Je regarderai, par curiosité.
Pour aller plus loin dans le débat, qui aurait appuyer sur le bouton et jusqu’à quel voltage, comme ça ?
Déjà, je me dis que le courant qui passe par chez moi est 220V, certainement pas avec la même intensité que dans le jeu, mais juste ça serait un pallier qui me semblerai difficilement franchissable. De plus si je compare les 20 petits volt de départ avec une pile, disons celle de 9V je sais que même si on en meurt pas ça picote un peu si on la met sur la langue, alors au dessus de 20V me parait déjà trop pour qu’une émission me demande d’appuyer sur le bouton, et vous ?
Dans l’expérience de Milgram, le voltage n’est pas toujours indiqué sur les tirettes.
Il est intéressant de remarquer que si on fait prendre conscience au sujet que les tirettes qu’il pousse sont dangereuses (en mettant des symboles danger, des alertes, etc), alors le pourcentage de meurtriers baisse. Idem si le voltage/ampérage est indiqué.
Logique, puisqu’on fait à nouveau prendre conscience au sujet que la personne qu’il punit est un être vivant.
Ensuite, la question posée dans le vague n’a pas de sens. “Qui appuierai sur les boutons et jusqu’où ?” ne peut se mesurer qu’à l’aune de conditions clairement établies.
greuh
NB : mon coupage de cheveux en quatre m’oblige à préciser qu’un voltage seul n’a pas de sens non plus. Tu peux tuer avec 2V, tu peux vivre avec 200000V. Ce n’est que la Puissance qui a un sens (voltage multiplié par ampérage).
greuh dit:Il est intéressant de remarquer que si on fait prendre conscience au sujet que les tirettes qu'il pousse sont dangereuses (en mettant des symboles danger, des alertes, etc), alors le pourcentage de meurtriers baisse. Idem si le voltage/ampérage est indiqué.
Logique, puisqu'on fait à nouveau prendre conscience au sujet que la personne qu'il punit est un être vivant.
À ce que j'ai vu des bandes-annonces, le voltage est indiqué sur les manettes dans l'émission de France 2. Il y a aussi des panneaux "choc violent", "choc très violent", etc. Apparemment cela n'a pas freiné grand monde.
Tiberias dit:greuh dit:Il est intéressant de remarquer que si on fait prendre conscience au sujet que les tirettes qu'il pousse sont dangereuses (en mettant des symboles danger, des alertes, etc), alors le pourcentage de meurtriers baisse. Idem si le voltage/ampérage est indiqué.
Logique, puisqu'on fait à nouveau prendre conscience au sujet que la personne qu'il punit est un être vivant.
À ce que j'ai vu des bandes-annonces, le voltage est indiqué sur les manettes dans l'émission de France 2. Il y a aussi des panneaux "choc violent", "choc très violent", etc. Apparemment cela n'a pas freiné grand monde.
Certes, mais chaque élément est à prendre dans la vision cohérente d'un ensemble.
L'EXPERIENCE TELEVISEE EST SCIENTIFIQUEMENT ERRONEE
Ah, putain... Moi je parle des expériences REELLES. Ou chaque facteur a été testé SEPAREMENT.
Le fait que ce soit télévisé est un facteur.
Le choix du sujet est un facteur.
Que le sujet voie/entende/connaisse sa victime sont des facteurs.
Que le sujet voie/entende le public sont des facteurs.
Que le sujet soit dans la même pièce que la victime est un facteur.
Que le sujet connaisse l'autorité est un facteur.
Les vêtements et le statut (supposé) de l'autorité et de la victime sont des facteurs.
Le nombre d'autorités et de victimes sont des facteurs.
Ce qui est écrit sur le tableau est un facteur.
Les règles (ou non) qui imposent l'utilisation des "punitions" sont un facteur.
Que le sujet voie/entende/connaisse l'autorité est un facteur.
S'il y a plusieurs autorités c'est un facteur. Si elles sont en accord ou non est un facteur.
La récompense du sujet est un facteur, pareil pour la victime. La nature de la récompense (argent, prestige, "c'est pour la science", "continuez pour mes enfants", ...) est un facteur
Le fait que la victime, si elle est visible, présente des lésions, ou s'évanouit, ou signale des problèmes de cœur, c'est un facteur.
Etc. Etc.
L'émission n'a aucune valeur scientifique, n'ayant pas isolé un facteur précis en regard des expériences déjà menées. Mais elle donnera une idée générale, on va dire, en étant gentils...
greuh
greuh dit:
L'émission n'a aucune valeur scientifique, n'ayant pas isolé un facteur précis en regard des expériences déjà menées. Mais elle donnera une idée générale, on va dire, en étant gentils...
greuh
Je suis d'accord avec toi, il faut voir cette émission... comme une émission justement, et pas une expérience scientifique. Ceux qui regarderont savent que c'est des candidats qui ont postulé à une émission de télé, si on change le thème, et qu'on recrute les même candidats en leur disant que l'intérogé est l'ennemi et dans un cadre militaire ou un truc du genre, avec des décors et un matériel adapté, je suis certain qu'avec ce même panel les résultats seraient très différent

Avant d'entendre parlé de cette expérience, quand je me suis intéressé au chat de Schrödinger, je me suis posé une question toute simple :
Dans un couloir il y a 2 portes. Un animal est dans une pièce et ne doit pas sortir, le seul moyen pour sortir est de passer ces 2 portes.
Une personne A ouvre une porte
Une personne B ouvre une porte
L'animal sort, qui est responsable de sa fuite ? A ou B ?
Posez-vous la question avec tout ce qui peut intervenir comme paramètres, notamment spatio ou temporel. Si les 2 personne ouvrent leur porte simultanément, ou séparé d'un mois ?
Que peut-on vraiment en conclure d’un point de vue scientifique ?
L’avis de Laurent Bègue, professeur de psychologie sociale (université Grenoble 2) et membre de l’Institut Universitaire de France.
Paris, 1958. Un jeune homme de vingt-cinq ans appelé Stanley Milgram achève une recherche sur la conformité dans le cadre de sa thèse en psychologie sociale. Selon ses résultats, les Français se soumettraient peu à l’autorité par rapport aux Norvégiens, ce qui est mis au crédit de notre tradition contestataire…
Près de cinquante ans plus tard, le réalisateur Christophe Nick et son équipe invoquent le psychologue de Yale pour adapter en France ses études sur l’obéissance, dépeignant les participants comme des êtres malléables et soumis. Le pari de C. Nick : transposer l’expérience originelle dans un autre système, celui de la télé-réalité, avec son mauvais goût très sûr, son tapage et ses valeurs creuses. De nombreux aspects de l’expérience initiale ont ainsi été importés du sobre laboratoire de recherche sur l’apprentissage au plateau tonitruant du studio 107 de la Plaine St Denis.
Pour qui est familier des investigations du psychologue de Yale sur la soumission à l’autorité, il ne fera aucun doute que le réalisateur de la Zone Xtrême et ses associés ont travaillé leur sujet. Le faux tirage au sort, les injonctions standardisées de l’autorité, les plaintes et les hurlements de la victime qui regimbe, le dispositif d’administration des électrochocs, tout cela a été repensé et adapté de manière suffisamment rigoureuse pour qu’il soit permis d’ajouter aujourd’hui la Zone Xtrême dans la longue liste (plusieurs dizaines) des études réalisées dans le sillage de Stanley Milgram. Cela n’est pas rien. Faire renaître les enjeux d’une étude emblématique et aussi souvent citée n’est pas si facile : lorsque des psychologues anglais ont imprudemment tenté de reconduire pour une télévision anglaise « La prison de Stanford », une autre recherche classique réalisée durant les années 70 par Philip Zimbardo, le verdict attendu a fini par tomber dans les colonnes académiques du British Journal of Social Psychology quelques mois plus tard sous la plume réfractaire et acide du psychologue de Stanford : « I think that the way this research was conducted is not in the service of the best interests of our profession » (Zimbardo, 2006). Mais depuis décembre 1984, Milgram n’est plus là pour commenter ce qui est associé à son expérience la plus connue … La Zone Xtrême a-t-elle, quant à elle, été conduite au service des « meilleurs intérêts de la profession ? » Ce texte vise à apporter quelques éléments de réponse.
L’expérience a pu être réalisée grâce à la rencontre d’un auteur de documentaires pour la télévision, C. Nick, et d’une discipline académique enseignée aujourd’hui en France à l’université et dans les grandes écoles. Sans le cadrage de la science et la caution scientifique des autorités que C. Nick a souhaité associer à son projet, l’entreprise prenait évidemment le risque de ne pas se démarquer vraiment d’un certain genre de shows dont la télévision est précisément friande : la duperie gratuite, le cynisme et le spectacle tapageur des travers humains. Mais il faut le dire d’emblée et sans ambages : la Zone Xtrême évite cet écueil. Toutefois, à la lecture du compte-rendu de la démarche dans l’ouvrage L’expérience extrême (Nick & Eltchaninoff, 2010, Don Quichotte/Seuil), une impression se dégage : la dénonciation frontale de la télévision-réalité au moyen d’armes scientifiques n’a pas entièrement réussi à conserver l’attitude qui était celle du père des anthologiques expériences sur l’autorité. La difficulté réelle d’une « rupture épistémologique » à la Bachelard lorsque, dans le même élan, la télévision finance et s’auto-critique, expose la démarche à un certain nombre de tentations auxquelles le documentaire et l’ouvrage qui lui est associé ne résistent pas toujours. Pour résumer : le creuset où est élaborée l’étude, celui de la télévision, a posé son empreinte indélébile sur le résultat de la démarche et la mise en scène de sa restitution. Au risque de brouiller le message.
Une recherche de scoop ?
La tentation du scoop, tout d’abord, est très perceptible. Dans le livre qu’ils consacrent à l’expérience, l’auteur de TF1, un pouvoir (C.Nick) et son associé connu pour son Manuel de survie dans les dîners en ville (M. Eltchaninoff) adoptent parfois davantage que le style emphatique que l’on prête à la télévision. On peut ainsi lire : « là où, il y a 50 ans, un peu plus de 60% des sujets obéissaient au scientifique et allaient jusqu’au bout de la série de décharges, nous sommes aujourd’hui 81% à accepter d’administrer des chocs électriques » (p.12), ou encore « nous nous soumettons davantage à l’autorité d’une animatrice qu’à celle d’un scientifique » (p. 293), « nous obéissons davantage à la télévision qu’à n’importe quelle autre instance » (p. 293). Cette affirmation, qui laisse entendre qu’un résultat scientifique nouveau aurait été produit, n’est malheureusement pas étayée par les faits. En effet, la condition minimale d’une comparaison scientifique (la fameuse maxime « Ceteris paribus sic stantibus », toutes choses étant égales par ailleurs) n’est aucunement satisfaite. Dans la Zone Xtrême, il n’y a en effet pas de condition comparative où serait étudiée l’influence d’un scientifique. La simple juxtaposition des 60% observés chez Milgram aux 81% de la Zone Xtrême est un exercice de pure fantaisie : comment peut-on comparer l’influence d’un scientifique sur un comportement de soumission dans les années 60 à l’influence d’une animatrice flanquée d’un public d’une centaine de personnes et d’un staff de production cinquante ans plus tard ? On se surprend à songer qu’un « manuel de survie dans les recherches psychosociales » serait bien utile. Par ailleurs, d’autres études inspirées de Milgram ont obtenu des taux de soumission égaux ou supérieurs à ceux enregistrés par Milgram. Celles où un taux de 85% ou plus est observé sont loin d’être rares : par exemple Ancona & Pareyson (1985), Edwards et al. (1969), Holland (1967), Mantell (1971), Ring, Wallston & Corey (1970), Rosenhan (1969).
Par ailleurs, le fait que «l’inconsistance au sein de l’autorité » (une deuxième animatrice conteste le principe du jeu durant son déroulement, puis quitte le plateau après avoir été tancée par l’animatrice principale) ne fasse pas chuter substantiellement le taux d’obéissance alors que cela était le cas chez Milgram n’est nullement informatif d’une plus grande soumission à la télévision dans le cas de la Zone Xtrême. Réfléchissons. Que signifie exactement pour les participants qu’une animatrice singulière s’oppose à une autre, quand celle-ci conserve le soutien implicite de la foule et des techniciens, qui ne mettent pas en cause le jeu ? Difficile à dire. Il est certain que cette situation ne saurait être équivalente à celle où un scientifique s’oppose à un autre scientifique comme cela est le cas chez Milgram. On se trouve peut-être davantage face à une influence minoritaire (dont on sait que les effets sont rarement visibles à court terme) qu’à une contestation de l’autorité par une autre autorité. Zone Xtrême n’apporte pas d’information utile pour déterminer si l’autorité scientifique des années 60 est supérieure à l’autorité télévisuelle des années 2000. Pas de scoop, donc.
L’expérience hyperbolique
Un autre point commun entre la mise en scène scientifique de l’expérience et son domaine d’application télévisuel : ses accents hyperboliques. On pourra ainsi lire que selon les auteurs de la recherche, les résultats sont « hallucinants » (Nick et Eltchaninoff, 2010, p. 12), et frissonner avec eux lorsqu’ils prophétisent que « la kohlantisation de la société est en marche » (p. 251). « Nous obéissons plus qu’il y a 50 ans » (p. 218) est une autre exagération patente, d’ailleurs infirmée : une méta-analyse a pu montrer que le taux de soumission dans les recherches basées sur le paradigme de Milgram ne variait pas chronologiquement (Blass, 2000). Ces surenchères ne sont pas simplement verbales mais également visuelles. Dans les semaines ayant précédé l’émission, les extraits du documentaire sur internet, très visionnés, ou les photos ayant circulé, montraient un homme en train de hurler. Il était ainsi difficile pour le grand public de ne pas croire que les résultats mis en avant (81% de tortionnaires) étaient observés alors que le questionneur voyait souffrir sa victime. Ce n’était pourtant pas le cas : il n’y avait qu’un feed-back audio. La différence n’est pas anecdotique puisque la présence d’un feed-back visuel modifie fortement les taux de soumission à l’autorité, comme l’a montré Milgram lui-même dans ses variations expérimentales. Pourquoi une telle emphase concernant une réalité à laquelle les participants n’ont pas été confrontés ?
L’hypostase situationniste
Les résultats de la Zone Xtrême sont fidèles à la position situationniste défendue par Milgram dans les années 60. On peut lire qu’il est « presque impossible, même pour un psychologue social, de prédire a priori et avec succès qui a le plus de chances de désobéir qu’un autre » ; « on n’a pas encore découvert le gène de l’obéissance ni de la soumission » (Nick et Eltchaninoff, 2010, p. 191). Sans commenter la déconcertante allusion aux gènes (comme si le recours à des facteurs de différenciation interindividuelle équivalait à une position héréditariste), on s’étonnera que les modulateurs liés à l’expérience et la personnalité des participants ne soient pas mentionnés. L’un des proches collaborateurs de Milgram, Jonathan Elms, a pourtant publié avec son mentor un article très souvent cité sur les liens entre l’autoritarisme de droite et la soumission à l’autorité (Elms & Milgram, 1966).
Afin de clarifier la question des déterminants individuels de la soumission à l’autorité, près de 90% des participants à l’expérience Zone Xtrême (hommes et femmes de toutes professions) ont été recontactés en décembre 2009 et janvier 2010. Il leur a été demandé de répondre à un « sondage d’opinion » organisé par l’Université de Grenoble, d’une durée de 20 minutes et rémunéré 20 euros (Bègue, 2010b). Cette enquête ayant lieu plus de huit mois après leur participation à la fausse émission de télé-réalité, les participants n’ont pas fait le lien avec l’expérience. Afin de préciser les dimensions de la personnalité des participants, nous avons utilisé un modèle psychométrique en cinq facteurs développé par Paul Costa et Jeff Mc Crae (1992), de l’Université de l’Oregon, et aujourd’hui très employé dans la recherche internationale. Ces dimensions sont l’Amabilité, l’Esprit consciencieux, l’Ouverture, l’Extraversion et la Stabilité Emotionnelle. Pour un tiers des personnes, les conjoints ont également été sollicités, ce qui nous a permis de montrer une bonne convergence entre les évaluations. Les résultats ont montré que plus les répondants se caractérisaient par un niveau élevé d’esprit consciencieux, plus le niveau moyen des électrochocs était élevé. Par exemple, le tiers des sujets les moins consciencieux administrait en moyenne des chocs de 363 volts, tandis que le tiers des plus consciencieux administrait 460 volts en moyenne. Un résultat similaire a été observé auprès des personnes ayant un niveau élevé d’amabilité : ils tendaient à électrocuter davantage la victime, probablement pour éviter un conflit désagréable avec l’animatrice. Ces deux relations sont intéressantes, parce qu’elles montrent que ceux qui sont habitués à être aimables et organisés, et dont l’intégration sociale est irréprochable (on sait que ces deux traits sont liés à moins d’agressivité, d’usage de substances, de délinquance, de prise de risque sexuelle, à des compétences parentales plus élevées, plus d’ambition et un niveau d’étude plus élevé), ont davantage de difficultés à désobéir. Une autre relation a été observée entre l’inclination à expliquer les événements par des causes internes (penser, par exemple, que « ce sont mes propres actions qui déterminent ma vie ») et la soumission : dans l’échantillon masculin, plus les individus obtenaient un score élevé sur l’échelle d’internalité utilisée, plus les chocs administrés étaient élevés. Enfin, deux variables d’attitudes politiques ont eu une influence sur la soumission chez les femmes (les effets allaient dans le même sens chez les hommes, mais n’étaient pas statistiquement significatifs) : être politiquement de gauche conduisait à administrer en moyenne des décharges moins élevées. Par exemple, le nombre de chocs moyens des femmes de gauche était de 344 volts, contre 422 volts pour les femmes de droite. On a également pu constater un lien entre l’activisme politique et la rébellion: les personnes ayant déjà réalisé, ou étant disposées à réaliser divers actes de contestation sociale (signer une pétition, participer à un boycott, prendre part à une manifestation, participer à une grève sauvage, occuper des bureaux et des usines) refusaient plus rapidement de continuer que les autres (1).
La position situationniste adoptée par les auteurs de la Zone Xtrême est donc à relativiser. Selon une tradition importante en psychologie sociale, les comportements sociaux résultent de l’interaction Personne X Situation (Shoda et al., 1994). Cette équation est certes un peu plus compliquée que la « ciremollogie » situationniste selon laquelle l’individu serait malléable à l’envi (Pinkers, 2005), mais finalement plus fidèle aux recherches sur la soumission à l’autorité réalisées depuis les années 60 : dans un article fondamental publié dans la plus sélective revue de psychologie sociale, le Journal of Personality and Social Psychology, le principal biographe de Milgram démontrait que « contrairement à ce qui est souvent affirmé, les mesures de personnalité peuvent prédire l’obéissance » (Blass, 1991, p. 398).
Le défoulement ?
Finalement, l’aspect le plus novateur de l’expérience est celui sur lequel on manque le plus d’informations. Il s’agit des réactions du public. Il est probable que les analyses qui vont être réalisées dans les mois à venir apporteront des données importantes. Pour le moment, le lecteur doit se contenter d’un éclairage dérivé d’une théorie qui date de 1895 : celle de la psychologie des foules. Selon les auteurs de l’Expérience extrême, « l’ouvrage de le Bon, à l’orée du siècle fasciste et totalitaire, prend parfois des accents prophétiques. Il s’applique en outre parfaitement à ce qui se passe sur le plateau de la Zone Xtrême : perte de la responsabilité, abandon hypnotique à l’autorité, manifestation d’émotion… » (Nick & Eltchaninoff, 2010, p.239). L’idée selon laquelle la propagation de troubles sociaux serait comparable à une infection microbienne a été défendue par un médecin sociologue du début du XXe siècle, Gustave Le Bon. On la retrouve dans le titre du chapitre 13 de l’ouvrage, intitulé « l’autorité virale ». Selon les propres termes de l’auteur de la Psychologie des foules, dont se réclamaient Goebbels et Mussolini, toute assemblée serait en proie à une régression et une hypnose à grande échelle. L’une des idées développées par Le Bon est précisément que dans la foule, « tout sentiment, tout acte est contagieux ». Selon lui, cette contagion serait indifférenciée : « Les déformations qu’une foule fait subir à un événement quelconque dont elle est le témoin devraient, semble-t-il, être innombrables et de sens divers, puisque les hommes qui la composent sont de tempérament fort variés. Mais il n’en est rien. Par suite de la contagion, les déformations sont de même nature et de même sens pour tous les individus de la collectivité […]. La qualité mentale des individus dont se compose la foule ne contredit pas ce principe. Cette qualité est sans importance. Du moment qu’ils sont en foule, l’ignorant et le savant deviennent également incapables d’observation ». Bien que la Psychologie des foules ait été le livre de chevet de nombreux hommes d’Etats, ses thèses sont aujourd’hui très contestées. Ainsi, contrairement à ce qu’affirme Le Bon, les phénomènes collectifs affectent la population de façon inégale : la « contagion mentale » est sélective. Un premier exemple l’illustre : l’anthologique panique déclenchée par la radiodiffusion du roman de H.G. Wells, La Guerre des mondes, le 30 octobre 1938. Un tiers des six millions d’auditeurs de cette émission a cru à une véritable émission d’information et plus de la moitié de ces derniers ont été pris de panique, voulant fuir à la hâte et créant embouteillages et accidents dans cette fuite. Les réactions observées n’ont rien eu d’aléatoire : la panique a essentiellement touché certains auditeurs, notamment ceux ayant un faible niveau d’instruction, une personnalité fragile, un sentiment d’insécurité élevé et dont le domicile était situé à proximité de la localité du New Jersey où l’invasion de Martiens était supposée se produire. Dans une analyse sociologique de 341 émeutes urbaines, Clark Mc Phail, de l’Université d’Illinois, a montré par ailleurs que les violences ont généralement des objectifs politiques ou sont dirigées contre des groupes spécifiques ; ils ne constituent pas des « explosions » par disparition des valeurs du groupe. Quand il s’agit de lynchage, l’enquête, quand elle existe, révèle que les personnes les plus actives dans la foule sont en situation de précarité économique et sociale. Les recherches psychologiques récentes montrent que la participation collective a pour effet de pousser à l’extrême les attitudes et les comportements, et non de plonger l’individu dans une irrationnalité fusionnelle. Les personnes qui ont accepté de voir une émission de télé-réalité en tant que public ne peuvent être tenues pour un échantillon représentatif. Qu’elles s’adonnent ensuite à ce qu’elles sont peut-être venues chercher n’est donc pas judicieusement expliqué par l’invocation d’une hypnose collective.
Pour conclure
La Zone Xtrême peut être tenue pour une adaptation convenable de l’expérience de Milgram dans le domaine de la télé-réalité. Toutefois, les conclusions qui peuvent être tirées se limitent à la conformation dans un autre cadre des observations pionnières du psychologue de Yale. Un certain nombre d’affirmations scientifiquement injustifiées ou visiblement exagérées, ainsi que le recours à des schèmes théoriques qui ont évolué en psychologie sociale depuis 1960 (situationnisme radical de Milgram) ou 1895 (psychologie des foules de Le Bon) n’offre pas un cadre d’analyse des plus appropriés.
La Zone Xtrême est déjà une performance médiatique et restera probablement pour le grand public une référence comme l’est devenu le film d’Henri Verneuil, I comme Icare, adoubé par Milgram lui-même. Pour les scientifiques, il est probable qu’un certain nombre d’extrapolations injustifiées seront jugées dommageables à une entière crédibilité de la démarche (2), pourtant fidèle à Milgram sur des points essentiels. Le fait que la télévision finance et s’auto-critique dans le même élan semble avoir exposé l’expérience à plusieurs exagérations et raccourcis inhérents au monde télévisuel et qui ne peuvent évidemment être accrédités aveuglément par les sciences humaines et la psychologie. « A nous de nous réapproprier les puissances du langage et de l’argumentation », écrivent Nick et Eltchaninoff (p. 295). On ne saurait mieux dire.
Notes
(1) Sharon Presley (1985, 2010a), l’une des dernières doctorantes de Milgram, a apporté des éclairages sur les facteurs extra-situationnels de la soumission à l’autorité qui s’accordent avec nos données. Les rebelles existent, mais il est plus facile de trouver des personnes qui se soumettent à l’autorité, dans les années 60 comme aujourd’hui. Pour ses recherches, Sharon Presley avait dû persévérer, mais en avait rencontré un nombre conséquent en empruntant le réseau approprié (en tant que propriétaire d’une librairie anarchiste). Milgram lui-même était surpris que sa doctorante puisse trouver tant de rebelles (Presley, 2010b). Il est possible que le recrutement pour un pilote de jeu réalité ait conduit à une certaine auto-sélection (mais il est peu vraisemblable que le biais soit massif). Notons que parmi les participants, les plus militants étaient précisément ceux qui avaient une plus faible appétence pour la télé-réalité…
(2) La question des précautions déontologiques mériterait également d’être traitée, dans la mesure où la Zone Xtrême s’est délibérément affranchie des procédures ordinairement en vigueur en psychologie lorsque les recherches ont un impact significatif sur les participants.
Bibliographie
Ancona, L, & Pareyson, R. (1968). Contributo allo studio della aggressionne: La dinamica della obbedienza distruttiva. Archivio di Psicologia, Neurologia, e Psihiatria, 29, 340-372.
Bègue, L. (2010). Variables individuelles et soumission à l’autorité. Laboratoire interuniversitaire de psychologie, Université de Grenoble 2.
Blass, T. (1991). Understanding behavior in the Milgram obedience experiment: The role of personality, situations, and their interactions. Journal of Personality and Social Psychology, 60, 398–413.
Blass, T. (2000). The Milgram paradigm after 35 years: Some things we now know about obedience to authority. In T. Blass (Ed.), Obedience to Authority: Current perspectives on the Milgram paradigm. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum Associates.
Costa, P. T., Jr., & McCrae, R. R. (1992). Normal personality assessment in clinical practice: The NEO Personality Inventory. Psychological Assessment, 4, 5-13.
Edwards, D.M. et al. (1969). An experiment on obedience. Unpublished student report. University of Witwatersand, Johannesburg, South Africa.
Elms, A. & Milgram, S. (1966). Personality characteristics associated with obedience and defiance toward authoritative commands. Journal of Experimental Research in Personality, 2, 292-289.
Holland, C.D. (1967). Sources of variance in the experimental investigation of behavioral obedience. Doctoral dissertation, University of Connecticut, Storrs (University Microfilms, 69-2146).
Mantell, D.M. (1974). The potential for violence in Germany. Journal of Social Issues, 27, 4, 101-112.
Nick, C., & Eltchaninoff, M. (2010). L’Expérience extrême. Paris : Don quichotte / Seuil.
Pinkers, S. (2005). Comprendre la nature humaine. Paris : Odile Jacob.
Presley, S.L. (1985). Moral judgment and attitudes toward authority in political resisters. Journal of Research in Personality, 15,135-151.
Presley, S.L. (2010a). Not everyone obeys : personal factors correlated to unjust authority. Unpublished manuscript.
Presley, S.L. (2010b). Communication personnelle. 3 février 2010.
Ring, K., Wallston, K. & Corey, M. (1970). Mode of debriefing as a factor affecting subjective reactions to a Milgram-type obedience experiment : An ethical inquiry. Representative Research in Social Psychology, 1, 67-85
Rosenhan, D. (1969). Some origins of concern for others. In P. Mussen, J. Langer, & M. Covington (Eds.). Trends and issues in developmental psychology, (pp. 134-153). New york : Holt, Rinehart, and Winston.
Shoda, Y., Mischel, W., & Wright, J. C. (1994). Intra-individual stability in the organization and patterning of behavior: Incorporating psychological situations into the idiographic analysis of personality. Journal of Personality and Social Psychology, 67, 674-687.
Zimbardo, P. (2006). On rethinking the psychology of tyranny: The BBC prison study. British Journal of Social Psychology, 45, 47-53.
Sources: Le cercle Psy
A noter aussi, un dossier dans le magazine science Humaines de mars: l’énigme de la soumission
En fait, le vrai pouvoir de la télé, les participants le verront demain… Ou tout le monde ce soir si à la fin de l’émission, ils annoncent qu’en fait tout était truqué, et que même les participants et le public étaient des acteurs…
Ticoche dit:
Pour aller plus loin dans le débat, qui aurait appuyer sur le bouton et jusqu'à quel voltage, comme ça ?
Répondre à cette question sur ce forum n'a aucun sens.
Toutefois la réponse de Cookie me parait pertinente. Combien ,parmi ceux qui ont accepté de participer ( pour rien selon l'auteur du documentaire,même pas pour passer à la télé puisque c'était censé être un pilote)croyaient avoir affaire à un simulacre? ( et avaient en définitive raison).L'information est-elle donnée?
Fadest dit:En fait, le vrai pouvoir de la télé, les participants le verront demain... Ou tout le monde ce soir si à la fin de l'émission, ils annoncent qu'en fait tout était truqué, et que même les participants et le public étaient des acteurs...
Fadest archiviste de Dechavanne?

bernard dit:Dans la Zone Xtrême, il n’y a en effet pas de condition comparative où serait étudiée l’influence d’un scientifique. La simple juxtaposition des 60% observés chez Milgram aux 81% de la Zone Xtrême est un exercice de pure fantaisie : comment peut-on comparer l’influence d’un scientifique sur un comportement de soumission dans les années 60 à l’influence d’une animatrice flanquée d’un public d’une centaine de personnes et d’un staff de production cinquante ans plus tard ?
Je crois que ça résume bien, on ne peut pas comparer 2 expériences avec tant de différences. C'est une nouvelle expérience qui arrive à une conclusion chiffré, mais qui ne peut pas être comparé à celle de milgram (merci à je ne sais plus qui pour le 1000g comme ça je m'en rappelle bien... de son nom)
édit:
Fadest dit:En fait, le vrai pouvoir de la télé, les participants le verront demain... Ou tout le monde ce soir si à la fin de l'émission, ils annoncent qu'en fait tout était truqué, et que même les participants et le public étaient des acteurs...
et qu'on découvre que la finalité est ailleurs, là où on ne l'attend pas puisque on se pose les mauvaises questions... ça serait intéressant qu'ils aient fait une sorte de buzz pour manipuler l'information... mais ça passe sur Fr2, faut pas déconner quand même

Ticoche dit:Avant d'entendre parlé de cette expérience, quand je me suis intéressé au chat de Schrödinger, je me suis posé une question toute simple :
Dans un couloir il y a 2 portes. Un animal est dans une pièce et ne doit pas sortir, le seul moyen pour sortir est de passer ces 2 portes.
Une personne A ouvre une porte
Une personne B ouvre une porte
L'animal sort, qui est responsable de sa fuite ? A ou B ?
Posez-vous la question avec tout ce qui peut intervenir comme paramètres, notamment spatio ou temporel. Si les 2 personne ouvrent leur porte simultanément, ou séparé d'un mois ?
Euh, c'est intéressant, mais la choucroute aussi, non ?
Je viens de voir le début, l’existant à la télé est déjà cruel !
Des jeux où on plonger des personnes dans de l’eau bouillante ! Un homme qui se filme en jouant à la roulette russe (edit : un magicien mais ce n’était pas dit lors de la diffusion) !
Quand “on” regarde vidéo-gag, tout le monde s’en sort toujours sauf, mais bon…
Je ne sais pas si je vais avoir le courage de regarder jusqu’au bout.
edit : C’est spé tout de même car le mec crie dans la boîte, mais il s’arrête ensuite puis ça reprend etc.
Ben, au bout d’un mois, la choucroute, comment dire
MrGirafe dit:Un homme qui se filme en jouant à la roulette russe !
J'en ai déjà parlé page 3 de ce topic de ce mec: c'est un illusionniste, et le canular a été révélé après la diffusion sur Channel 4, cf. ce lien

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le public n’était pas complice et il ne bouge pas.
Le mec ne parle plus, il n’a plus de réaction, il ne répond plus, et ils balançent tous les décharges !
Personne ne va voir si le mec est vivant ou autre !
Je pige pas là. C’est super inquiétant.
scand1sk dit:Ticoche dit:Avant d'entendre parlé de cette expérience, quand je me suis intéressé au chat de Schrödinger, je me suis posé une question toute simple :
Dans un couloir il y a 2 portes. Un animal est dans une pièce et ne doit pas sortir, le seul moyen pour sortir est de passer ces 2 portes.
Une personne A ouvre une porte
Une personne B ouvre une porte
L'animal sort, qui est responsable de sa fuite ? A ou B ?
Posez-vous la question avec tout ce qui peut intervenir comme paramètres, notamment spatio ou temporel. Si les 2 personne ouvrent leur porte simultanément, ou séparé d'un mois ?
Euh, c'est intéressant, mais la choucroute aussi, non ?
Oui mais non, le problème du chat ne se pose pas du tout dans ces conditions-là. La situation et les paramètres sont très différents. Sans compter que je vois mal le rapport avec le programme actuel...

En plus, comment empêcher le chat de bouffer la choucroute ?
C’est plus intéressant que je pensais.
Une fois passée l’analyse un peu bidon du barbu (avec les schémas sur le papier qui changent selon les plans… ), les retours sur les candidats sont extrêmement intéressants.
J’adore celle qui pleure et qui demande pardon à Jean-Paul, même après qu’on lui a dit que c’était du flan.
MrGirafe dit:le public n'était pas complice et il ne bouge pas.
Le mec ne parle plus, il n'a plus de réaction, il ne répond plus, et ils balançent tous les décharges !
Personne ne va voir si le mec est vivant ou autre !
Je pige pas là. C'est super inquiétant.
ben justement ce que je comprend c'est que ferais pas forcément mieux que tous ces gens dans la même situation...
Vous ne vous êtes jamais demandé ce que vous feriez face à l'agression d'un autre? Ou une situation similaire?
Je sais juste que je ne sais pas comment je réagirais.
Ces personnes ne sont pas forcément malsaines, je dirais que ce sont plutôt les autres qui sont "héroiques".
Diable ! C’est sous la direction scientifique de Beauvois !
(“La soumission librement consentie” et “Traité de la servitude libérale”)
- Préparation rigoureuse des rôles de chacun. avant.
- Prise de paroles parfaite de l’animatrice. pendant.
- Soutient psychologique indispensable des cobayes post expérience.
(J’ai chialé quand la black s’est effondrée )
- Analyse fine des résultats et des entretiens. après
Magnifique émission, extrêmement instructive et malgré les 20% de désobéissants … effrayante !
La téloche comme “autorité légitime”, put… l’angoisse !
Edit : Hondelatte (le spécialiste du fait divers monté en épingle) comme animateur de la deuxième partie, il pouvait pas y avoir pire !
D’ailleurs, monsieur se fâche pendant l’émission : ici