Harmonies : Pyramide d'animaux

Depuis plusieurs semaines Libellud joue de sa communication, qui donne envie, à propos de leur nouveauté, Harmonies. Et pourtant, tout a commencé en octobre 2023 quand Un Monde de Jeux fait le relais d’un article anglophone qui publie en avant-première quelques photos du jeu. Juste ce qu’il fallait pour activer mon auto-hype. Les belles illustrations, le plateau personnel avec ses petits jetons superposés qui m’ont rappelé Dreamscape, le plateau central qui m’a fait penser à Azul… bref quelques mois d’attente avant de voir si Harmonies est fait pour moi et s’il porte bien son nom…

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…et le chemin pour l’atteindre n’a pas été évident, fait de hauts et de bas et il m’aura fallu une bonne quinzaine de parties sous diverses configurations (solo, duo, multi) pour commencer à l’apprécier et finalement l’adorer.

Thématique ou abstrait ?

Commençons par ce qui marque en premier, son esthétisme. Simple cosmétique ou au service de la mécanique ?
Là, je vais droit au but car malgré sa mécanique abstraite le jeu a une âme et j’ose même dire qu’il est thématique. La DA est d’une beauté poétique qui nous embarque dans son univers : des couleurs lumineuses, des textures sur les espaces vides, des cartes vivantes, des animaux présents, mis en relief et entourés de détails. Les illustrations servent à la scénographie de la mécanique : le cube que je pose n’est pas une souris, une coccinelle, un koala, un suricate ou une loutre mais au moment où le cube passe de la carte au plateau personnel il y a une continuité logique, visuelle et thématique.

Quand je valide un motif pour Loutre, je pose un cube sur un jeton Eau qui doit être dans la continuité de deux autres jetons Herbe. Tiens, sur l’illustration on retrouve cette dominante herbe et la loutre est dans l’eau. Oh et tiens je peux poser jusque 3 cubes Loutre dans ma partie et il y a 3 loutres d’illustrées. On peut s’amuser à faire cela pour toutes les cartes du jeux, les suricates, les souris, les coccinelles etc… Harmonies, ou quand l’esthétisme sert le jeu !

Le travail éditorial est poussé et abouti (bien loin des jeux sur la nature qui mettent des truites dans des champs de blé). Il se passe quelque chose au fil de la construction 3D de notre plateau personnel. Les paysages grandissent, les arbres poussent, les rivières s’allongent. Il y a de la présence, de la vie, c’est contemplatif.

:film_projector: Pour les amateurs ou les curieux voici une vidéo intéressante où Maëva Da Silva parle de son travail d’illustration pour Harmonies sur la chaîne d’ Un Monde de Jeux.

Simplicité ou complexité des règles ?

Les règles sont simples.

Dans l’ordre que je veux :

  • Je prends un lot de 3 jetons proposés sur le plateau central.
  • Je pose mes 3 jetons sur mon plateau personnel.
  • J’accueille éventuellement des animaux si un/des motif(s) corresponde(nt) sur mon plateau.
  • Je peux choisir une carte Animal dans la rivière de cartes.

Mais mais mais ! Attendez il y a un petit truc qui change tout : le scoring de fin de partie ! Vous êtes prêts ?

  • Des points pour mes paysages (5 scorings avec chacun leurs constraintes).
  • Des points pour les animaux accueillis.
  • Eventuellement un scoring asymétrique si les esprits de la nature sont de la partie.

Prenons un exemple avec cette photo de fin de partie :

  • Je marque des points selon le paysage construit sur mon plateau personnel (arbres 18, montagne 10, prés 10, habitations 5, rivière 23) : 66.
  • Je marque des points pour les animaux que j’ai accueilli dans mon paysage (crocodiles 15, poissons 16, loups 4, lézards 5, chauves-souris 0) : 40.
  • Je score pour mon esprit de la nature, le T-Rex : 18.
  • Total : 124 points (joli !).

Il faut donc anticiper chaque prise et pose de jetons pour faire coïncider au maximum les scorings du jeu et ne pas perdre un emplacement pour rien. Il faut aussi avoir tout en tête et visualiser en 3D le plateau final tout en choisissant les animaux qui permettent de scorer (et ne pas faire comme sur la photo ci-dessus : choisir la carte chauve-souris qui se verra totalement inutilisée par la suite).

Et là, à la première partie, ça a été la douche froide. Une désillusion. J’avais en tête un jeu d’optimisation facile d’accès et pourtant je score péniblement 40 points (contre les 130 affichés dans l’exemple de la règle, outch !) avec une sensation de perdre pied, de ne pas comprendre ce que je devais faire. Un jeu trop brainy, trop chauffe-neurones, trop presse-citron en somme.
On y rejoue avec ludi-moitié qui en pense que « ouais ça va », chez lui ça veut dire « sans plus ». Puis, toujours dans ma hype contagieuse, j’y joue avec les copains qui ne semblent pas s’enthousiasmer à la fin de la partie. Mince alors ! Mais à chaque fois les retours sont identiques : le jeu est exigeant, un vrai casse-tête, avec éventuellement l’envie d’y rejouer pour se faire un meilleur avis.

Familial ou initié ?

Après ce que je viens d’écrire c’est pour moi de l’initié. Le mélange d’optimisation, d’anticipation, de représentation spatiale et en 3D ne sont ni à la portée autonome d’un mini-ludi ni d’une ludi-mamie s’ils ne sont pas un poil joueur et/ou habitués à jouer. Autour de la table c’est calme, ça cogite, ça réfléchit, ça hésite. Je crains même que les syndromes de l’analysis paralysis et du roll-back de certains ludi-potes bien connus de ces penchants soient ici activés.

Un petit plus : une bande son pour accompagner le tout, le jeu le mérite.

Avec ou sans les esprits de la nature ?

Sur mes premières parties j’aurais dit avec. Puis sans. Puis finalement avec… En fait tout dépend de ce que vous chercher. Si vous voulez rajouter du maillage au scoring, si vous souhaitez de l’optimisation plus ardue, si vous voulez varier vos parties, si vous voulez jouer avec votre courbe d’apprentissage alors foncez !

À titre strictement personnel, je trouve que les esprits de la nature ne sont pas équivalents. Certains scorent facilement et d’autres plus péniblement. Il y a d’ailleurs un indice dans un la règle solo qui ne trompe pas sur ce “déséquilibre”. Elle attribue des points bonus à certaines cartes esprits de la nature sur le simple fait de jouer avec.

Petit conseil pour les parties en multi : triez les cartes Esprit de la nature selon leur cartouche de scoring en vous référant aux deux catégories proposées à la page 10 du livret de règles et accordez-vous sur la même catégorie avant de piocher une carte dans celle-ci.

Sensations nouvelles ou connues ?

  • Rien de nouveau avec Harmonies. Tout existe déjà dans d’autres jeux du genre.
  • La pioche des jetons d’Azul.
  • La construction en 3D de Reef ou de Dreamscape.
  • Le positionnement sur un plateau restreint des Petites Bourgades.
  • Le paysage de faune et de flore de Cascadia.
  • De belles inspirations ludiques qui ont fait leurs preuves et malgré tout Harmonies ne fait pas de copier-coller, il a sa propre personalité.

Il reste bon à savoir que l’interaction est quasi nulle. Chacun son plateau. Chacun ses cartes. On est comme des ermites à admirer notre petit paysage et les animaux qui y habitent. Seuls la rivière de cartes et le plateau central pour les jetons sont partagés. Le jeu ne se prête pas non plus au plaisir du blocage de l’adversaire au risque de s’auto-punir, parfois fortement, en prenant des jetons ou des cartes qui ne nous intéressent pas.
Cette construction mécanique fait qu’il est un très bon candidat pour les amateurs de parties en solo.

Coup de cœur ?

J’aurais tant aimé que ce soit un coup de cœur à la première partie ! Participer à la hype dès la première partie parce que mon avis aurait été dithyrambique et uniformisé à ceux des créateurs de contenu et des ludistes sur les réseaux sociaux.
Mais non la douche a été froide !
Chose inhabituelle chez nous la boîte est restée sur la table, parfois même non rangée après une partie. Malgré la déception il y avait cet étrange goût de reviens-y parce que la variabilité des parties est assez dingue, parce que le plateau est taillé pour créer ce qu’il faut de frustration, parce que je voulais atteindre ces satanés 130 points du livret de règles. Au fil des parties j’ai compris que le jeu est stratégique. Très stratégique, exigeant, punitif. Mais qu’il permet aussi de s’améliorer, de comprendre les erreurs à ne pas commettre, d’équilibrer ses choix… pour au final n’y trouver que du plaisir et enchaîner les parties.

Et donc après bientôt 20 parties ? Eh bien Harmonies porte très bien son nom. Un équilibre entre beauté, mécanique et thématique. Une balance trouvée entre simplicité des règles et exigences de jeu. Des propositions bien équilibrées entre casse-tête, combinaison et optimisation. Le tout dans la thématique du moment, celle de la nature, mais qui en tire son épingle du jeu par une direction artistique remarquable.
Je recommande chaudement.

:gear: auteur : Johan Benvenuto
:art: illustrateur : Maëva Da Silva
:house: maison d’édition : Libellud
Pour des parties de 1 à 4 joueurs :family: pour 30 minutes :hourglass_flowing_sand: à partir de 10 ans :birthday:

:open_book: D’autres reviews à lire :
Le Meeple Jaune
Gus & Co

:tv: D’autres reviews à regarder (en fin de vidéo) :
First Player
Zeugma en solo

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C’est malin !! Maintenant, j’ai envie de l’avoir !! Je suis une accro de Dreamscape et de Cascadia et autres jeux nature… Nan mais sérieux, POURQUOI j’ai lu cet article, moi ??? J’aurais mieux fait de continuer à bosser !!!

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Très belle présentation :slight_smile: . Un truc qui se révèle dans ce jeu , notamment en solo, c’est l’aspect composition. Au début on a tendance à placer tous les jetons à côté en disant “on verra ce qu’on va en tirer”. Et en fait il faut dès ce moment commencer à projeter le paysage, pour scorer au max un animal (j’ai tendance à partir sur un animal qui score le plus, comme le paon et construire les autres autour). J’aime beaucoup cette sensation de projection ( et apprendre les petites erreurs , comme ne pas commencer un bâtiment dans un coin :yum: ).

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