Eïla - journal d’une aventure en 5 jours

EILA - JOURNAL D’UNE AVENTURE EN 5 JOURS

Eïla j’ai d’abord vu ça d’un œil distant.
Je me connais, les jeux narratifs ce n’est pas pour moi ! Habituellement je regarde de loin les jeux à campagne, les livres dont vous êtes le héros, les dungeon-crawlers etc… et le principe du jeu kleenex ne m’emballe pas, sauf les jeux d’enquêtes (coucou Detective) et une fois, une campagne solo que j’ai adorée : Legacy of Yu. Mais restons tout de même honnête avec cette dernière, la narration du livret des récits n’est pas parvenue à me faire rentrer dans une réelle aventure.

Et puis de fil en aiguille, de reviews en tops, de vidéos en commentaires ma curiosité a été aiguisée par des retours parlant « d’une expérience de jeu », « d’aventure addictive », « de coup de cœur ». Des mots forts.
Et pourquoi pas tiens ?
Alors à mon tour j’ai plongé et voilà mon histoire d’Eïla ?

Jour 1 - la prise en main

Le Prologue et le chapitre 1 sont là pour m’aider à la prise en main d’une mécanique simple et efficace qui est : je tourne une carte, je lis, je fais les actions, je fais un choix parmi plusieurs, je pioche des cartes événements immédiats ou d’autres que je pose dans ma défausse du futur pour les découvrir le tour d’après. J’ai un nombre de tours prédéfinis pour mener à bien ma mission et je manipule plein de petites carottes, livres, étoiles et pièces.
Chaque chapitre débute et finit avec la lecture d’une mini-BD aux traits enfantins dont je trouve l’ambiance énigmatique. Comme s’il me manquait une pièce pour tout bien comprendre.
Deux parties, un peu trop simplistes, qui s’achèvent net avec un épilogue de chapitre inattendu attristant notre lapine Eïla et lançant l’aventure.
C’est l’heure ! Cet éclat, tout en haut de la montagne, il est temps de l’atteindre.

On était bien dans cette forêt Eïla, pourquoi vouloir partir ?

Jour 2 (en 6 parties) - les difficultés commencent

Pour ancrer davantage l’aventure dans une ambiance j’opte pour une playlist proposée par Spotify. Elle est efficace, je vous la recommande.
La mécanique de gestion des ressources franchit une marche sur laquelle je trébuche plusieurs fois. À cela se rajoute une micro-méca, principe propre et différent à chaque chapitre, qui me joue des tours. Sans compter le fait que je me trompe plusieurs fois, notamment en oubliant de faire apparaître certaines cartes événements ce qui me fausse totalement l’aventure… bref, un peu la cata qui m’oblige à recommencer plusieurs fois. Ça me frustre. Ça m’agace. Ça me fait dire que j’aurais pas dû acheter ce jeu. Mais il y a un truc qui me donne envie de persévérer, de ne pas lâcher… je vais bien y arriver alors j’enchaîne les parties de manière addictive !
Étonnamment aussi, je sens que ce chapitre est façonnant pour la suite et j’ai envie que cette petite Eïla se batte, s’en sorte, qu’elle passe les épreuves droite dans ses bottes, qu’elle soit courageuse et tenace sans être ni niaise ni agressive face à l’adversité. Même si c’est un jeu, en incarnant Eïla et étant seule face à mes choix, il y a forcément un peu de moi dans ce que je construis.

Je crois bien que j’ai plongé dans l’histoire les deux pieds dedans.

Jour 3 (en 3 parties) - le plaisir ludique à l’état pur

Ça y est je suis dedans, je deviens un peu plus mon personnage et… que j’ai kiffé ce chapitre !
Je sens que les choix faits lors du précédent chapitre influent sur les possibilités d’action du moment et me rendent la vie facile, beaucoup plus facile. Je me régale à aller à droite, à gauche, à faire demi-tour, à enjamber, à activer, à collecter… Aucune frustration à échouer parce qu’à force d’essayer je sais où je veux aller et m’en donne les moyens d’y arriver. J’ai même tant aimé la micro-mécanique de ce chapitre que j’aurais pu faire exprès de perdre pour le refaire encore et encore, mais un éclat en haut de la montagne me rappelle pourquoi je suis là.

Café & biscuits, de bien maigres provisions pour la mine.

Jour 4 (en 2 parties) - Je n’étais pas prête à ça.

L’histoire se joue de moi et dévoile un premier rebondissement. La suite c’est à moi de la construire. Je sais ce que je veux et pour y parvenir j’envoie ma petite lapine dans une course frénétique, un contre-la-montre. Je fais défiler les cartes et les actions parce ça urge. Ça presse. Il faut aller vite. Le sentiment d’urgence m’envahit au point de ne plus faire attention aux illustrations. Je tiens mon cap parce que ça m’est impossible qu’il en soit autrement. C’est mon histoire et c’est moi qui la joue.
Une dernière carte et j’y parviens. Ouf. Moment de soulagement. Mais désillusion immédiate quand un grand coup de massue frappe : « Non ça ne peut pas être ça ! » « Si ? Vraiment ? Nooon. C’est pas possible ».

Jour 5 (en 1 partie) - Et là, la claque narrative

Un peu sonnée, il me reste une dernière étape. Une dernière possibilité pour réussir à rejoindre cet éclat alors je savoure. Je joue tranquillement. Je prends mon temps pour ne pas faire d’erreurs qui me gâcheraient le plaisir de la fin. Je fais des choix posés en pesant le pour et le contre. Il fait beau alors je profite du temps pour jouer dehors, ça joue sur le sentiment d’accomplissement heureux. Jamais dans cette campagne j’aurais été aussi attentive aux moindres détails, je suis à l’affût de tout.
Cette montagne je la gravis et finis par atteindre l’éclat. Et là c’est la perplexité.
Une fin alternative.
Un jeu qui me conseille de tout redémarrer.
Tout redémarrer ?
Vraiment ?
Non, impossible ! J’y ai mis de moi dans mes choix, recommencer ne serait plus vraiment moi. Alors je prends le parti de refaire le chapitre. Je recommence, modifie quelques choix, accélère le pas jusqu’à me rendre compte que cette fin je ne peux y échapper. Oui, c’est finalement mon destin. Il m’est impossible de faire demi-tour. Le jeu m’oblige à assumer à mes choix.
Tout cela à cause d’une carte. Une seule. Une seule satanée carte dont j’ai fait le choix au chapitre 2 qui, à ce moment-là, n’était pas une mauvaise option. Mais elle m’a inexorablement orienté vers cette fin sans en avoir conscience.
Moment de flottement.
OK j’accepte.
C’est le jeu.


Étonnant écart entre la météo du jour et la fin de mon aventure.

Et on est reste là sans rien faire ?

Nooooon. Bien sûr que non !
Je ne l’ai pas encore dit mais je suis curieuse. Si curieuse qu’à chaque fin de chapitre, avant d’entamer le suivant, j’ai farfouillé dans les cartes événements non jouées pour trouver quel(s) étai(en)t le(s) autre(s) chemin(s) proposé(s) de l’histoire et lire les autres mini-BD. À chaque fois, même constat : mon aventure m’allait, les fins de chapitre me correspondaient. Tellement que dans un excès de confiance j’ai même pensé y arriver, gagner.

J’ai donc fait de même avec le chapitre 5. Fouiller les cartes et découvrir le chemin qui menait à l’épilogue final.

C’est là qu’a été ma claque de jeu, ma claque narrative.

Un véritable uppercut, vécu au travers d’illustrations à la mise en scène cinématographique, qui met fin à cette aventure en passant du meilleur au pire, du pire au meilleur.
La fin m’a projetée au début de mon aventure. En une fraction de seconde tout a fait sens : le choix de ces illustrations, le choix de ce personnage, cet univers vaporeux et énigmatique, la quête d’Eïla, cet éclat… bref l’auteur s’est joué de nous, joueurs, avec finesse et malice. Et ça j’aime, beaucoup.

Attention tout de même son épilogue peut secouer, toucher une sensibilité, remuer des histoires de vie à en faire monter les larmes.


Ce qui restera d’Eïla.

La morale de cette histoire

Il y a bien une morale claire et nette que le jeu met en avant.

La morale, chaque joueur s’en fera un avis. Elle peut être frustrante, elle peut gêner, elle peut être accusatrice. Un superbe article, un de ceux qu’on aimerait voir plus souvent dans le jeu de société, a été écrit dans ce sens : par ici si l’anglais ne vous fait pas peur (merci @gobarkas pour le lien).

À titre personnel, cette morale je ne l’ai pas prise pour moi. Elle m’est passée bien au-dessus. Par contre, cette aventure aura fait résonner chez moi l’expression

« The journey is more important than the destination ».

Je regrette simplement que le jeu oblige à faire les « bons » choix pour arriver à son épilogue final. Un épilogue complet pour chaque fin d’histoire d’Eïla aurait eu, à mon sens, plus de pertinence et moins cette impression d’inachevé qu’évoquent certaines reviews.

Eïla c’est un jeu, pas la vraie vie et lorsque je joue je ne suis pas tout à fait celle que je suis dans la réalité. Sinon pourquoi jouerais-je ?

Eïla et l’éclat de la Montagne a apporté une pierre à cette question et rejoint la liste des jeux qui m’ont offert une expérience. Un souvenir fort. Un moment marquant !

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Merci pour cet article. J’ai toujours été bien déçu par les jeux narratifs et en plus le thème à priori ne me branche ici pas vraiment. Mais ce bel article excite fortement ma curiosité de joueur solo et me donne furieusement envie de l’essayer. Vais-je craquer ??..

Bonjour,

La morale de cette histoire est aussi subtile qu’une partie d’échecs. Chaque coup, chaque décision, nous mène vers une fin plus ou moins satisfaisante, mais le véritable plaisir réside dans le chemin parcouru, pas uniquement dans la conclusion.

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@chiro je partage tout à fait cet avis pour Eïla :slightly_smiling_face:

Je l’ai fini mais je n’ai pas eu la “bonne” fin. Je ne me suis pas spoiler la fin afin de pouvoir refaire un voyage.
J’ai retenu de cette expérience des émotions rarement ressenties en jouant à des jeux. J’ai adoré les illustrations, les mini-jeux à presque chaque chapitre et les choix parfois douloureux à faire.
J’ai ressenti de la joie, de la tristesse voire de la déception (lors des conséquences de certains choix) mais j’étais impliqué à fond dans l’aventure d’Eila.
Comme un bon film ou un bon jeux vidéo, je le referai même si je connais les péripéties et peut-être que cette fois ci je pourrais orienter mes choix sachant ce qui arrive après (maudit château !)…

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Merci pour ce très très beau post, totalement à l’image de mon propre ressenti quand j’ai découvert le jeu en KS et que j’ai chouiné auprès d’autres collègues pour qu’on le localise en VF.

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@antoinette … merci ! C’est le genre de récit que j’aimerais faire sur des jeux narratif (je suis depuis un moment sur Tainted Grail, et aussi sur Gen 7 et bientôt sur un legacy), mais ce qui m’a toujours stopper, c’est évidemment la crainte de “divulgâcher”; Mais c’est chouette. :+1:

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