FOX62 dit:Je me tâte toujours... il vaut quoi a deux joueurs?
Aucun intérêt à 2 et plus que moyen à 3 joueurs. 4 joueurs, pour des questions (personnelles) de durée, est en ce qui me concerne l'idéal. Sinon, si tu es prêt à passer plus ou moins 5 heures autour d'un jeu, 5 est optimal pour Rio puisque la concurrence et l'interraction deviennent maximales sur tous les niveaux. A 4 joueurs c'est déjà assez violent, à 5 ça l'est encore plus...
je me permets de venir vers vous concernant cette fameuse mise à jour des règles de Rio de la Plata… est-ce que cette lourde tâche s’est vue couronnée de succès?
palferso dit :Quondam a annoncé travailler à une nouvelle version de Rio de la Plata. Il a communiqué son premier objectif: réduire la durée du jeu.
Ben voilà. J'ai pu un peu tester cette dernière version, Trinidad, et je confirme que:
Je reviendrai plus en détail sur certains points quand j'y aurai un peu plus joué (ce qui devrait pouvoir se faire d'ici la fin du mois). Ce que je peux me hasarder à dire à ce stade, c'est que ça reste un grand jeu très difficilement sortable. Il est à noter que Quondam a retravaillé Rio de la Plata en profondeur tout en parvenant à résoudre assez brillamment une équation qui me semblait improbable: garder la structure et tout ce qui faisait le sel du jeu originel (sa profondeur, son originalité et surtout, surtout, son interaction hors norme) tout en lui apportant de la valeur ajoutée. Et c'est effectivement le même jeu mais moins haché, plus consistant, cohérent et profond. Pas d'aseptisation et encore moins d'autarcisation/cloisonnements. Courageux vu les attentes actuelles et à mon avis voué à l'échec commercial de par la durée du jeu (compter entre 1h et 1h30 par joueur), sa complexité (comment un tel jeu avec des parties oscillant entre 3 et 5h pourra être approfondi à l'ère du jeu kleenex?) et l'interaction constante à tous les niveaux qu'entretient Trinidad (le moindre choix a des répercussions profondes (directes ou sous-jacentes, à court ou à moyen/long terme) sur tous les joueurs). Donc, équation réussie mais sans y intégrer les données «durée» et «actualité»…
Le seul point que je voulais aborder à ce stade est qu'il m'a ouvert les yeux sur pourquoi les jeux de placement d'ouvriers m'ennuient assez profondément aujourd'hui (et même depuis un certain temps…). Or, Trinidad est un jeu de placement d'ouvriers/points d'actions !!! On a 6 ouvriers/points d’action par tour qu'il va falloir affecter à des tâches qui en solliciteront plus ou moins (de 1 à... 6). Assez classique. Or, aucune action n'est unique. Donc, tout le monde peut à tout moment faire tout type d'action: pas de craintes du type "si il me pique cette action, je ne pourrai pas la faire avant le tour prochain". Étrange pour un jeu que j'ai dépeint comme ultra interactif… Et en fait, je trouve avec le recul pour les avoir beaucoup pratiqué que les jeux de placement d’ouvrier à actions uniques donnent l’illusion de l’interaction alors qu’elles ne sont qu’un prétexte à décliner des actions et des coûts (genre : Oh zut on m’a piqué l’action pierre, je vais aller prendre du bois; Oh mince il m’a pris la place à 1 meeple, je vais devoir en mettre 2 et/ou payer 1 pièce… à moins que je fasse une autre action qui me permettra de faire autre chose en attendant). Et cette mécanique, derrière son interaction de façade, guide en fait les choix et vise à toujours garder les joueurs sur des schémas de jeux préétablis et au final, sclérosés. C’est un artifice d’équilibrage guidé et forcé. La liberté est cantonnée à un cadre restreint (et qui se restreint toujours plus au fur et à mesure des occupations) qui garantit que personne ne sortira des clous ni du jeu, ni des choses à faire, ni de ce que permettront ou non chaque décision. Il s’agit bien de s’assurer que les parties resteront sur des rails établis en amont de l’intervention et des choix des joueurs qui ne font qu’entériner des voies prétracées (la combinaison des actions doit toujours revenir au même: le syndrome tous les chemins mènent à Rome). De fait, je me lassais de plus en plus vite de tel ou tel jeu de ce type et ai fini par comprendre pourquoi: quel que soit leur enrobage ou leurs nuances mécaniques on est condamné aux mêmes cheminements. C’est le maquillage ultime de l’aseptisation puisqu’il donne le goût de l’interaction et l’illusion du poids des choix alors qu’en fin de compte tout revient à canaliser en amont les joueurs. J’ai donc fini par les abandonner tant ils me saoulent et me donnent l’impression de toujours être astreint à faire la même chose.
J’ai réalisé avec Trinidad que ne pas limiter/fermer les choix d’action ouvre bien entendu des libertés énormes et kaléidoscopiques puisque l’ensemble de l’édifice ludique peut varier incessamment de teintes en fonction des contextes sans jamais restreindre de manière automatisée et servile les joueurs. Et comme dans le cas de Trinidad la moindre action influe aussi sur tous les autres joueurs, on est constamment face un défi de créativité pour agir, réagir et interagir. La liberté laissée ouvre un panel incroyable d’influence sur le jeu et sur les autres joueurs sans à aucun moment être placé et aiguillé de force sur des rails formatés. On est face à un jeu qui se nourrit de lui-même et pas face à truc qui devra vite sortir 1000 extensions pour décliner artificiellement les possibilités dans un cadre mécanique qui vite sera perçu consciemment ou inconsciemment pour ce qu’il est: restrictif et voué à l’ennui. Il sera alors temps de sortir la 1000 et 1ième extension… C’est d’ailleurs aussi pour ça je pense que Trinidad est perçu par ceux qui s’y sont frottés comme si complexe.
Je reviendrai plus en détail sur le jeu en soi plus tard.
Très intéressant. Il faut que je réfléchisse, je ne suis pas sûr d’être d’accord avec ce que tu dis mais je n’ai sans doute pas les clés intellectuelles pour (j’ai jamais poussé un jeu de placement d’ouvrier jusqu’à en être un expert). Il n’y a pas que le placement d’ouvrier pour imposer des contraintes fortes aux autres joueurs quand on fait des choix d’action (voir Puerto Rico, Un monde sans fin), je suppose que tu les mets dans le même panier. Le placement d’ouvrier propose aussi quelque chose de thématiquement logique : si je suis le premier à l’entendre au moulin ou au four banal, c’est normal que les autres fassent la queue derrière pour l’utiliser (tiens ça a déjà été fait ça, un placement d’ouvrier où on fait la queue ? Ca me fait repenser à Monte Cristo et ses billes de programmation d’ailleurs). Et donc jouer là dessus, j’aime bien. Je ne pense pas que ce soit une interaction factice, tu as raison sur le fait qu’elle a lieu dans un cadre très restreint, mais ça n’empêche pas forcément le jeu d’être fortement stratégique et compétitif (je trouve que Puerto, Amyitis illustrent bien cela). C’est le sentiment de liberté qui te “grise” dans Trinidad ?
Désolé si j’ai lu ou interprété de travers ce que tu dis.
Merci du retour Palferso . Bon ça me confirme qu’a priori ce ne serait pas le jeu sortable par chez moi, même si je reste curieux d’y découvrir, comme toujours avec des jeux qui me semblent proposer quelque chose différents.
Concernant l’analyse du placement d’ouvrier, j’ai compris les propos de la manière suivante (et j’y souscris de manière générale) :
- sur les placements d’ouvrier on a des semblants de choix mais pour au final faire en gros la même chose. Schématiquement : “Tu m’as bloqué la case pierre, j’irai chercher du bois. Au tour suivant quand tu iras chercher du bois, j’irai prendre la pierre”. Alors bien sûr le timing a son importance, mais ceci pour dire qu’alors que sur la papier on a l’impression d’une interaction forte, bloquante, on est en réalité plutôt dans un simple effet de décalage, quelque chose qui joue son rôle de manière bien moins brutale que ça ne peut le paraitre.
- l’interaction des placements d’ouvrier se concentre sur les moyens, pas sur la fin. Quel est le but de l’action et comment elle va influencer la partie. Trop souvent l’influence concerne juste le joueur lui-même, son action lui permet de gagner des PV, mais ça valorise juste son combo, ça n’a pas d’influence sur les autres. Ici le propos de Trinidad semble l’inverse : tu peux faire tout ce que tu veux , mais toute action que tu réalises a un impact sur ce que pourront faire les autres. Globalement, je trouve les jeux d’aujourd’hui trop concentré sur les moyens et peu sur la finalité que ce soit la finalité mécanique, son interaction ou de manière général le propos du jeu (quel expérience l’auteur veut nous proposer)
Un exemple intéressant c’est Barrage : il y a des actions de placement d’ouvrier commune bloquantes (eau, gagner des machines…), et des actions de placement sur son plateau (construction) qui elles sont totalement libres. Et finalement les actions qui ont la plus grosse portée en terme d’interaction, ce sont les constructions. C’est à dire les actions non contraintes. Comme quoi on peut effectivement avoir un jeu assez ouvert en terme d’action, et pourtant interactif et contraint dans ses conséquences.
palferso dit :@Rodenbach, @ocelau. Merci pour vos retours et votre contribution au débat.
en attendant tes retours sur les parties (genre de jeu où même s'il y a peu de chance que j'y joue , j'aime bien avoir les retours d'expérience et les analyses)
@ocelau: oui, ce que tu dis quant à la portée de l’interaction à Barrage est très intéressant. Il propose effectivement un “entre deux” intéressant. Maintenant, Barrage est à mon goût bien trop induit par les actions contraintes et je m’en suis vite lassé aussi (sans doute pour ça).
A noter (cela rentre aussi dans les défauts majeurs de Trinidad) que son prix est à mon sens absolument délirant. Si il n’avait pas été soldé dans de très fortes proportions (j’ai récupéré la Collector Box à 60€ au lieu de 160€!!!) et sans la nostalgie Proustienne des moments passés autour de Rio de la Plata, je n’aurais jamais mis un kopek sur un jeu aussi insortable…
Rio de la Plata est de 2010. Mon post originel a 10 ans mais ça me semblait intéressant de le lier à Trinidad (2022). Je n’ai actualisé que le titre et j’ai lié le post à Trinidad.
Je partage l’avis de Rodenbach, c’est sur que le placement d’ouvriers limite les choix et peut les rendre stéréotypés mais de nombreuses autres mécaniques d’action limitent les choix. C’est juste une mannière comme une autre selon moi de les limiter. Alors oui, dans un jeu où on ne sait faire que 5 actions, il n’est pas nécessaire de les limiter, mais dans un jeu comme Agricola, un peu de limitation fait du bien et évite l’analysis paralysis. Cela reste, à mon sens, une manière élégante de faire des choix dans les jeux. Evidemment, je te rejoints sur le fait que la mécanique de placement d’ouvriers n’est évidemment pas une mécanique suscitant l’interaction même si dans certains jeux, on est amené à choisir des emplacements pour bloquer les adversaires.
Je réfléchissais à cette histoire de liberté à Trinidad, et je me demandais dans quelle mesure ce n’était pas l’illusion du choix, dans le sens où on tend vers des enchaînements d’action optimisés, et délaissant des enchaînements qui ne seront jamais envisagés (je ne connais pas les règles donc c’est plus une réflexion générale sur les jeux avec une grande liberté de choix). J’ai repensé à la raison pour laquelle Tannhauser avait opté pour des routes prédéfinies pour se déplacer sur le plateau : d’après les auteurs, 90% du temps (chiffre random ^^) on va faire des déplacements optimisés pour se mettre à couvert par exemple, et donc il y a des mouvements qu’on ne fera jamais. Et donc les mouvements réellement intéressants à faire sont en réalité moins nombreux que ce qu’on croit.
J’ai pas les clés pour répondre à ça. palferso j’attends ton avis sur la question
Rodenbach dit :Je réfléchissais à cette histoire de liberté à Trinidad, et je me demandais dans quelle mesure ce n'était pas l'illusion du choix, dans le sens où on tend vers des enchaînements d'action optimisés, et délaissant des enchaînements qui ne seront jamais envisagés (je ne connais pas les règles donc c'est plus une réflexion générale sur les jeux avec une grande liberté de choix).
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palferso j'attends ton avis sur la question
Je ne débats plus sur TT. Pour rester bref: ton discours tient dans le cadre d'un jeu où il n'y a pas d'interaction.
Exemple rapide (entre beaucoup d'autres possibles à ce jeu) et (très) schématique: tu optimises avec les oeillères ta récolte de ressources et/ou construction d'édifice et/ou envoi de tes ressources vers l'Espagne pour te faire du blé ou autre. Pendant ce temps, tes petits camarades te laissent faire ta petite gestion et tapent aussi dans les ressources mais sans les optimiser pour construire un truc ou faire du fric mais juste pour les épuiser et éventuellement les dépenser "à perte" pour former/armer des miliciens afin de provoquer une attaque des Querandis (exaspérés de voir leurs ressources naturelles être pillées par les conquistadores) tout en se donnant les moyens d'y faire face militairement. L'optimisateur autarcique va se faire plus de blé que les autres mais il va être pitoyable dans la défense de Trinidad et pourra perdre beaucoup plus que ce qu'il aura récolté.