Il existe de multiples moyens pouvant être employés par l’ennemi pour bafouer une nation qui se développe dans un esprit de compétition et d’effort sains. Ainsi, l’écrivain anglais J.R.R. Tolkien publia, fut un temps, un pamphlet dans lequel il se permit d’attaquer, entre les lignes bien évidemment, notre système social si agréable à l’homme. Le « Seigneur des Anneaux » éponyme – Sauron – est le chef d’un pays miséreux, dans lequel un collectif développé dispose d’un pouvoir authentique, placé entre les mains de Nazguls - dirigeants nommés pour un mandat à vie (mais injustement dénommés, ô quelle ironie, des spectres), alors que les orcs – classe ouvrière du Mordor – sont décrits comme des êtres odieux aux mœurs abjectes. (Mais comment un petit lord anglais pomponné – descendant d’un peuple d’impérialistes – pourrait-il ne serait-ce qu’apercevoir la beauté des hommes de labeur ?)
A l’organisation, le travail et l’ordre parfaits du Mordor – un pays présenté pourtant comme « un désert de cendres » (serait-ce une pointe de jalousie ?), est opposée l’image de terres riches, où « le lait et le miel coulent à flots », et où les biens de consommation poussent pratiquement sur les arbres. Mais il est peu aisé de deviner d’où proviennent-ils exactement – peut-être de l’intervention d’un être supérieur, d’une sorte de dieu ? (laissez moi rire…) Alors que, dans un Mordor travaillant nuit et jour, un manque de produits alimentaires de base et d’eau se fait sentir, les pays voisins vivent dans l’opulence. Quelle référence peu subtile à notre réalité, dans laquelle le capitalisme exubérant nous leurre par des images d’abondance, dont la provenance est toutefois inexpliquée et inexplicable (sortilèges de Gandalf et des elfes ?), alors que les ouvriers et les paysans de notre camp travaillent durement et honnêtement, gagnant leur vie sans nuire à autrui, obtenant tout de leurs propres mains !
Les elfes, les hobbits et les soi-disant nobles grands hommes symbolisent à merveille le groupe d’aristocrates et de bourgeois oisifs, essayant coûte que coûte de s’opposer à la révolution globale, alors que les orques et les trolls, décrits comme des créatures des ténèbres, doivent se cacher sous terre, et tels des mineurs, travaillent à la sueur de leur front pour un bout de pain rassis (les lembas et le miruvor ne sont pas pour eux, oh que non !). Le sorcier Saruman, qui pourtant tente de les organiser en syndicats, qui les nourrit et qui se bat pour les droits des minorités, est finalement stigmatisé et désigné comme traitre. Quant à sa demeure, elle est in fine détruite par des altermondialistes réactionnaires beatniks, toujours prêts à jouer les voyous.
Bien que développant le socialisme dans la Comté, Saruman est cependant arrêté et condamné sans procès (!) par des hobbits soutenus (et payés) par la puissance capitaliste du Gondor. Les soi-disant « forces du bien » du livre de Tolkien sont composés d’individualises, dont les mains n’ont jamais connu le dur labeur. Cela décrédibilise totalement Frodo, Aragorn, Boromir et le semeur de superstitions et de charmes – Gandalf. Quant à Tom Bombadil, il symbolise à lui seul la jeunesse décadente et embrumée, une satrapie dans son propre pays, un tyran et un dissipateur, disposant du pouvoir absolu – mais de quel droit ? Nous avons encore Faramir, toujours élégant, intelligent et charmant tel un Agent Secret de Sa Majesté, mais sabordant toute manifestation d’internationalisation. Il s’agit d’une galerie de personnages sans véritable structure idéologique, happés par un combat contre la « différence ». Quel bonheur que la révolution socialiste ne pourra être stoppée simplement en jetant dans le feu même la plus précieuse des icônes.
Mordor tenez bon, entouré de vos voisins belliqueux et réactionnaires !
Władysław Oczeret
(“Czerwony Sztandar”, 24 mai 1971)