intéressantes où on croise des souverains monarchistes qui ont œuvré pour faire cesser l’esclavage ainsi qu’un certain nombre de personnages historiques qui se sont également bougés contre l’esclavage) mais non parce que ce n’est pas possible pour moi, au XXIème siècle, de lire des discours aussi édulcorés sur la colonisation du Brésil…
Ça commence par : « Les Tribus locales furent frappées de surprise en voyant les gigantesques nefs européennes qui flottaient sur l’Océan. Les portugais, de leur côté, furent ébahis de rencontrer tant d’indigènes nus, le corps orné de peintures, en apparence tout à fait innocents. Des cadeaux furent échangés : un magnifique chapeau, une coiffe de plumes… les représentants des deux peuples étaient bien incapables de se comprendre, mais ils passèrent la plupart de la journée ensemble . L’admiration non feinte que chacun éprouvait envers l’autre laissait déjà imaginer que l’histoire ne s’arrêterait pas à ces quelques menus échanges… » Bon ok ça c’est le 1er contact mais ils vont peut être expliqué la suite ?
Et ben…non… On saute quelques années, on esquive, on met sous le tapis les années de massacres et de résistances des indiens pour dire pudiquement que « le Brésil fut intégré au territoire Portugais », on met en avant les Indiens qui ont collaborés, laissés faire l’esclavage à ses débuts (on peut jouer Tibiriça qui a collaboré avec les colons mais pas son frère Piquerobi qui a résisté et s’est fait tuer par Tibiriça avec l’aide des portugais…) et le seul « résistant » qui est évoqué, Sepé Tiaraju, apparaît timidement sur une carte combat… On va dire que c’est mieux que rien mais bon… Le père jésuite José de Anchieta est présenté uniquement positivement sans un mot sur le fait qu’il a imposé une autre culture, une autre religion aux indiens, qu’il a « pacifié » certaines tribus pour leur faire accepter la colonisation et les soumettre, pas de nuances… On peut jouer Isabelle de Castille, elle est présentée dans le « livret historique », mais pas un mot sur le fait qu’elle fut l’initiatrice de l’Inquisition espagnole avec Torquemada ce qui est quand même une sacrée info historique… Bref… Je suis allé voir une discussion sur BGG sur le sujet, je ne suis, comme je m’y attendais pas vraiment le seul à ne pas être bien fan… C’est comme cela que je suis tombé sur cette interview de l’auteur pour une chaine you tube qui promeut le retour de la monarchie au Brésil en la personne de Dom Luiz d’Orléans Bragance (qui flirte semble t’il avec l’extrême droite), l’un des descendant de Pierre 1er que l’on voit sur la couverture de Brazil Imperial… La boucle est bouclée… (Et par rapport à cette chaîne you tube, mis à part cette interview, tout l’objet de la chaîne est le retour de la Monarchie, je n’ai pas vu une seule autre vidéo où il serait question de jeux…)… Donc oui le jeu est politique et même si j’aime la mécanique de ce jeu, que son édition est au top et que je suis en général très client de ce qui sort chez Super Meeple, je ne partage ici pas du tout la vision politique qui est proposée et avec mes camarades de jeu amateurs de gros euros on en a parfois marre de devoir trop souvent jouer des exploiteurs et des colons… Donc oui c’est une bonne chose amha que les choses évoluent et qu’on se dise qu’une présentation « historique » d’un jeu peut être quand même biaisée et orientée, ce qui est le cas ici… Le jeu de société n’a pas encore tout à fait passé sa période « Tintin au Congo »… Et avant que je me fasse « tomber dessus » je tiens à préciser que le problème pour moi n’est pas de parler de colonisation mais que celle ci est encore beaucoup trop souvent présentée d’une manière très « eurocentrée » où on édulcore la violence, où on euphémise et où on invisibilise les colonisés ou a minima les colonisés qui ne rentrent pas dans le moule ce qui est une vision à la fois politique, fausse et datée…
On peut aussi se dire qu’à un moment, quand le jeu s’appuie sur une réalité historique, pour les besoins du jeu (parce qu’on est quand même là pour jouer et passer un bon moment), il est plus simple et probablement plus pratique de passer certains éléments sous silence.
J’en reviens au JDR avec cet ouvrage, daté de 2009, que je m’étais procuré à l’époque (15 ans déjà*) :
La question du traitement des événements historiques en jeu (ici, le JDR, mais la réflexion peut être élargie à tous les types de jeux) en est le coeur, et la dernière partie aborde justement les questions morales et éthiques, mais toujours dans l’optique de créer un jeu (et pas de rédiger une thèse sur le sujet).
Pour ceux que ça intéresse, c’est plutôt pas mal et ça nourrit la réflexion.
*Preuve supplémentaire, s’il en est besoin, que les questions soulevées par les auteurs du manifeste ne sont pas nouvelles : ce genre de débat à traversé le milieu du JDR il y a déjà une trentaine d’années. Certainement liée au fait que les pratiquants sont pour beaucoup des MJ et qu’ils “cocréent” l’univers du jeu, en parallèle et parfois avec les auteurs originaux, et d’autre part en réponse aux attaques de certaines personnes bien-pensante contre ce loisirs qui s’est vu diabolisé dans les médias mainstream (oui, Mireille Dumas, c’est à toi que je pense).
Merci pour ce témoignage.
Ca ne me donne pas envie d’en savoir plus sur ce jeu et ça me rappelle que dans Endeavor, l’Age de la voile, il y a un paragraphe pédagogique quand la règle aborde les cartes “esclavage”. Les auteurs expliquent pourquoi ils sont choisi de garder cette mécanique dans la réédition et conseillent plusieurs sites institutionnels qui parlent de l’esclavage à l’époque du jeu.
Bruno Faidutti parle de l’orientalisme dans le jds. C’est encore malheureusement encore trop présent.
Gros coup de gueule contre Queen Games par ailleurs… pour son jeu Marrakesh de Feld il y une paire d’années. irrité par sa représentation irrespectueuse de la ville. Mais tout un tas de jeux le font sur d’autres cités (et mêmes européennes).
Ils ont corrigé cela en éditant une nouvelle fois le jeu avec des visuels mieux faits.
Si on regarde les thématiques des jeux (en majorité Eurogames), dans l’ensemble ils font une belle place aux pouvoirs qui ont dominé. Soit par les armes, soit par l’argent, soit par la religion.
Alors oui j’attends des jeux sur la révolte des esclaves noirs au Brésil, la lutte acharnée des Cheyennes, celle des anarchistes en Espagne, sur la Commune, etc…
Bref des jeux sur des…perdants magnifiques.
Des perdants que nous pourrions faire gagner.
Comme une sorte d’uchronie réjouissante !
Tout en gardant en mémoire notre Histoire avec ses hauts et…ses bas.
Car tout n’est pas si simple.
Tout n’est pas aussi simple que ce l’on voudrait nous faire croire avec des bons et des méchants bien identifiés.
Y’en a pas tant que ça des jeux sur les oubliés de l’Histoire…
Et dire que tout petit je jouais toujours les indiens avec mes figurines…
Et je les faisais toujours gagner.
Sur l’histoire du Brésil faut lire les romans de Jorge Amado.
Ca vaut toutes les thèses historiques.
Après j’adore polluer Mars avec Terraforming Mars, soutenir le clergé à Middle Ages, la baston dans Clash of Cultures, parcourir la jungle en 4X4 dans Tobago, entre autres.
Par contre je ne veux pas de jeux moralistes à deux balles qui me vendent du “prêt-à-penser” de camelot pour faire une jolie conscience en gras avec des avertissements attention danger sur la page 1 du livret de règles.
Moi je veux bien parler sciences, bon, ça me semble carrément H.S ici, mais s’il vous plait, quand vous parlez d’épistémologie des shs évitez de faire croire que ces dernières sont des sciences “poppériennes”, la reproductibilité et la falsifiabilité ne peuvent évidemment pas s’appliquer à des sciences essentiellement de terrain.
Les sciences sociales tirent leurs particularités de leur historicisme, donc leur capacité à penser leur objet sur le temps long. Dire que les shs se basent sur du déclaratif ou autres index, c’est oublier qu’elles partagent un socle commun théorique basé sur une construction transversale de leur objet. Parler de l’histoire des femmes par exemple, est commun bien évidemment à l’histoire mais aussi à l’anthropologie, à la sociologie etc… Toutes partagent un même socle de connaissances, et toutes ces connaissances passent par la validation par les pairs. Bien évidemment, comme vous le dites, leurs objets restent mouvants, mais justement l’historicité permet de comprendre d’où on part dans l’idée de comprendre vers ou on va, et là c’est le travail des chercheurs du présent, de terrain, sociologues mais aussi anthropologues. Cela fait quand même depuis les années 60-70 que le regard dominant sur l’épistémologie des shs est à voir du côté de Passeron et sûrement pas de Popper.
J’ai pas dit que ce n’était pas validé ni sérieux. J’ai dit que c’est plus compliqué que de compter les globules blanc d’un chimpanzé, that’s all.
(Oui c’est HS mais pour le coup le manifeste je pense qu’on a dit 200x tout ce qu’il y a à dire dessus : il y a ceux qui ne supportent pas qu’un texte leur dise quoi faire ou penser, et il y a ceux qui maîtrisent le lâcher prise Donc bon les digressions me semblent presque salutaires ici )
J’adore vous digressions. J’y connais presque rien en sciences humaines , c’est super intéressant de suivre ces échanges comparatifs avec les sciences physiques que je connais bien mieux…
PS : les neuro sciences cognitives vous les situez où du coup ? C’est du tout dur popperisable ou du tout mou déclaratif et historiciste ?
J’ai un peu de mal à cerner les limites précises de ce champ disciplinaire.
De manière générale la biologie c’est un peu le cul entre deux chaises. On y étudie des objets issus d’un processus historique, mais il est possible d’intervenir expérimentalement sur les dits objets. C’est donc exactement comme la physique en fait
(n.b: un soupçon de mauvaise foi peut s’être infiltré dans ce message)
À noter que l’expérimental existe aussi en shs, même si il est difficile pour la sociologie ou l’anthropologie d’étudier des sociétés “sous cloche” d’oû le peu d’intérêt. Par contre en psychologie cette méthode est beaucoup plus répandue, l’expérience de Milgram en tête. Après l’expérimentation est avant tout une méthode, avec ses avantages mais aussi ses limites.
on parle d’un tirage de 200 auteurs dans une population globale.
Ce tirage serait manifestement une preuve que le milieu du jds est phallocrate.
Je ne puis le dire et je ne pense pas qu’on puisse déduire cela de ces données.
Dejà le problème de la fréquence de base : un tirage parmi combien ? Qu’en est-il de la répartition de tous les tirages ? Il y bien des activités humailes où il y autant d’homme que de femmes et où la proportion est l’inverse est ce que statistiquement celà ne peut pas se concevoir (écart à la moyenne) sans crier au sexisme ?
Paul le poulpe a réussi a deviné tous les résultats des matchs de foot de la coupe du monde, doit-on en déduire qu’il est médium ?
Le petit soucis chez Paul c’est peut être la non prise en compte de la fréquence de base : Sophie la girafe, Léon le cameléon, Pierre le ver de terre ont peut être quant à eux échoué lamentablement …
Paul a réussi mais combien ont raté ???
Certes quand on regarde une occurrence le résultat semble extraordinaire (la probabilité qu’il advienne est très faible). Mais rien d’étonnant quand on multiplie l’expérience d’avoir de temps en temps des résultats qui s’éloignent de la moyenne
Sur des milliers, voir des dizaines de milliers de groupes de 200 personnes tirées au hasard combien s’éloigneront de la parité ?
Il faudrait idéalement faire une régression vers la moyenne (c’est excessivement rare de voir ce genre de pondération dans des études en sciences humaines) donc oui les études en sciences humaines ne sont pas toujours l’alpha et l’oméga.
Le p-hacking est fréquent (cf crise de la réplication) et les biais sont courants.
Les profs de stats en psycho aiment à dire que les études en psychologie cognitive permettent de savoir comment pensent les étudiants en psychologie (la plupart sont faites uniquement sur les étudiants) !
Le biais de généralisation est courant.
Dès fois on a raison de géneraliser parfois non.
Pendant longtemps on a émis des hypothèse par exemple sur le fait que quand on demande de donner un chiffre au hasard entre 1 et 10 la répartition des réponse n’est pas homogène et le chiffre 7 est significativement plus cité.
Pendant des années on a donné de nombreuses explications avant de se rendre compte que ce résultat n’était pas du tout généralisable et que dans d’autres groupes c’était le 3 ou le 5 qui étaient le plus cité.
Pour revenir à Paul le poulpe : peut être n’est ce pas que le hasard mais dès lors est-il vraiment médium ? N’y a-t-il pas d’autres hypothèses ?
Généralement en science on évite d’émettre des conclusions via une simple observation : on essaye ensuite d’infirmer l’hypothèse émise (la médiumnité ou le côté phalocrate des jds) et c’est parce qu’on n’arrive pas à le faire qu’on va conclure que celle-ci est probablement vraie.
Peut-être Paul est-il juste attiré par la couleur des drapeaux des vainqueurs ?
Quant à déterminer les causes et les conséquences ce n’est pas toujours chose aisée.
On utilise les critères de Bradford Hill mais il existe bien des exemples où ce n’est pas si évident que cela.
Les enfants qui ont le plus de punitions sont ceux qui sont les plus turbulents mais est-ce parce qu’ils sont turbulents qu’ils ont des punitions ou est-ce les punitions qui les rendent plus turbulents ?
C’est parfois le problème des études observationnelles : difficile de différencier les causes et les conséquences.
Quant à la différence science dure vs molle il ne me semble pas que soit une différenciation entre sciences à forte prédictibilité contre sciences imprécises dans leur prédictions.
En physique il y a des domaines peu prédictibles (volcanologie, météorologie) et pourtant ce sont des sciences dures.
Le terme molle vs dure c’est avant tout une différence sur le champ d’application de celles-ci : les sciences de la matière et les sciences de systèmes construits par l’homme qui sont immatériels (économie par exemple).
Et je suis d’accord que ces termes sont désuets : les neurosciences ont clairement rendu “matériels” des champs entier de la psychologie cognitive et avant de connaitre les déterminismes “physiques” de celle-ci cela ne faisait pas des résultats de la psychologie cognitive une forme de sous science.
D’ailleurs les critères de démarcation entre sciences et pseudo sciences ne sont pas si simples que cela (falsifiabilité, généralisation, prédictibilité peut être).
La science est un processus institutionnel avant toute chose et les paradigmes d’autrefois ne sont plus ceux d’aujourd’hui.
Bref vous émettez une hypothèse à partir d’une donnée et vous proposez de mettre en place des mesures (c’est une démarche purement prescriptive) mais avant de dire qu’il faut s’en remettre aux décisions de Paul le poulpe pour nos actions futures il serait peu être bon déjà de tester l’hypothèse que celui-ci est vraiment médium me semble-t-il …
Avant d’instaurer un quota, de punir les auteurs masculins dans le jds, de sanctionner les maisons d’éditions qui ne font pas preuve de parité il faudrait peut être déjà prouver que ce déséquilibre est en effet une expression d’un sexisme patent …