Sur la répartition des coûts de l’édition, beaucoup d’articles sur le net, mais celui-ci contient un joli graphique.
On voit que ce qui correspond au prix éditeur dans le milieu des jeux représente presque la moitié du prix public, contre 1/3 à 1/4 chez nous. Certes, les éditeurs doivent reprendre leurs invendus (en moyenne 1/4 des tirages), ce qui leur transfert un coût supporté, dans le domaine des jeux, par les boutiques, et vu les volumes en jeu la distribution doit faire des économies d’échelle. Le temps passé en rayon (coût pour les boutiques) est aussi plus court.
Si j’estime bien, dans le domaine du jeu, les éditeurs touchent 1,5 à 2 fois moins en pourcentage, et les auteurs 2 à 3 fois moins (notez que les droits d’auteurs intègrent les illustrateurs).
Au passage, je me demande quel est le % d’invendus dans le domaine du jeu, chez l’éditeur d’une part, en boutique d’autre part. Le risque coute moins cher à une grosse structure,raison pour laquelle j’ai écrit que l’obligation de leur reprise, comme pour les livres, pourrait diminuer le prix final, mais vu la taille de certains éditeurs, j’ai un doute.
Dans le domaine du livre, le prix unique et la reprise des invendus (même s’ils doivent la vivre comme un poids) protègent le pourcentage perçu par les éditeurs, augmentent l’importance des auteurs (qui peuvent éviter des invendus), et évitent aux distributeurs la charge de tester et d’estimer le risque avant d’accepter ce qui n’est plus qu’un dépôt-vente. Transposé dans notre marché de niche ludique, le coût de la distribution resterait plus important, mais on peut au moins espérer se rapprocher du modèle livresque.
S’il y a ici un auteur de jeu pro qui fait de l’économie durant son temps libre pour payer ses loyer
, j’avoue que j’aimerais savoir si je fantasme ou si ça se tient.
Pour basculer vers un tel système, il ne faudrait rien de moins qu’une intervention divine, autrement dit de l’état. L’exception culturelle pourrait permettre, en théorie, de passer outre, mais pour les français et les belges, la sensibilité de Bruxelles aux lobbys - aux éditeurs allemands, quoi - risque de refroidir toute envie de changer le statut quo. Sauf a persuader ces éditeurs qu’ils y ont intérêt, ou à proposer un rôle suffisamment médiatique au ministre de la culture - or, du moins en France, le jeu de société n’a été médiatisé que pour les champions d’échecs de la guerre froide. C’est désormais la guerre des consoles qui fait l’ouverture du JT.
On pourrait tenter une pétition pour que le Risk (Lamorisse et Vernes) ou le Monopoly (Magie et Darrow) mentionnent le nom de leurs auteurs. Hasbro pourrait même y trouver un intérêt : si le principe des droit d’auteur courant 70 ans après la mort (2037 pour Darrow) fonctionnait pour les jeux, ils pourraient se débarrasser de plagiats comme le Superpoly. Une idée en passant, mais malgré l’exemple du Monopoly-Moncuq, je doute de la résonance dans les médias.
Pour ce que j’ai compris de la jurisprudence actuelle, les droits d’auteurs concernent la lettre des règles, et non leur fond, la protection réelle des jeu étant la menace de procès pour concurrence déloyale. C’est pourtant l’algorithme auquel un mathématicien pourrait réduire la règle qui est le fruit du travail de l’auteur, et pas le thème, souvent imposé par l’éditeur, qui l’habille. Je sais que cela parait s’éloigner du sujet mais, dans la mesure ou la partie du jeu édité que nous avons directement créée n’a pas d’existence légale, revendiquer un meilleur traitement me semble difficile.
Même transposé dans un autre thème avec un autre matériel, c’est la mécanique qui porte l’essentiel des émotions d’un jeu : l’incarnation du joueur dans l’un des pions du plateau, au Monop et surtout aux échecs, qui donne à ces derniers une dimension d’ordalie. L’élément dramatique d’un jet de dé, le double-guessing… L’acceptation tacite, quant on joue aux échecs, des castes de la société indo-européene (roi, pièces, pions), ou d’individus définis par leurs liens sociaux quant on joue au Go. Au Monopoly, le fait que la victime d’un piège est responsable d’y être tombé, puisque c’est lui qui a lancé les dés - et Elizabeth Magie s’imaginait avoir créé une critique de la spéculation, preuve que l’inconscient s’exprime aussi à travers les règles.
C’est à cette capacité des mécaniques à créer un univers que correspondent les droits d’auteurs, et c’est le seul élément non protégeable : si j’envoie mes règles à la société des auteurs, même sous forme d’algorithme, l’algorithme ne sera pas protégé.
Pour revenir un peu vers le sujet, les créateurs n’ont pas grand chose à vendre non plus en terme de notoriété : entre geek, on suit nos auteurs préférés, mais même avec le nom sur la boite, le grand public ne s’intéresse pas à lui. Obtenir, comme l’a dit moijeux, que les ludographies soient citées feraient des auteurs un argument de ventes, et susceptible d’aiguiser la curiosité de joueurs occasionnel - en d’autres termes, si c’était généralisé, cela profiterait aussi aux éditeurs. Mais ça relève à nouveau de l’intervention divine : si le jeux n’est pas un objet culturel, les créateurs ne sont pas des auteurs.