En 2024, les internautes s’étaient amusés à la sortie de Wyrmspan en caricaturant la couverture sur un jeu de mots, une sonorité anglophone. Début 2025, ils s’en sont donc donnés à cœur joie à l’annonce de la sortie de Finspan.
Matagot aurait pu pousser le vice en sortant le jeu le 1er avril mais non c’est bien le 21 mars 2025 que les bancs de poissons en boîtes cartonnées se sont posés sur les étals de nos boutiques.
J’aime beaucoup la mécanique d’engine-building (construction de moteur) développée par Wingpsan. Wyrmspan m’a surprise avec son cran supérieur et un thème qui, de prime abord, n’était pas pour moi. Finspan est annoncé par Stonemaier Games comme étant la dernière boîte de leur trilogie -span d’où la question que l’on peut se poser :
Ce Finspan, un plongeon plat qui fait mal au ventre ou la fin d’un cycle bien mené ?
crédits photo : Stonemaier Games
Avant tout, petit point sur les règles de la plongée.
Nous sommes des biologistes marins et observons des poissons sur un temps de quatre semaines où chaque jour nous nous dédions à une action parmi :
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Jouer un poisson de notre main
, thématisé en « découverte du poisson ».
Pour placer une carte nous avons besoin de la payer avec d’autres cartes provenant de notre main. Ajouter peut-être à cela des jetons poissons ou bien encore des œufs présents sur notre plateau… C’est donc la fin de la gestion de ressources à la Wingspan, souvent décriée pourr sa mangeoire capricieuse ; et même si Wyrmspan y remédiait déjà avec une régie plus souple dans le choix des ressources Finspan offre une épure plus poussée de cette économie.
Finspan va au bout des choses avec cette mécanique et introduit la possibilité pendant la partie de pouvoir récupérer les cartes précédemment défaussées et stockées dans une pile personnelle. Thématiquement ça tient la route : les études sur certains poissons peuvent être mises de côté puis revenir dans nos planifications grâce à une action dédiée. Cette nouvelle mécanique s’avère rafraîchissante et fun, tout en maintenant l’esprit de planification à la -span. -
Plonger pour observer nos découvertes
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On prépare les palmes et on se lance dans une descente abyssale dans l’une des colonnes de notre plateau, dans l’un des sites de plongée de notre océan. La descente se fait par palier et chacun d’entre eux offre un bonus spécifique à sa colonne (pioche de cartes, ponte ou éclosion des œufs…). A cela s’ajoutent les propres activations de certaines cartes poissons, déjà posées sur le plateau, que les plongeurs croisent lors de leur exploration sous-marine (cartes, œufs, éclosion, déplacement de poissons etc…).
On retrouve ici le cœur de la trilogie -span à savoir une activation des cartes précédemment posées qui vient gonfler le moteur et faire gagner les actions en puissance. Cependant, ici, pas de variation du nombre d’actions, c’est six pour chaque manche, un point s’est tout ! Wingspan freinait cette montée en puissance par une perte du nombre de jetons action et c’est Wyrmspan qui touchait déjà du doigt cette approche des six actions mais en y ajoutant une part de variabilité selon des coûts ou des gains éventuels en cours de manche.
A la fin de chaque semaine on fait le bilan de nos études et on score selon un plateau d’objectifs communs. Ici pas de course à celui qui en a le plus mais des points par occurrence sur chacun des plateaux personnels des explorateurs. Exit l’agressivité des scorings de Wingspan & Wyrmspan (appelons-les pour cet article les W&W) au profit d’un cumul de points en eau calme. Ce plateau guide les joueurs et leur indique une ligne directrice mais il ne sera pas la source la plus abondante de points de victoire, ni la raison des écarts en fin de partie présents dans W&W.
La quatrième semaine est particulière et score les capacités « fin de partie » des poissons que nous aurons réussi à poser sur notre plateau. Cette mécanique avait été introduite avec l’extension Océanie de Wingspan. Elle s’est également retrouvée dans Wyrmspan. Elle confirme son intérêt avec Finspan et justifie celui de ne plus avoir de cartes scoring personnelles distribuées en début de partie comme avec Wingspan.
Une fois les quatre semaines achevées viennent se rajouter au carnet de score les points des cartes poissons, ceux des œufs, des poissons juvéniles et des bancs présents sur notre plateau océan.
Simplifié et épuré
Finspan filtre les couches de surplus de W&W pour ne garder que l’essentiel et se rapprocher ainsi de la mécanique au cœur de la gamme -span. Moins de complexité dans les règles pour un déroulé particulièrement fluide. Terminées les différentes couches de scoring à surveiller pour l’emporter, on se concentre sur l’essentiel : nos cartes poissons, les fins de semaine, les pouvoirs de fin de partie et les bancs de poissons. Les tours gagnent en simplicité mais aussi en rapidité. Oubliez les interminables parties de W&W à 5 joueurs, à deux joueurs Finspan se boucle en 40 minutes.
Découvrez aussi qu’un -span peut s’installer en moins d’une minute trente : ouverture de la boîte, cartes et plateau de scores au milieu de la table, chacun un océan, six plongeurs, cinq cartes, deux œufs et un poisson, puis on largue les amarres.
« Epure » est LE terme qualifiant le mieux Finspan par rapport à ses grands frères.
Cette épure met de côté les principaux éléments d’interaction de la mécanique de W&W, c’est à dire le scoring compétitif des fins de manches ainsi que la rivière de la pioche. Avec Finspan on se recroqueville davantage dans la nacre de son coquillage et on portera un œil à l’océan voisin surtout lorsqu’il nous fera profiter des bonus “à tous les joueurs” lors de l’activation de certaines de ses cartes.
Simplifié donc familial ?
Il n’est jamais facile de placer le curseur avec ce critère car on oublie souvent que nous sommes des habitués aux jeux de société, des connaisseurs et nous avons le biais de penser que ce qui nous paraît facile et accessible l’est également pour tous. Sauf que non ! Même si Finspan nous prend davantage par la main que ses prédécesseurs, il faudra que la personne à qui vous le proposez ait un minimum de pratique ludique. Au vu de son poids sur BGG, 2.34/5, si on suit la logique de l’As d’Or il est à catégoriser chez les initiés (Harmonies est à 2.01, Kronologic 2.19 et Behind 2.25). Familial il l’est, mais pour une famille de joueurs.
Simplifié donc facilité ?
Ne vous trompez pas ! Finspan est certes épuré mais n’est pas plus simple qu’un Wingspan, il en est en juste différent et propose de nouvelles sensations de jeu et notamment celle d’un casse-tête. Finspan est un puzzle non punitif à résoudre, une planification, un rythme, un ordre à trouver pour optimiser ses actions. “Si je pose ce poisson il me permet de gagner un bonus d’éclosion au palier de plongée mais je n’aurai pas assez d’œufs pondus. Du coup si je fais une descente sur les œufs je perds un plongeur pour pas grand-chose alors que cet autre poisson qui me reste encore à poser me permettrait de gagner une action mais je n’ai pas assez de cartes à défausser pour le poser et on est à la dernière journée de la semaine…”.
C’est quand on touche du doigt les sensations de puzzle vécues avec Finspan qu’on lui comprend sa légèreté d’interaction.
C’est généralement satisfaisant de résoudre un casse-tête et Finspan réussit à y introduire du fun notamment grâce à la micro-mécanique des bancs de poissons. Je m’explique. A la fin de la partie chaque banc rapporte six points, ce qui n’est pas à négliger. La création d’un banc de poissons suit la logique du cycle de la vie sous-marine : pondre des œufs, les faire éclore puis faire rencontrer des poissons (ici, trois exactement) pour créer un banc. Pour les faire rencontrer, et ce au moment opportun, il faut les déplacer d’une carte à l’autre et un peu à la manière d’un « taquin » on résout ce mini casse-tête qui s’imbrique parfaitement au puzzle global du jeu. “Si je fais éclore cet œuf il me donnera un juvénile qui je pourrai déplacer à la prochaine action sur cette carte pour en faire un banc, oui mais j’ai aussi besoin de cet œuf pour poser mon prochain poisson…”
Bref il y a de la profondeur dans Finspan !
Thématisé et instructif
On le voit, la mécanique du jeu suit une logique thématisée : découvrir puis plonger ; pondre, éclore et regrouper… Et Finspan retrouve ce que Wingspan avait introduit en 2019, c’est à dire la naturalisation du jeu de société tout en le rendant instructif. Après l’univers fantastique de Wyrmspan difficile à rendre rationnel, on retrouve donc chez Finspan des explications scientifiques sur chaque carte, et quelles découvertes !
On s’arrête d’abord sur le nom des poissons : le dragon-saumon noir, le poisson-football, le grand avaleur, l’hippocampe pygmée des gorgones. Même en visitant des aquariums avec les mini-ludis je n’avais jamais prêté attention à la vaste originalité de tous ces noms, qui sont parfois même drôles.
Puis quelques lignes d’anecdotes, parfois captivantes, viennent compléter le tout. D’ailleurs saviez-vous que le requin blanc, ce grand prédateur marin, devenait parfois à son tour une proie, celle des implacables orques ?
Tout le monde ne sera pas touché par cela mais ça a le mérite d’ouvrir les yeux sur un monde qui nous est, pour beaucoup, méconnu.
Tout serait-il donc parfait ?
Eh ben… pas vraiment ! (même si la raison reste du détail, du superflu)
Le jeu est édité par Stonemaier dont on connaît la qualité d’édition et de fabrication. Il manque ici un petit quelque chose à Finspan. Les boîtes de W&W vendues en boutiques nous avaient habitués à des composants en 3D, agréables à manipuler et apportant un petit plus à leur univers (œufs, mangeoires, dés…). Ici, avec Finspan, tout est aussi plat d’une sole (vous me direz que ça reste dans le thème ^^) : le plateau, les cartes, le jetons… En réalité ça ne change rien au cœur du jeu mais pour avoir joué avec les composants deluxe ils apportent une petite satisfaction supplémentaire caractéristique de la gamme -span.
W&W nous avaient également habitués à des ouvertures de plateaux personnels mise en scène : le carnet pour les oiseaux, le paysage fantastique pour les dragons. Avec Finspan chaque joueur est un explorateur travaillant sur un plateau représentant un océan. Alors pourquoi avoir laissé ces magnifiques illustrations d’océans à l’arrière, invisibles à l’ouverture et donc soumises à l’oubli des joueurs ?
Fin de la plongée, on remonte !
Pour conclure et en revenir à la question initiale, Finspan n’est pas un plongeon qui tourne mal. Il n’est pas non plus une nouvelle boîte de la gamme -span qui affaiblit la licence. Au contraire, il s’y insert intelligemment puisqu’il parvient à garder l’ADN de la gamme tout en y trouvant sa propre identité ludique, mélange d’épure et d’effet puzzle.
Wingspan, Wyrmspan et Finspan, chacun a ses propres sensations de jeu qui le distinguent des autres et s’il s’avère exact qu’il est la dernière boîte de base alors la gamme est complète.
Mais qui sait ? Peut-être que… “-span encore fini” !