Sur le premier point, c'est évident. On se prend au jeu, il y a un aspect polémique que je ne nierai pas... On ne veux pas lâcher le morceau.
C'est pire si on tombe carrément dans l'orgueil : c'est déjà un danger en philosophie, à plus forte raison en théologie. JE parle, MOI, des choses importantes, JE les connais plus que vous (tout cela éventuellement camouflé derrière des politesses et assauts d'amabilité).
Le schisme d'Orient est un bon exemple d'assaut d'intransigeance (en plus le pape avait envoyé un type qui se méfiait des Grecs à Constantinople, la gaffe), et, je pense aussi, les réactions réciproques de Luther et du pape au début de la réforme.
Evidemment, je ne sais pas du tout si mes opinions sont les bonnes... Je m'appuie sur un échafaudage où la confiance en mes sources, les soupçons envers celles d'Eric, jouent un rôle important. Plus la foi dans le fait que l'Esprit saint guide l'Eglise.
Fondamentalement, plutôt que de connaître le fin mot de ce débat, je préférerais avoir plus de charité... mais je suis fait comme ça.
En tout cas, quitte à croiser le fer, Eric est un interlocuteur sympathique et valable, comme j'en ai peu rencontré.
Sur la deuxième remarque, senor commandante, je ne sais pas... tout ça ne me semble pas si complexe, en fait. Et si tu te fais une idée pure de Dieu, fort bien, je pense que c'est une caractéristique à retenir, mais tout se complique avec la rencontre avec l'histoire humaine. Le dieu des philosophes est plus simple dans son isolement.
El comandante dit:A vous lire je trouve cela très stimulant intellectuellement, presqu'une partie d'échecs, où l'on établit des liens, des oppositions, des points de force. Je me demande s'il n'y existe cependant pas deux risques :
- une ivresse - une vanité ? - du débat intellectuel, où le verbe se suffit à lui-même - au point d'en devenir "suffisant" ?
- une complexité rhétorique qui me semble finalement assez éloignée de l'idée initiale et pure que je pourrais avoir de Dieu.
Mais je ne suis qu'un humble mécréant, à l'esprit très ouvert, mais mécréant. D'où sans doute mon errement.
Pour le premier risque il faut quand même se rendre compte que tout celà n'est qu'un jeu, ce n'est ni une question de vie ou de mort, ni même un débat théologique de haut vol, on a très souvent sauté du coq à l'âne repris à notre compte des arguments que l'on reprochait à l'autre d'utiliser et on est passé d'un sujet majeur (Tradition et Ecriture) à un sujet annexe (Virginité perpétuelle). Alors comme dans tout jeu, il y de la vanité (au sens étymologique : c'est vain et gratuit), de l'ivresse et je retourne le compliment à Philippe, il est un partenaire (plutôt qu'adversaire) agréable aussi et je le rassure, je n'ai pas vraiment décelé dans cette petite passe d'arme de manque de charité. Laquelle, Dieu merci, n'a jamais empêché le débat d'opinion.
Maintenant, il faut se rappeler que pour moi, c'est aussi un aspect de mon ministère (pas le plus important mais ce n'est jamais inutile que d'aller revérifier des données que l'on pense un peu trop connaître, de reprendre les textes et ainsi de suite)...
Maintenant, quant à la complexité rhétorique (en fait très limitée, on a plus été dans l'étalage de culture que dans la vraie disputatio théologique), disons que la théologie à cela de commun avec la science, rendre très complexe l'objet d'étude tout en prétendant en montrer la richesse (en fait le véritable orgueil est là...)
Un dernier (?) petit clin d'oeil : Bien sûr que l'Esprit conduit l'Eglise... Entre autre à travers ce genre de discussion qui nous oblige finalement à un peu plus de modestie... Pour moi, c'est là la necessité de l'oecuménisme, des Eglises qui s'apostrophent, s'interrogent mutuellement sans pour autant perdre de vue qu'avec leurs différence elles ne sont qu'une...
Dans le fond, je suis d'accord avec toi. J'espère que nous pourrons continuer à parler de cela ensemble dans la Jérusalem céleste.
ouh là, ne le prenez pas mal, je ne disais pas cela pour interrompre la conversation... Je vous en prie continuez...
question : qui est la seconde Eve? Marie?
désolée, je reprends la lecture de vos débats et je pose mes questions au fur et à mesure. Lorsque Eric parle de sujets "censurés" comme les frères et soeurs du Christ, est-ce que cette mention n'apparait pas plutot dans des récits apocryphes, d'où une remise en question de la validité de l'information?
Philippe dit: La Bible, chacun la lit pourtant dans son histoire ; il n'y a pas de lecture nue. Tu peux la lire dans ton histoire individuelle : je préfère la lire dans celle de l'Eglise.
tu peux développer cette idée?
c'est quoi l'ERF?
edit : Eglise Réformée de France?
blancas' dit:désolée, je reprends la lecture de vos débats et je pose mes questions au fur et à mesure. Lorsque Eric parle de sujets "censurés" comme les frères et soeurs du Christ, est-ce que cette mention n'apparait pas plutot dans des récits apocryphes, d'où une remise en question de la validité de l'information?
L'E.R.F c'est bien l'Eglise Réformée de France (faut que je fasse gffe quand je parle en sigle)
Les frères et soeurs de Jésus sont clairement établis dans les 4 évangiles (Mat, XII 46 à 48 et XIII, 56, Marc III 31 à 33 et VI, 3, Luc VIII, 19, Jean II, 12 et VII 3 à 10, I Co IX, 5 (liste pas tout à fait exhaustive)(après la querelle prête sur l'interprétation des termes "frères et soeurs") En revanche, c'est la virginité perpétuelle qui trouve son fondement dans un évangile apocryphe (une sombre histoire de sage femme qui vérifie après la naissance que l'hymen n'a pas été brisé). Les protestants ne confèrent aucune autorité aux évangiles apocryphes
blancas' dit:Philippe dit: La Bible, chacun la lit pourtant dans son histoire ; il n'y a pas de lecture nue. Tu peux la lire dans ton histoire individuelle : je préfère la lire dans celle de l'Eglise.
tu peux développer cette idée?
J'espère ne pas déformer mais il me semble que Philippe reprend ici le principe de l'Eglise catholique romaine qui tout en encourageant la lecture personnelle de la Bible rappelle que l'interprétation de l'Eglise catholique (c'est à dire validée par le magistère des prêtres et des évêques) prime sur toute autre... Je ne déforme pas trop ?
C'est un des points forts de divergence entre catholiques et protestants
blancas' dit:question : qui est la seconde Eve? Marie?
Oui, c'est une notion qui est surtout utilisée par les orthodoxes je crois et qui n'est pas sans soulever certains problèmes d'image : Paul fait de Jésus le nouvel Adam, du coup cela fait un mariage entre fils et mère qui complique un peu les choses... (bien sûr ce n'est pas ce que veulent dire les orthodoxes, mais c'est un télescopage d'images assez cocasse). Même remarque quand on fait de Marie la figure de l'Eglise : le télescopage avec l'image de l'Eglise épouse du Christ (encore une image de Paul) donne un résultat assez bizarre...
A noter que Paul ne dit absolument rien de Marie dans ses lettres...
blancas' dit:question : qui est la seconde Eve? Marie?
Oui, c'est ça. Certains se livrent à des parallèles aparement séduisants mais qui en fait n'apportent pas grand chose, je trouve :
- par le premier Adam, l'humanité connaît le péché ; par le second Adame, l'humanité est lavée du péché (mais il n'y a pas de vraie correspondance entre le premier homme et le fils de Dieu, et entre les modes des deux personnages) ;
- Eve incite Adam à la révolte, en quelque sorte, le seconde Eve prépare le chemin à la rédemption.
Tout cela est joli, du point de vue de la représentation, mais bon... Comme le faisait remarquer Eric, il n'y a pas de retour dans le temps, et ce qu'il disait au sujet du Paradis s'applique aussi ici. L'histoire du monde n'est pas un grand cercle qui va se fermer bien gentiment.
Eric dit:blancas' dit:désolée, je reprends la lecture de vos débats et je pose mes questions au fur et à mesure. Lorsque Eric parle de sujets "censurés" comme les frères et soeurs du Christ, est-ce que cette mention n'apparait pas plutot dans des récits apocryphes, d'où une remise en question de la validité de l'information?
L'E.R.F c'est bien l'Eglise Réformée de France (faut que je fasse gffe quand je parle en sigle)
Les frères et soeurs de Jésus sont clairement établis dans les 4 évangiles (Mat, XII 46 à 48 et XIII, 56, Marc III 31 à 33 et VI, 3, Luc VIII, 19, Jean II, 12 et VII 3 à 10, I Co IX, 5 (liste pas tout à fait exhaustive)(après la querelle prête sur l'interprétation des termes "frères et soeurs") En revanche, c'est la virginité perpétuelle qui trouve son fondement dans un évangile apocryphe (une sombre histoire de sage femme qui vérifie après la naissance que l'hymen n'a pas été brisé). Les protestants ne confèrent aucune autorité aux évangiles apocryphes
Pas plus que les catholiques d'ailleurs. Ni l'un ni l'autre nous n'avons utilisé autre chose que les textes du canon dans la discussion, je pense (je veux dire par là la liste des textes reconnus comme étant authentiquement parole de Dieu, révélation, et dont la liste a été constituée progressivement). Cependant, des thèmes présents dans les apocryphes se retrouvent dans la culture chrétienne, soit qu'ils proviennent de la lecture des dits apocryphes, soit qu'ils aient emprunté un autre itinéraire inconnu (tradition orale, textes disparus).
Les frères du Christ sont effectivement cités dans les Evangiles canoniques.
Eric dit:blancas' dit:Philippe dit: La Bible, chacun la lit pourtant dans son histoire ; il n'y a pas de lecture nue. Tu peux la lire dans ton histoire individuelle : je préfère la lire dans celle de l'Eglise.
tu peux développer cette idée?
J'espère ne pas déformer mais il me semble que Philippe reprend ici le principe de l'Eglise catholique romaine qui tout en encourageant la lecture personnelle de la Bible rappelle que l'interprétation de l'Eglise catholique (c'est à dire validée par le magistère des prêtres et des évêques) prime sur toute autre... Je ne déforme pas trop ?
C'est un des points forts de divergence entre catholiques et protestants
Dit comme ça, c'est assez brutal ! Disons qu'il n'existe pas de lecture naïve de la Bible. Si tu fais lire la Bible par quelqu'un sans formation préalable, tu obtiens des résultats surprenants. Je pense par exemple à l'histoire du mouvement Rasta. A l'origine, des Jamaïcains ruraux vivant dans la misère lisent la Bible. Dans leur contexte, ils l'interprètent comme leur histoire, celle des Noirs emmenés en escalavage. Ils développent des équivalences : Juifs = Noirs, Babylone = monde des Blancs. On interprète la Bible en fumant la kaya (interprétation du roi David dans les fumées d'encens qui loue le Seigneur...). Finalement, on déclare qu'un certain prince éthiopien, le Ras Tafari, est Dieu vivant sans le savoir. Celui-ci monte sur le trône d'Ethiopie et devient empereur sous le nom de Haile Selassie. Voilà un exemple d'interpétation : elle révèle davantage sur le contexte jamaïcain que sur le texte de la Bible.
Donc, quand tu lis la Bible, tu peux lui faire dire n'importe quoi ou presque. Des lectures très variées (voire contradictoires) sont "autorisées", je veux dire intéressantes, mais certaines n'ont ni queue ni tête. Pour comprendre la Bible, il faut déjà connaître son contexte d'écriture : et Eric, comme tu peux le remarquer, parle beaucoup du contexte juif. Mais la Bible n'est pas née du jour au lendemain. Elle a été élaborée par les communautés et des auteurs variés, qui s'y sont mis à plusieurs pour écrire les livres dans la plupart des cas (il y a peu de cas où on trouve un "auteur" au sens moderne du mot). Donc, ce qu'en disent les catholiques, c'est que la Bible se comprend dans la communauté, puisqu'elle a été générée par la communauté. Par communauté, je désigne aujourd'hui l'Eglise. On essaie donc de la lire ensemble, en tenant compte des auteurs ecclésiastiques du passé, qui parfois se contredisent, etc. La lecture personnelle est donc en fait prise dans un réseau de lectures croisées de l'Eglise d'aujourd'hui et d'hier. Mais cela ne signifie pas qu'il y a un sens unique pour chaque texte : comme dit le Talmud, "la Torah est comme une enclume dont on fait jaillir des milliers d'étincelles."
Tout cela est très vrai mais il y a d'autres moyens de lutter contre une lecture naïve ou fondamentaliste que de proposer une lecture officielle... Bref, la position catholique romaine me semble ressortir autant de la politique que de la necessité.
Quoiqu'il en soit, je suis cependant d'accord pour dire qu'il est dangereux de lire tout seul dans son coin et qu'il est enrichissant de confronter sa lecture à celle des autres...
Eric dit:Tout cela est très vrai...
Ah, je suis content que tu sois totalement d'accord avec moi...
Blague à part, si on parlait plus ainsi, il y aurait moins de problèmes dans l'histoire chrétienne.
Philippe dit:
Blague à part, si on parlait plus ainsi, il y aurait moins de problèmes dans l'histoire chrétienne.
Ben pour moi, c'est à cela que resemble le dialogue oecuménique : maintenant on sait qu'on est d'accord sur l'essentiel (et c'est sans doute le plus difficile à croire), et on discute sur le reste, on s'interpelle et on s'interroge sans concession mais fraternellement... C'est malheureusement très difficile tant certains semblent voir dans le moindre désaccord une cause de blessure profonde... Mais quand on trouve des gens ouverts et disposés à un véritable dialogue courtois sans être irénique, c'est un régal...
explications très claires. parfait!
Ces échanges (certes d'une grande profondeur à mes yeux d'impie) auraient une fin ? mais mais c'est que j'm'y étais habitué moi, à ma turgescence !
Christophe dit:Ces échanges (certes d'une grande profondeur à mes yeux d'impie) auraient une fin ? mais mais c'est que j'm'y étais habitué moi, à ma turgescence !
Ben faut demander à Blancas' si elle a d'autres question théologiques, après, on s'occupe du reste