Boudjou un sujet-fleuve
Mais y’a du dossier effectivement, et des choses à en dire.
Pour les boutiques en tant que clientes, KS n’est pas du tout adapté. Une boutique a un fonctionnement économique simple : acheter un produit, le revendre avec bénéfice. Chaque cycle est une ‘rotation’. un produit comme Twilight imperium III va faire une ou deux rotations par an, un produit comme une boîte de boosters Magic une dizaine ou même plus. L’ensemble du cash que la boutique peut assigner à acheter du stock, le ‘Open to buy’ est une somme délimitée. Elle peut varier un peu mais son élasticité est faible.
Un produit ‘normal’, la boutique le demande au distributeur, elle le reçoit et le paye au distrib. à 90 jours (parfois c’est comptant, parfois plus que 90j, mais le scénario le plus courant c’est 90j). Si elle l’a vendu entre temps, elle est payée par le client avant de payer le distrib. Sinon, elle avance les fonds de son open to buy.
Plus la rotation est courte, plus le produit est rentable. Or, un produit acheté sur KS, même à un prix boutique, il faut le payer immédiatement, et le recevoir dans 6-9 mois. Et durant ce temps c’est autant d’€ en moins disponibles pour des prduits en rotation sur les rayons. Si on ne voit que ça, c’est juste un suicide pour un détaillant de proposer des produits achetés sur KS.
Évidemment il y a d’autres aspects qui entrent en compte. Mais le manque à gagner sur le cash immobilisé fait que les produits KS sont au mieux une opération blanche pour les boutique, et au pire une perte.
C’est pour ca que pour le KS de Twin Tin bots j’avais proposé à l’époque une alternative pour les boutiques: commander durant le KS sans avancer de fonds, et une fois le jeu produit, le recevoir via le distributeur aux conditions habituelles, mais deux semaines avant les autres boutiques. Du coup pas besoin d’immobiliser du cash. (mais en même temps ca n’aidait pas directement la campagne non plus. j’étais juste certain d’en vendre au moins X en boutique après la sortie.)
Ensuite l’impact de KS sur les boutiques, ca c’est un autre dossier.
KS s’adresse aux core gamers, aux ‘alphas’. Ce sont aussi des prescripteurs : je vois au club des gars se ramener avec un jeu KS, le faire essayer à d’autres, et quand le jeu sort en boutique, ceux qui n’avaient pas suivi la campagne se le procurent si ca leur a plu. on en a pas parlé ci-dessus mais c’est un des aspects importants de KS : la promotion du jeu avant sa sortie.
Le revers de la médaille est que toute la pub et la comm sont concentrées avant et pendant la campagne, et une fois le jeu financé il est difficile de refaire un campagne de comm’ pour soutenir sa sortie en boutiques.
Pour l’éditeur, l’aspect KS est très simple : Recevoir les sous, avant de produire. Pour un petit éditeur comme moi c’est une alternative à ‘ne pas sortir de jeu faute de sous’. On a parlé des banques ci-dessus, la banque est un parapluie qu’on ne vous laisse utiliser que s’il fait bon. Les aspects promotion et comm’ sont du bonus, la souscription est avant tous un moyen de financement alternatif. Et en plus, ça marche
Un dernier truc important c’est les figurines…
Un projet ‘avec figurines’ et ‘sans figurines’ obéissent à des économies totalement différentes et ne sont pas comparables. Beaucoup de joueurs ne s’en rendent pas bien compte et ont du coup des attentes irréalistes sur certains projets.
Produire un jeu de société ‘carton’, c’est un coût fixe ‘F’ (films d’impression, calage des rotatives, impression, agencement de la chaine de production ou de petites mains remplissent les boîtes de meeples et kubenbois, etc), et un coût à l’unité ‘U’ (papier, kubenbois, meeples, etc.) Si je fais 1000, 5000 ou 10000 exemplaires, le coût à l’unité est (F/1000)+U, (F/5000)+U ou (F/10.000)+U
Pour le plastique le principe est le même : coûts fixes ‘F’ sous forme de moules, calage, etc.
Sauf que… sur un projet ‘carton’ la partie fixe est relativement faible, du genre 2000 à 5000 euros. Une fois qu’on dépasse les 5000 exemplaires, les coûts à l’unité ne diminuent plus beaucoup. Et sur un projet ‘Plastique’ les coûts de moules vont de 5000 à 40000€ voire plus suivant le nombre de moules, leur complexité, et leur type (moules en cuivre pour faire quelques dizaines de milliers d’exemplaires ou moules en acier pour en faire des millions).
Avec du plastique il faut faire des dizaines de milliers de pièces pour que ce soit payable. Mais le prix à la pièce devient ridicule, et c’est facile de rajouter une louche de plastique au produit pour le même prix. En carton, rajouter un punchboard aura un impact beaucoup plus notable sur le prix unitaire.
Les projets pionniers KS à amener la logique de ‘stretch goals’ étaient des projets à figurines, comme le ‘reaper bones’.
Quand un jeu ‘normal’ sort, genre une boîte, une règle, quelques punchboards, un cartonformage et une poignée de pièces en bois, il est difficile d’y ajouter une louche de bois ou de carton pour le même prix. Et si on y ajoute à partir d’une certain seuil des figurines plastique à la place des meeples en bois, on se retrouve tout d’un coup dans une économie différente, avec des attentes différentes; Et si le porteur de projet n’a pas été extrêmement prudent dans ses calculs, il risque juste d’y perdre sa culotte. Et sa chemise. Et le reste.
Un dernier point qui n’a pas été beaucoup abordé c’est la logistique. Une fois le jeu produit, il faut le mettre entre les mains des soutiens. On est en train de voir émerger des acteurs nouveaux de ‘fulfillment’, c’est à dire l’expédition à l’unité, et de voir des acteurs historiques de la VPC s’engager aussi sur ce terrain.
Ca met aussi la pression sur les distributeurs, donc à terme le métier pourraît changer : faire le ‘picking’ dans l’entrepôt et envoyer à des adresses individuelles les produits, c’est en fait la fonction logistique du distributeur sauf que lui fait du B2B et pas du B2C. Il se pourrait que certains distributeurs décident de se concentrer sur l’aspect commercial pur et utilisent ces nouveaux acteurs comme partenaires pour la logistique. Comme mettre ce type d’affaire en place demande beaucoup moins d’investissements lourds que d’ouvrir un entrepôt et centre logistique, on pourrait avoir une explosion de distributeurs purement commerciaux qui redistribue les billes dans le secteur.