Molly House, kézako ?
Molly House c’est le petit dernier de Cole Wehrle, en partenariat avec Jo Kelly. En fait si on rend à César ce qui lui appartient ça serait plutôt le jeu de Jo Kelly qui a été développé dans un second temps avec Cole Wehrle… Ils se sont rencontrés dans le cadre des Zenobia Awards, un prix lancé par des auteurs de jeux dont fait partie Cole Wehrle, l’idée étant à la fois de récompenser des jeux offrant une dimension historique créés par des auteurs appartenant à des catégories sous-représentées parmi les auteurs de jeux (des auteurs femmes, “racisés” ou LGBT) et de mettre en lien des auteurs “émergents” avec des “confirmés” et c’est ce prix qui permit à Kelly de rencontrer Wehrle. Le jeu n’existe pour l’instant qu’en VO et est publié par Wehrlegig games, la maison d’édition créé par Cole et Drew Wehrle qui se concentre sur les jeux à sujet historique et qui a déjà édité Pax Pamir et John Company.
Niveau thème, on est dans le milieu queer à Londres au XVIIIème siècle, les “Molly House” étant des lieux de rencontre entres hommes homosexuels ou non binaires à une époque où ils risquaient la potence.
Comment ça marche ?
C’est un jeu de cartes classique avec 4 couleurs allant de 1 à 9 et des cartes “Menaces” : les Cavaliers et les “Rogues” (= les Roi) ainsi que des cartes “Mollies” (nom utilisé à l’époque pour désigner des hommes efféminés) : les Valets et les Reines eux aussi présents dans les 4 couleurs.
Il y a aussi un plateau de jeu avec 4 Molly House correspondant chacune à une couleur de carte.
On va se promener en ville en jetant deux dés (on pourra en choisir un résultat ou l’addition des deux)…
…et en fonction des lieux dans lesquels on se rendra, on va notamment pouvoir :
- piocher une carte dans la rivière qui correspond à la couleur de la Molly House dans laquelle on est ou à laquelle on est adjacent,
- tenter de gagner de la joie (= des points de victoires) et en faire gagner en organisant des fêtes si on est dans une Molly House,
- “draguer” c’est à dire ajouter une carte à notre “réputation” (les cartes posées devant nous : 1 carte d’une couleur = 1 points de réputation dans la Molly House correspondante) et piocher plus ou moins de cartes en fonction de notre réputation dans la “Molly House” adjacente,
- acheter des objets qui vont nous donner divers bonus si on est dans une échoppe,
- “accuser” un joueur qui est sur le même emplacement que nous (en gros tenter de débusquer les traîtres pour gagner de la joie… ou en perdre si on se trompe… ), j’y reviendrai…
…ou tout simplement piocher une carte face cachée.
L’organisation des fêtes, centrale dans ce jeu, consiste à réussir des combinaisons de cartes collectivement en essayant théoriquement de faire en sorte que nos cartes entrent dans la meilleure combinaison possible et nous rapporte le plus possible de “joie” (c’est à dire des points de victoires). On tire une carte de la pioche (= “une carte de la Communauté”), chaque joueur joue une carte ou passe, puis on refait un tour et on regarde la meilleure combinaison commune de 4 cartes. Ce sera par exemple 2 cartes de Jean Luc, 1 carte de Jean Michel et 1 “carte de la Communauté” (= de la pioche). Puis chaque participant à cette combinaison va gagner des points de joie en fonction des cartes qu’il a joué et qui ont été sélectionnnées. (en fait pas systématiquement, les cartes “Menaces” n’en font jamais gagner et ont des valeurs spéciales pour les combinaisons : les Cavaliers valent 0 et les “Rogues” valent la valeur de notre choix, on la fixe en utilisant un dé à la pose).
On est donc dans de la coopétition sur ce système de fêtes où on peut jouer à la parlante (ou pas) et où, au-delà des points bruts que l’on va gagner il y a aussi des implications futures intéressantes car toute carte de la Communauté (= de la pioche) faisant partie de la combinaison va faire avancer le “marqueur de joie communautaire” et donc favoriser la survie de la communauté, j’y reviendrai… mais surtout toutes les cartes (“Menaces” ou autres) de la combinaison sélectionnée partent dans la “Safe Pile” tandis que toutes les cartes non sélectionnées partent dans la pile des “Ragots”…
Cette fameuse pile des Ragots sera aussi approvisionnée par d’autres moyens. Elle est dangereuse car elle pourra mener à l’accumulation de preuves contre les “Molly House” jusqu’à ce que celles-ci se fassent perquisitionnées… et là gare aux joueurs qui se seront trop fait remarquer dans la Molly House repérée car la “Société pour la réforme des moeurs” nous surveille et rêve de nous voir balancer au bout d’une corde… Comment ça marche ? En fin de semaine (c’est à dire quand un joueur commence son tour et que la pioche est vide) on prend les 2/3 de la pile des ragots et on la révèle : pour chaque carte “Menace” (= les Cavaliers et les “Rogues”) on compte le nombre de cartes de la même couleur ce qui génère autant de “preuves” (des cubes colorés) contre la Molly House correspondante. Quand cette Molly House possède 7 “preuves”, elle est immédiatement perquisitionnée c’est à dire qu’on enlève ses 7 cubes et qu’on regarde le joueur ayant la plus grande réputation sur cette Molly House pour lui donner une carte “inculpation majeure” et celui avec la seconde réputation la plus forte récupère une carte “inculpation mineure”…
En fin de partie le joueur qui possède cette inculpation jette un dé 10 s’il n’a pas réussi à s’en débarrasser, sur 0 à 5 il perd 6 points de joie, sur 6 et + il est pendu et a perdu.
Une fois qu’un joueur est inculpé, il choisit l’un de ses 4 jetons de rencontre et le place face cachée sur la Molly House la plus proche de son pion joueur. Chaque joueur a 3 jetons “Loyal” et un jeton “Informateur”. S’il a placé son jeton “Informateur” sur une Molly House il est devenu un indic’ pour la Société pour la réforme des moeurs et doit faire en sorte que cette Molly House soit perquisitionnée.
Il y a 3 fins possibles :
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Soit la Communauté a survécu (parce que le marqueur de joie communautaire a dépassé un certain seuil). Et, dans ce cas-là, les informateurs de Molly House perquisitionnées défaussent leurs inculpation mais ceux qui n’ont pas réussi en gagnent une supplémentaire… Puis on compte les points de joie de chacun, les joueurs ayant des cartes “inculpations” doivent les appliquer et ça peut faire très mal… (dans le pire des cas on peut finir pendu : game over). Le joueur ayant le plus de points de joie l’emporte.
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Soit la Communauté a été infiltrée (parce qu’une même Molly House a été perquisitionnée 2 fois ou que les 4 Molly House ont été perquisitionnées), dans ce cas là, tous les joueurs n’étant pas des informateurs sont pendus et perdent. Les informateurs perdent tous leurs points de joie mais gagnent des points en fonction du nombre de preuve de la Molly House sur laquelle ils informent (2 pts par preuve) et de la valeur de réputation des autres joueurs à cette Molly House (2 pts par réputation). Ils devront également perdre des points en fonction de leur réputation sur toutes les Molly House.(-1 pt par réputation). Celui qui a le plus de points l’emporte.
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Si la partie dure 5 semaines et qu’aucune des 2 premières fin de partie n’a été déclenchée, tous les joueurs ont perdu.
Il y a d’autres nuances et mécaniques qui viennent enrichir le jeu mais l’essentiel est là.
Le coeur du jeu n’est pas très compliqué mais comme souvent avec Werhle les conséquences de chaque choix ne sont pas si simple à soupeser et les dilemmes en cours de partie seront nombreux :
Lors de cette fête, est ce que je cherche à marquer un maximum de points de joie (= les points bruts si la Communauté Survie mais 0 points si elle est infiltrée et potentiellement des points pour les autres) ? Ou/et est ce que je joue des cartes qui, à priori, ne vont pas rentrer dans une combinaison pour les envoyer dans la pile des “Ragots” ? Voir est ce que je peux mettre la pression pour que mes cartes soient sélectionnées et que les autres joueurs se limitent pour ne pas qu’elles partent dans la pile des “Ragots” ? Et quelles cartes sont déjà passées ? Quelles sont mes chances de participer à une combinaison intéressante ? Je joue “à la parlante” pour tenter une alliance de circonstance sur cette fête ? Mais en même temps est ce que je ne m’expose pas un peu trop en donnant mes intentions ? Est ce que je tente d’aller chercher et utiliser tel ou tel objet pour tenter de faire basculer une future fête en ma faveur ? Est ce que je tente de devenir un informateur une fois que je me prend une inculpation ? Ou est ce que je tente le bluff en cherchant à faire croire que je suis un informateur pour faire perdre des points à un joueur qui va m’accuser ? Mais du coup je risque gros si la Communauté survie (on applique l’inculpation) et je risque gros si elle est infiltrée (il faut être un informateur pour rester dans la partie). Peut être d’abord bluffer puis tout faire pour me reprendre une inculpation plus tard dans la partie ? Et la partie elle tend vers quoi ? La survie de la Communauté ou son infiltration ? Et si ça semble aller vers l’infiltration, où est ce qu’il vaut mieux que j’informe ? Et aussi où est ce qu’il vaut mieux que je limite ma réputation ? Et mes adversaires ils semblent chercher quoi ? Et ils ont pris quelles cartes dans la rivière ? Et ils ont de la réputation sur quelle Molly House ? Du coup avec qui je m’allie temporairement pour que ma fête réussisse ? Et s’il/elle refuse ? Et dans quelle couleur de Molly House je prend le risque de monter en réputation ? Avec qui j’ai des intérêts commun ? Etc, etc… (et là c’est le niveau de réflexion débutant sur le jeu ^^)
Autant de questionnements qui montrent, s’il y avait besoin, que le jeu est bien plus riche qu’il ne peut sembler au premier abord. La prise en main demande d’ailleurs un petit effort de compréhension des subtilités de règles.
Et en jeu ça donne quoi ?
On en a fait 2 parties à 3 joueurs où l’on découvrait tous.
Une première partie où on tâtonne évidemment : mes 2 camarades collectionnent les inculpations, ils sont devant moi en joie mais si leurs inculpations sont effectives à la fin de la partie ils vont perdre beaucoup de points voir se retrouver pendus… Je compte là-dessus et vais tenter d’accélérer la fin de partie en “draguant” à tout va : une action qui permet entre autre de piocher et de précipiter la fin de semaine pour peu qu’on ait une réputation un peu conséquente dans la zone où l’on “drague”. Je tente, par la même occasion, de récupérer des cartes intéressantes pour lancer de belles fêtes. Sauf que, erreur de débutant, je n’avais pas vu qu’il ne restait qu’une “Molly House” à perquisitionner pour que la Communauté soit complètement infiltrée… Mon jeu à ce moment aurait du être de tout faire pour que les cartes menaces de cette couleur partent dans la “safe pile” et d’organiser des fêtes pour les écarter. Mais comme j’avais mal compris cet enjeu ce qui devait arriver arriva : la Communauté est infiltrée, je me retrouve pendu, mes 2 camarades étaient des taupes et vont être récompensés pour cela. Celui des 2 qui aura le mieux balancé l’emportera… En fait dans notre cas, ce sera celui qui avait le moins de réputation dans la Molly House où ils étaient informateurs (ils avaient choisi la même et comme on score la réputation des autres joueurs… “Regardez c’est pas moi, c’est lui !”).
Une deuxième partie qui fut rapide où l’on fera beaucoup de fêtes. C et moi démarrons chacun avec une Molly, ce qui peut nous faire gagner beaucoup de points de joie si on ajoute à notre réputation des cartes de sa couleur. C part fort en points de joie et au niveau de sa réputation avec la “Molly House” jaune, je vais m’arranger pour balancer une carte menace jaune et un max de cartes jaunes dans la pile de ragots et ça fonctionnera : la “Molly House” sera vite perquisitionnée et C recevra une inculpation majeur, hé, hé… Lors des fêtes on jouera bien plus à la parlante et je tirerai régulièrement mon épingle du jeu, en collaborant notamment avec D, pour que l’on puisse faire partir nos cartes menaces rouges dans la “safe pile” vu qu’on a tous les deux une certaine réputation dans cette couleur… (petit rappel : quand on joue un “Rogue” à une fête, cette carte compte comme un joker auquel on donne la valeur de notre choix au moment où on la joue et les Cavaliers valent 0…). S’il y a une perquisition en rouge on se ramasse tous les 2 des inculpations donc autant faire partir ces cartes dans la bonne pile… On jouera beaucoup avec les cartes de la “Communauté” lors des fêtes (= les 2 cartes tirées de la pioche) ce qui fera avancer très vite le “marqueur de joie communautaire” et précipitera la fin de partie. D ronchonne car les deals que je lui propose ont tendance à m’avantager (normal ^^) et parce que je vais organiser la dernière fête avant que la fin de partie se déclenche alors qu’il allait en déclencher une… (il y a un bonus pour l’organisateur) On se tient tous les 3 aux points, C jette un dé pour savoir s’il perd beaucoup de points avec son inculpation majeure ou s’il est tout simplement pendu. Pas de chance, il est pendu. Je l’emporte de peu sur D.
En conclusion
Ce jeu nous a fait très bonne impression sur ces premières parties, c’est un jeu de cartes classique où il faut faire des combinaisons (mais ensemble), où la meilleure combinaison l’emporte, où il faut compter si possible les cartes et essayer de se rappeler ce qui est passé et dans quelle pile c’est passé… mais avec tout une mécanique où les coups de p*** seront légion, où des rôles cachées apparaissent et où suivant le type de fin de partie déclenchée les enjeux seront bien différent et où il y a une vraie finesse par rapport aux conséquences de chaque choix que l’on fera, conséquences qui ne sont pas forcément évidentes à cerner immédiatement… On sent bien la patte de Cole Wehrle et il y a un petit parfum de Pax Pamir mais dans un jeu de cartes plus classique, en plus simple et accessible également et pour des parties qui ne dépasseront pas l’heure une fois qu’on connaît le jeu amha. J’y rejouerai volontiers et je suis bien curieux de découvrir les finesses de ce jeu avec davantages de parties, je ne peux que le conseiller c’est intéressant, hautement interactif et original !
(Note : les photos sont des images éditeurs tirées de Molly House – Wehrlegig Games)