De mémoire ce pavé sur Keynes est surtout issu du forum TT où justement Mister Henry développait un peu ses idées autour des notions de liquidités imparfaites.
C’était plus un work in progress, une genèse du concept qu’autre chose
Ce qui est amusant, c’est le décalage entre un discours théorique très costaud qui laisse entrevoir un gros jeu économique, genre Advanced Age of Steam, et la réalité d’un petit jeu, qui a l’air malin et bien conçu (d’après les premiers retours), mais qui est modeste, reposant sur une idée toute simple.
En tout cas ça paraît bien sympathique pour initier des non-initiés au jeu de gestion type cubes en bois via cartes, simplicité, efficacité et modicité…
Même si on peut trouver le texte et la partie théorique un peu gonflés par rapport à l’oeuvre ludique qui en “résulte”, je trouve toujours ça très intéressant. Sinon, au niveau liquidité imparfaite, on pourrait aussi citer parmi bien d’autres le jeu Alhambra. Bref, Les Bâtisseurs ne sont pas précurseurs dans ce domaine, ce qui n’enlève rien à leur qualité et accessibilité.
Salut.
Bien sur que le passage cité est très verbeux, et je m’en excuse. C’est un passage tiré d’une explication sur le forum (ici même). L’idée du système est venue suite à une réminiscence d’une lecture sur les conceptions de la monnaie. C’est simplement de là que tout est partie. Après il est évident que le jeu est un “petit jeu” sans prétention. En fait il s’agissait plus de revenir sur la démarche que sur le jeu lui même.
En tout cas, l’ergonomie a l’air bien pensée: les personnages qui s’empilent sur la droite de la construction en cours: à la fois très lisible et ça prend pas des tonnes de place sur la table.
Puisqu’on est au moyen-age, peut-on construire un catapulte pour pourrir la construction d’un autre joueur?
Voilà c’était la question con du dimanche matin après une nuit bien trop courte…
Salut.
Pour le moment, parmi les machines, il ne se trouve pas de catapulte et encore une fois c’est un choix : toutes les tentatives d’apport d’interaction directe et belliqueuse impactent trop fortement le temps de jeu pour respecter le triptyque Petit jeu, Petit Prix, Petite boîte. Encore une fois, ce premier opus est épuré au maximum : seul le core-system demeure. 5 minutes doivent suffire à en assimiler le fonctionnement complet. Tout ce qui est susceptible de complexifier le jeu ne peut apparaître que dans une seconde phase, et ce pour une raison très simple : cela réserve le jeu à des profils spécifiques de joueurs, disons plus aguerris. La principale critique qui sera émise portera donc sur le faible degré d’interaction et c’est tout à fait justifié… mais encore une fois ça résulte d’un arbitrage murement réfléchi. Désolé d’avance pour la vacuité de l’expression qui suit, mais je dirais que “chaque chose viendra en son temps”. Aujourd’hui, lorsqu’on se pose à une table, café en main, avec les frère Bombyx, on s’accorde tous sur un point : la recherche de pérennité. Chaque jeu nous demande tellement de temps, d’énergie et d’argent dans sa conception, que cela ne nous intéresse pas de le voir disparaître trois mois et/ou 3000 exemplaires plus tard. Du coup nous avons opté pour un travail sur le long terme autour de nos titres communs. La surabondance de titre est parfois extrêmement délétère pour le secteur et nous avons décidé d’aller vers un modèle qui nous semble plus vertueux, le suivi d’un titre plutôt que l’essaimage à tout va. Voilà, tout ça pour dire qu’il n’y aura pas de catapulte dans ce premier opus .
Merci pour ces informatins précieuses. Ceci sans oublier que des cartes augmentant l’interaction (à effets négatifs) auraient pour conséquence, au delà de la complexification, d’allonger la durée des parties afin d’atteindre le seuil de points de victoire.
brokoli dit:MOz dit:Je viens de lire la news. Ce n'est pas un peu too much d'invoquer la théorie de la monnaie de Keynes et notamment le concept de liquidité imparfaite pour un jeu où le principe de base est juste qu'on ne rend pas la monnaie?
Je trouve aussi, mais c'est marrant et intéressant donc je préfère me taire
Re.
C'est un point intéressant sur lequel j'ai vraiment besoin de revenir, même si pour le coup on s'éloigne un peu du sujet (je suis très prompt à la digression). si je switch souvent de vocabulaire (entre le "pute, pute, pute, salope!!!" de Crazy Mix et l'approche économiste des Bâtisseurs), ce n'est jamais pour teinter le discours écrit d'un pseudo vernis intellectualisant (l'histoire de la culture et de la confiture) mais simplement parce que le premier est de l'ordre du spontané quand le second permet de prendre un peu de distance et du coup de déplacer le curseur vers l'analyse. Quand on parle d'un jeu (quel qu'il soit), on peut en parler tel qu'il se donne à saisir (c'est le regard classique qu'on lui porte) ou on peut tenter de lui porter un regard (et un discours) plus analytique et distancié. Je vais prendre un exemple qui m'est très familier, le poker. Voici un jeu dont les règles sont assimilables en 2 minutes montre en main, et qui peut sans le moindre problème faire l'objet d'un regard spontané. Et pourtant le jeu, si con soit il, fait l'objet de milliers de pages d'analyses et de théories, parfois extrêmement fines et documentés (je vous invite à lire David Slansky, ou le plus récent "Mathematics of poker", qui n'est autre qu'une approche universitaire du jeu).
Je fais assez peu de jeux et pourtant je ne fais que ça. Du coup je passe mon temps à réfléchir à des systèmes. Du coup, quand j'ai l'occasion de m'exprimer sur le pourquoi du comment, j'avoue que je me laisse parfois beaucoup aller, parce que c'est jouissif de pouvoir partager tout ce qu'on gardait en tête pour soi-même et pour le pauvre Erwan. Disons qu'à chaque sortie je me retrouve un peu dans la position de ces parents qui montrent à tout le monde la vidéo sur leur téléphone de leur petit dernier en train de si bien shooter dans un ballon. Ils nous saoulent mais on les excuses

fred henry dit:Aujourd'hui, lorsqu'on se pose à une table, café en main, avec les frère Bombyx, on s'accorde tous sur un point : la recherche de pérennité. Chaque jeu nous demande tellement de temps, d'énergie et d'argent dans sa conception, que cela ne nous intéresse pas de le voir disparaître trois mois et/ou 3000 exemplaires plus tard. Du coup nous avons opté pour un travail sur le long terme autour de nos titres communs. La surabondance de titre est parfois extrêmement délétère pour le secteur et nous avons décidé d'aller vers un modèle qui nous semble plus vertueux, le suivi d'un titre plutôt que l'essaimage à tout va.
C'est un discours qui revient de plus en plus dans la bouche des professionnels. Et je comprends que ce doit être un peu frustrant de voir sa création ne plus être sous le feu des projecteurs après seulement quelques mois, voire un an, de ventes. J'imagine que parfois on doit avoir l'impression de bosser un peu pour rien (et je ne parle pas des jeux qui se plantent). Malheureusement, je crois que c'est un phénomène général. Tout va toujours plus vite. Il y a la même problématique dans le cinéma où les exploitants se plaignent depuis plusieurs années du raccourcissement extrême de la durée de diffusion des films en salle (4 à 5 semaines la plupart du temps).
J'ai quand même une question (sûrement un peu naïve) : vendre 3000 jeux à 45 € n'est-ce pas l'équivalent de vendre 9000 jeux à 15 € en terme de marge?
fred henry dit:Je fais assez peu de jeux et pourtant je ne fais que ça. Du coup je passe mon temps à réfléchir à des systèmes. Du coup, quand j'ai l'occasion de m'exprimer sur le pourquoi du comment, j'avoue que je me laisse parfois beaucoup aller, parce que c'est jouissif de pouvoir partager tout ce qu'on gardait en tête pour soi-même et pour le pauvre Erwan. Disons qu'à chaque sortie je me retrouve un peu dans la position de ces parents qui montrent à tout le monde la vidéo sur leur téléphone de leur petit dernier en train de si bien shooter dans un ballon. Ils nous saoulent mais on les excuses.
Perso ca ne me saoule pas, au contraire ; l'apparente simplicité et fluidité du produit final ne sort à mon avis pas comme ca un matin en se levant, et c'est très sympa de nous avoir fait partagé comment toi tu as élaboré la mécanique du jeu

Pour faire court : merci Fred Henry pour tous ces commentaires, c’est vraiment très intéressant .
Il serait d’ailleurs sympa que d’autres auteurs nous fassent part de leur cheminement, de la page vierge à la règle finalisée… sorte de game designer diary ou postmortem du projet (avec ce qui a marché, mais aussi ce qui n’a pas marché, etc. !
fred henry dit:la recherche de pérennité. Chaque jeu nous demande tellement de temps, d'énergie et d'argent dans sa conception, que cela ne nous intéresse pas de le voir disparaître trois mois et/ou 3000 exemplaires plus tard
Ça me fait penser à un article récent dans Plato où il mettait en évidence un phénomène : un jeu peut être davantage sous les projecteurs et sur le devant de la scène AVANT sa sortie grâce aux salons, aux forums, au buzz, aux articles, aux vidéos et autres images distillées par l'éditeur, que APRÈS sa sortie, où déjà la lumière se fait sur un autre titre à venir.
Cher Monsieur MOz,
MOz dit:Je viens de lire la news. Ce n’est pas un peu too much d’invoquer la théorie de la monnaie de Keynes et notamment le concept de liquidité imparfaite pour un jeu où le principe de base est juste qu’on ne rend pas la monnaie?
C’est vrai que l’on peut regarder une toile blanche de Kasimir Malevitch et se dire “bah, c’est une toile blanche” et s’en contenter, mais on peut aussi aimer tout le verbe qui replace les choses dans le contexte et la démarche

Bien à vous de cordialement
Monsieur Phal
Monsieur Phal dit:C'est vrai que l'on peut regarder une toile blanche de Kasimir Malevitch et se dire "bah, c'est une toile blanche" et s'en contenter, mais on peut aussi aimer tout le verbe qui replace les choses dans le contexte et la démarche
Ce n'est quand même pas tout à fait pareil. L'abstraction a été une rupture radicale dans l'histoire de la peinture. Elle devait forcément s'accompagner d'une théorie, pour être comprise et appréciée. Les bâtisseurs, ce n'est pas une révolution. Comprenons-nous bien : ça n'enlève rien aux qualités du jeu. Mais ça reste un jeu d'optimisation, dans lequel "on ne rend pas la monnaie", comme il y en a eu déjà pas mal (Alhambra par exemple). C'est juste l'ampleur du bagage théorique mobilisé qui me surprend et m'amuse.

Mr Fred Henry ne connait peut être pas de blagues de Jean Roucas
Monsieur Fred, merci beaucoup pour ces interventions et explications.
J’avoue que je suis un peu largué sur la partie théorique concernant les systèmes monétaires, mais ça reste instructif et surtout le reste concernant la démarche de création et la volonté de pérennité m’interpelle et permet de mieux comprendre le l’ensemble de ton travail et la cohérence qu’il y a derrière.
Et puis j’aime bien l’idée d’avoir un jeu qui peu évoluer avec des modules complémentaires, contrairement aux extensions classiques. Un peu comme au cinéma où une trilogie est pensée dès le début, contrairement aux suites qui sont faites parce que le film a bien marché (rien de péjoratif là dedans, il y a de très bonnes suites et de très bonnes extensions, mais quand l’ensemble est pensé dès le début, ça n’a pas la même saveur).
Je maintiens cependant mon intérêt pour une version politiquement incorrecte des Batisseurs avec travail au noir, approvisionnement douteux en matières premières et pot de vin pour faire avancer les chantiers plus vite…
MOz dit:
J'ai quand même une question (sûrement un peu naïve) : vendre 3000 jeux à 45 € n'est-ce pas l'équivalent de vendre 9000 jeux à 15 € en terme de marge?
Hum... à peu de choses près je dirais que si.
Crystalboy dit:
Je maintiens cependant mon intérêt pour une version politiquement incorrecte des Batisseurs avec travail au noir, approvisionnement douteux en matières premières et pot de vin pour faire avancer les chantiers plus vite...
J'aimerais bien aussi. En fait (et là on ne parle plus des Bâtisseurs), j'aimerais que le JDS puisse se permettre plus de chose qu'il ne se l'accorde actuellement (auto censure ou réel risque économique pour les éditeurs?). J'ai toujours trouvé très paradoxal que le jeu vidéo puisse traiter de thèmes beaucoup plus adultes que la frange la plus adulte du JDS.
Cher Monsieur MOz,
MOz dit:Monsieur Phal dit:C’est vrai que l’on peut regarder une toile blanche de Kasimir Malevitch et se dire “bah, c’est une toile blanche” et s’en contenter, mais on peut aussi aimer tout le verbe qui replace les choses dans le contexte et la démarche
Ce n’est quand même pas tout à fait pareil. L’abstraction a été une rupture radicale dans l’histoire de la peinture. Elle devait forcément s’accompagner d’une théorie, pour être comprise et appréciée. Les bâtisseurs, ce n’est pas une révolution. Comprenons-nous bien : ça n’enlève rien aux qualités du jeu. Mais ça reste un jeu d’optimisation, dans lequel “on ne rend pas la monnaie”, comme il y en a eu déjà pas mal (Alhambra par exemple). C’est juste l’ampleur du bagage théorique mobilisé qui me surprend et m’amuse.
Ha, je crois que vous n’avez pas compris le sens de mon propos, il n’était pas de comparer l’art abstrait à la création ludiqu

Ce n’est pas parce que vous estimez que le jeu est simple et pas révolutionnaire que d’autres n’ont pas envie de comprendre le cheminement de la pensée de l’auteur, même si celui a du vocabulaire…


Bien à vous de cordialement
Monsieur Phal